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La question des inégalités

2 novembre 2022, 09:05

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Le débat est passionnant et les arguments s’entrechoquent. Sur cette question, l’on pense inévitablement au balancier qui arrive à un extrême, corrige vers l’autre direction, sans jamais pouvoir s’arrêter au milieu, ce qui, pour la pendule, représenterait d’ailleurs la panne.

Thomas Hobbes a sans doute été une source d’inspiration pour bien des économistes et de nombreux politiques qui pensent que les humains sont à la base même, égoïstes et cyniques et que chaque humain va articuler ses décisions autour de calculs étroits favorisant sa personne d’abord, plutôt que le bien commun ou le partage. En conséquence de quoi la trame de l’humanité, ce serait l’inégalité systémique, la préséance des ‘gagneurs’, le trickle down pour les autres et que tout ce que l’on peut y faire, c’est d’établir, souvent à la marge, des contrôles et des règles pour contenir nos instincts excessifs d’accumulation et de narcissisme primaire.

La philosophie que l’on retient de Jean Jacques Rousseau est que l’humanité a chuté de son ‘paradis perdu’ où tout était innocence, égalité et vertu, et il reste donc un tantinet plus optimiste que Hobbes, puisqu’il reconnaît au demeurant, que nous venons tous d’un état qui était mieux… et possible !

Si vous lisez le Guardian et une de ses signatures vedettes, en l’occurrence George Monbiot, vous constaterez qu’il recommande des taxes sur la fortune et la fin de l’extrême richesse, qui, dit-il, est largement responsable du dérèglement climatique. Il cite une récente recherche sur la manière de vivre de 20 milliardaires qui arrive à la conclusion que chacun d’entre eux, en moyenne produit environ 8 000 tonnes de CO2 par an, alors que la moyenne américaine est de 15 tonnes par tête et la moyenne planétaire est de 5 tonnes/ tête ! (*)

Dinesh D’Souza, un commentateur indo-américain de la droite républicaine, auteur, producteur de films et amateur de théories conspirationnistes, défend le capitalisme pur et dur comme suit : supposez un monde parfaitement équitable où tous les citoyens ont Rs 500 000 de revenus par an. Puis arrive M. Steve Jobs avec son iPhone qui se vend Rs 25 000 pièce. Il en vend plusieurs centaines de milliers. Est-ce que l’inégalité qui en découle est condamnable ? C’est une bonne question !

Le consensus dégagé au cours des derniers siècles est que les systèmes hiérarchiques et donc les inégalités ont surgi quand l’homme a quitté sa pratique de ‘chasseur-cueilleur’ pour passer à celle d’agriculteur avec ses corollaires de propriété, d’urbanisation, de guerriers-rois, de lois, de bureaucrates pour gérer tout ça… Les Francis Fukuyama et les Jared Diamond de notre génération ne disent rien de bien différent. La période industrielle a certes augmenté la richesse générale, libéré les classes moyennes et permis à l’entrepreneur de fleurir, mais aura aggravé les inégalités, comme souligné par Piketty, qui prédit d’ailleurs que le ralentissement des avancées technologiques ou le recul démographique va encore empirer ces inégalités !

D’autres écoles de pensée existent («The Dawn of Everything», par exemple, ou encore Doughnut Economics de Kate Raworth), mais depuis le krach financier de 2008, on parle certainement de plus en plus de cette question d’inégalités. C’est un sujet maintenant fréquent à Davos et une pluralité tant intellectuelle que politique pense que les inégalités ont empiré au point qu’elles sont aujourd’hui dysfonctionnelles, voire dangereuses. La taxe minimale de 15 % imaginée par Janet Yellen sur les compagnies transnationales a quand même fait presque l’unanimité ! Les gouvernements, toujours accros à la ‘croissance’ pour financer leurs programmes, font, eux, très attention avant d’aller trop loin, étant conscients que les différentiels de taxation sont souvent responsables de la migration des investisseurs. Il y a d’ailleurs une certaine convergence de ces taux depuis quelques décades, les gouvernements pouvant de moins en moins justifier de taxer plus pour faire bénéficier d’infrastructures de qualité supérieure ou de la qualité particulière ou la célérité de leur état de droit, par exemple. Qui aurait dit, par exemple, que l’Irlande, à la belle image pastorale, aurait aujourd’hui un PIB par tête supérieur à celui de la Grande-Bretagne, les deux étant membres de l’UE jusqu’au Brexit de 2020 ? (Irlande : 99 152 $ ; Grande-Bretagne : 47 334 $ en 2021). Un des facteurs qui a fait la différence (pas le seul, bien sûr), c’est le taux de taxation. Il est de 12,5 % en Irlande et attire de fait plus de multinationales que les 19 % de Londres – taux qui allait, sous Johnson et avant Truss, passer à 25 %.

