Publicité

Les leçons de FTX

30 novembre 2022, 09:31

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Il y a trois semaines, FTX, la deuxième plateforme marchande de cryptomonnaie au monde faisait faillite et son PDG, le bien nommé Sam Bankman-Fried (SBF), démissionnait alors que sa compagnie se soumettait à la loi des faillites pour se protéger contre ses créanciers.

Le lundi 7 novembre dernier, Bankman-Fried (littéralement : Homme bancaire frit (sec !)) avait pourtant tenté de rassurer ses clients et confiait à Twitter, lui-même sérieusement secoué par Elon Musk, que FTX allait bien, et que ses actifs allaient bien aussi.

Quatre jours plus tard, FTX était aux portes du cimetière des faillites et John J. Ray III passait aux commandes pour essayer de sauver ce qui pouvait encore l’être…

Le choc fut immense et l’incompréhension palpable, car M. Bankman-Fried était, jusqu’à tout récemment, considéré comme un petit génie de l’industrie crypto, un lobbyiste écouté et apprécié à Washington, un homme modeste et un homme de cœur qui déclarait vouloir retourner sa fortune personnelle vers de bonnes causes sociales grâce à «l’effective altruism»… De plus, FTX avait l’aura d’une des compagnies les plus stables et les plus responsables de ce créneau crypto peu ou pas beaucoup réglementé jusqu’ici… SBF était aussi un ‘gamer’ invétéré !

Âgé de 30 ans, gradué de MIT, Bankman-Fried valait, fin septembre, la coquette somme de 17,2 milliards de dollars, représentés par son actionnariat de FTX, et celui de sa consœur, le Hedge Fund Alameda Research, qui, fondée avant FTX, était supposée, au besoin, alimenter ce dernier nommé en liquidités. Le problème semble être qu’alors que SBF avait débuté son ascension avec des arbitrages instantanés (et donc sans risque) sur le bitcoin et d’autres cryptomonnaies, l’équipe de traders qui prit le relais chez Alameda quand SBF s’en allait à FTX avec ses partenaires les plus brillants, fut rapidement poussée à prendre des paris à moyen terme et donc à parier que diverses cryptomonnaies allaient continuer à toujours s’apprécier («long balls»). Alameda était donc à la recherche de bien plus de profits que ceux, maigres, de l’arbitrage. Or, le bitcoin, par exemple, a perdu 65,4 % de sa valeur pour cette seule année et, dans un renversement de rôle, dès le mois de mai, Alameda a dû, elle-même, être soutenue par des transferts de liquidités venant de FTX qui commençait, par ailleurs, à emprunter gros pour renflouer les pertes, que l’on espérait temporaires d’Alameda !

Les emprunts s’amoncelaient cependant rapidement, atteignant plusieurs milliards de dollars selon les dernières estimations… d’autant plus que FTX aurait brûlé plusieurs autres centaines de millions de dollars à racheter des compagnies de cryptomonnaies qui faisaient faillite les unes après les autres à partir de l’hiver 2021/22. SBF, qui était qualifié de «Roi de la crypto» dans la presse spécialisée, se voyait, de ce fait, décerner le titre additionnel de «Chevalier Blanc de la Crypto». Interrogé sur le pourquoi de cette attitude, il expliquait que trop de faillites dans son industrie serait mauvais pour l’image et injuste pour ses clients qui y perdraient leur épargne. Il se vantait alors d’être à la tête d’un fonds de sauvetage de 2 milliards de dollars…

Le début de la fin arrive le 2 novembre quand un article de presse révèle qu’une grande partie des ‘actifs’ d’Alameda est potentiellement constituée d’une cryptomonnaie non indépendante, puisqu’émise par… FTX ! Quelques jours plus tard, le Wall Street Journal s’y mettait en indiquant qu’au moins une partie des dépôts appartenant aux 1,2 million de clients de FTX étaient incestueusement prêtés à Alameda ! Quand Binance, le No 1 du trading en crypto, annonçait qu’il vendait tous les ‘tokens’ qu’il possédait qui étaient liés à FTX (No 2 du secteur), les carottes étaient quasi cuites. Sollicité par SBF, M. Zhao de Binance considéra un moment le rachat de FTX, mais il reculait dans les 48 heures. En parallèle, devant une déferlante de rumeurs surfant sur ces faits, les clients-déposants de FTX tentaient de plus en plus désespérément de retirer leurs fonds, ce qui devenait impossible et il devenait clair que la confiance était rompue. N’ayant plus de fonds pour rembourser les clients, FTX fermait boutique le 11 novembre dernier. Le ‘trou’ confirmé par SBF est de $ 8 milliards au moins (*)…

Des leçons, il y en a !

