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Enjeux 2023 : La permacrise s’incruste

6 décembre 2022, 15:00

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Le terme permacrise est passé dans la langue courante. Certains pensent même que c’est le mot qui résumerait le mieux l’année 2022. Les éditeurs du dictionnaire anglais Collins définissent «permacrisis» comme «an extended period of instability and insecurity.»

L’économie mondiale qui ralentit et l’inquiétant fait que plusieurs pays rentreront, dans les prochains mois, en récession poussent bien des analystes à conclure que la crise plurielle que traverse le monde sera universelle et durable. Plusieurs causes vont prolonger l’actuelle situation. En voici six, sans ordre hiérarchique de gravité : 1) le conflit en Ukraine dont on ne connaît ni l’impact ni l’issue ; 2) la lutte pour contenir l’inflation sur les plans international et national ; 3) le chaos qui se profile sur le marché énergétique ; 4) la feuille de route encore incertaine de l’après-pandémie en Chine et ailleurs ; 5) le déclin progressif de la démocratie d’une part et, d’autre part, la poussée de l’autocratisation et du populisme qui vont chambouler l’ordre mondial et bousculer les relations internationales ; et 6) la crise climatique et ses conséquences inégales sur différentes parties du globe ; ce qui rend difficile l’élaboration des politiques de lutte et d’adaptation, sans compter les promesses d’aide des pays riches aux pays pauvres qui restent des promesses.

Hassan Razem, un enfant de dix ans souffrant de malnutrition aiguë sévère, est photographié dans la province de Hajjah, au nord-ouest du Yémen, le 25 juillet 2022. On estime que des centaines de milliers de personnes sont mortes et des millions ont été déplacées dans ce que les Nations unies appellent la pire crise humanitaire au monde.

Des fois, certains facteurs vont se lier malgré eux pour miner encore plus la sécurité humaine. En Afrique, l’on souffre déjà de la famine doublement, à cause du climat et de la guerre en Ukraine. Selon Jacques Attali, «une éventuelle famine pourrait entraîner la mort de millions de gens, sinon plus, et d’énormes mouvements de population, qu’aucune barrière populiste ne pourra retenir, si on ne prend pas les devants pour aider ces populations à disposer des moyens autonomes de se nourrir».

Plusieurs agences internationales sonnent l’alarme, bien avant 2020. Aujourd’hui, une bonne partie du monde subit déjà une pénurie des matières premières stratégiques : «Certaines matières premières se font de plus en plus rares ; elles sont vitales pour les industries de l’avenir, par exemple pour les batteries sur lesquelles on fonde une grande partie des espoirs de maîtriser le dérèglement climatique.» Une fois encore, c’est l’Afrique qui demeurera la terre de toutes les convoitises, car les précieux matériaux pour les batteries des voitures électriques ou ordinateurs portables, voire pour les panneaux solaires, ne s’y trouvent que dans deux ou trois pays.

Des étudiants manifestent avec des pancartes prônant une action contre le changement climatique, le 3 décembre, à Chennai, en Inde.

Du côté des institutions de Bretton Woods, l’on s’inquiète, surtout, d’une crise financière mondiale d’une ampleur inédite. Paul Krugman le souligne dans nombre de ses dernières analyses : depuis plus d’une décennie, on ne résout pas vraiment les crises, qu’elle qu’en soit la nature : «On les repousse, en roulant devant nous une boule de dettes de plus en plus grosse. Cela fait revenir l’inflation, qui sera encore aggravée par les événements qui précèdent.» Par conséquent, les dettes, publiques comme privées, devront supporter des intérêts de plus en plus élevés. Ce qui pourrait alors rendre insolvables des nations, des entreprises et des ménages endettés, provoquant du coup d’autres crises, sociales, écologiques et énergétiques celles-là.

Alors que nous abordons 2023, il importe de garder en ligne de mire que plusieurs événements, pendant les cinq prochaines années ou plus, vont continuer à peser sur le niveau de vie, le bien-être et les libertés publiques des démocraties. Pour mieux les affronter, il faudrait des dirigeants modernes, qui ne regarderont pas le monde dans le rétroviseur de l’histoire, mais qui seront capables de nous unir et de préserver la démocratie au-delà des frontières et des blocs d’influence traditionnels. L’historien Yuval Noah Harari rappelle souvent que le Covid-19 n’est pas seulement une crise sanitaire, mais qu’elle est aussi à l’origine d’une crise économique et politique majeure. «J’ai moins peur du virus que des démons intérieurs de l’humanité : la haine, l’avidité et l’ignorance. Si les gens accusent les étrangers et les minorités d’être responsables de l’épidémie, si les entreprises avides de profits ne se soucient que de leurs bénéfices et si nous croyons à toutes sortes de théories du complot, il sera bien plus difficile de surmonter la permacrise…»

Un manifestant allemand tient une marionnette couverte de factures d’énergie lors d’une manifestation du mouvement «Trop is te veel» (Trop c’est trop) contre la hausse de l’inflation et du coût de la vie, et l’augmentation des prix de l’énergie.

Ainsi, le partage d’informations sera probablement la forme de coopération la plus importante de toute l’histoire de l’humanité. Les outils technologiques sont prêts. Il nous reste à harmoniser les logiciels humains. Le choix n’est pas uniquement entre isolationnisme nationaliste et solidarité internationale. Chaque citoyen aura à choisir s’il lui faut soutenir la montée des dictatures ou réaffirmer sa confiance en la démocratie face à la permacrise.