La première est qu’une trop rapide croissance est vraiment difficile à contrôler. Alameda fut fondée fin 2017, FTX voyait le jour en 2019, et FTX alignait plus d’un million de clients et entre 10 et 15 milliards de transactions quotidiennes dès l’an dernier. Bankman-Fried était, en passant, devenu milliardaire ! Mais l’intendance n’a pas suivi ! Le nouveau PDG, John J. Ray III, qui fut pourtant, entre autres, responsable d’Enron en faillite, a déclaré n’avoir jamais été confronté à un tel désordre et une telle absence de contrôle et donc n’avoir aucune confiance dans la comptabilité laissée par SBF. La gouvernance n’y était pas non plus, de jeunes geeks prenant des paris anormaux qui dépendaient tous d’un ‘bull market’ continu sur des tokens ne valant intrinsèquement que dalle !

La deuxième leçon est celle bien connue que dans la poursuite de gains élevés, il y a inévitablement des risques élevés !

La troisième leçon est sans doute celle du vertige causé par le succès. Grand amateur du jeu électronique «League of Legends», qu’il jouait sans interruption, même quand il était en conférence avec ses bailleurs de fonds (!), SBF n’a peut-être pas réalisé que ses décisions dans le monde réel ont quand même bien plus de conséquences que dans ce jeu où l’on peut éternellement… recommencer ? Ainsi, tenter de sauver les compagnies de cryptomonnaie qui tombaient comme des mouches, sponsoriser le stade des Miami Heats pour $ 135 millions, investir presque $ 70 millions dans les élections américaines de mi-mandat – soutenant principalement les démocrates, prêter les fonds appartenant à ses clients, ‘leverager’ FTX alors que les intérêts montaient et que les actifs crypto flanchaient sont autant de paris que l’on peut seulement prendre sans risques réels… dans un monde virtuel !

Finalement, comment oublier que la cryptomonnaie elle-même, qui a été au centre de tous les paris de FTX, est un actif que l’on savait au départ même instable et sujet à autant de quintes de plus-value que de chutes vertigineuses (**). Pourquoi ? Mais parce qu’elle n’est ancrée sur aucune ‘valeur’ tangible, au-delà de la technologie blockchain, ce qui n’apparaît pas être beaucoup plus que ‘du vent’. Lire aussi la déconvenue de Do Kwon et sa cryptomonnaie ‘garantie’ par le dollar, pour vous en convaincre ! Investir dans la crypto, c’est donc de la spéculation presque pure qui dépend, de manière classique, de ce que l’on puisse engendrer une grande excitation chez suffisamment de gobeurs qui croient qu’il existe des profits «faciles» à faire !

Un bitcoin qui ne valait pas grand-chose jusqu’en janvier 2017, qui vaut environ 10 000 dollars entre fin 2017 et septembre 2020 et puis qui explose jusqu’à des pointes de 60 000 dollars en octobre 2021, peut évidemment enivrer bien du monde et les piéger ! Mais il a chuté depuis à moins de 17 000 $, entraînant tous ceux qui ont spéculé sur sa hausse avec lui (***). Et ce n’est peut-être pas fini ! La chute de FTX a brouillé le monde de la crypto au point que certains craignent désormais la spirale du doute, du repli et du retour sec sur terre. Bankman-Fried n’a pas été glorifié comme un génie de la finance parce qu’il en est un, pas plus que les centaines de personnes qui ont tenté de lancer leur propre cryptomonnaie d’ailleurs, mais simplement parce que, comme d’autres avant (et après) lui, il a offert à des millions de vrais moutons la perspective de «l’argent facile». Plus de 1 700 cryptomonnaies sont d’ailleurs mortes à ce jour. Leurs promoteurs ont invariablement essayé de devenir riches en profitant de la naïveté des autres !

L’industrie de la crypto, c’est tout bonnement l’industrie de la crédulité !

(*) https://www.vox.com/future-perfect/23462333/sam-bankman-fried-ftx-cryptocurrency-effective-altruism-crypto-bahamas-philanthropy

(**) https://lexpress.mu/idee/320775/yoyo-bitcoin // https://lexpress.mu/idee/326274/bitcoin-depuis-temps-quon-vous-dit

(***) La compagnie Tesla, d’Elon Musk achète pour $ 1,5 milliard de bitcoins au début de 2021 a un prix moyen estimé de $ 38 500, ce qui aide, entre autres, à la ‘poussée de fièvre’ du bitcoin en 2021/22. 75% de cet achat est revendu dans le 2e trimestre de 2022 pour $ 936 millions…