Mais les avis restent plus partagés sur les richesses individuelles. Pour inadéquates que sont les ‘2 000 mules’ de D’Souza, presque personne ne disputera une ‘récompense’ à quelqu’un qui prend des risques, qui innove et que ses concitoyens reconnaissent librement en achetant son produit. Ce sont les entrepreneurs de première génération dont il faut absolument célébrer les succès ! La dislocation que causerait une nationalisation d’une activité économique ou même d’une taxe à la mort du fondateur est inimaginable et tuerait l’innovation dans l’œuf. La taxe sur les fortunes héritées existe de manière très variable d’un pays à l’autre : elle est à 55 % au Japon, 60 % en France, 40 % en Angleterre et aux États-Unis, mais à 0 %, bien plus fréquemment, comme en Australie, au Canada, en Inde, à Singapour, en Nouvelle-Zélande et même dans la Russie des oligarchies ou en Chine communiste. En effet, Mao ayant décapité le ‘vieil argent’, la Chine produit aujourd’hui des milliardaires plus rapidement que partout ailleurs au monde ! On ne semble pas trop s’émouvoir non plus pour les fortunes royales ou aristocrates, même quand gagnées par rapines, par pillage ou par vol, parfois sous le couvert de trésors de guerre !

De toute façon, quelles sont les inégalités qui gênent vraiment ? Pas celle de Bill Gates qui a remis 39 milliards de dollars de sa fortune au service de causes humanitaires, ni celle de Warren Buffet qui a investi 36 milliards à ses côtés, ce qui n’a pas empêché de méchantes théories de conspirations de foisonner autour de Gates (**). Pas celle d’Andrew Carnegie qui fondait l’université de Carnegie Mellon, plus de 200 librairies et qui, à travers sa fondation, aidait à découvrir… l’insuline.

Non ! Les inégalités qui gênent vraiment sont probablement celles qui voient l’argent acheter le pouvoir et ainsi déstabiliser les bonnes décisions qu’il faudrait prendre pour le bien commun, pour, à la place, protéger des intérêts particuliers et souvent néfastes. Un exemple nous est donné par Monbiot (***) qui rappelait qu’à la Cop 26 à Glasgow, 500 lobbyistes défendant les hydrocarbures étaient présents alors que des pays victimes du climat étaient exclus des décisions majeures. Les lobbys pour les labos pharmaceutiques ou l’agrobusiness ou la déforestation sont puissants aussi et paient les campagnes électorales. On se rappellera, d’autre part, cette phrase dévastatrice de Hemingway qui rappelait que l’argent accumulé était comme le fumier mis en tas : ça pue et c’est tout à fait inutile. Par contre, partagé et répandu dans les champs…

Il y a encore énormément à dire et à écrire sur ce sujet épineux, mais on terminera avec un peu d’arithmétique, quelques statistiques et la notion d’être envieux.

Le «Top 1 %» que l’on jalouse avec bonheur est constitué, selon Investopedia, de ceux qui ont une fortune personnelle de $11,1 millions + (presque Rs 500 millions) ou qui se font des revenus de $824 000+ par an (Rs 36 millions/an). Selon l’IRS (la MRA américaine), le «top 1 %» américain mobilisait, lui, 20 % de tous les revenus «ajustés» du pays, payait 40 % de l’Income tax total et contribuait le tiers des revenus des organisations charitables. Par contre, la fortune totale mondiale de ce «top 1 %» est estimée à $13,1 trillions. Si 100 % était distribué de manière équitable aux 8 milliards d’humains sur la planète, chacun s’en sortirait, si mes calculs sont bons, avec $1 637, soit environ Rs 72 000. Une fois, c’est tout.

On décide donc quoi maintenant ?

(*) https://theconversation.com/private-planes-mansions-and-superyachts-what-gives-billionaires-like-musk-and-abramovich-such-a-massive-carbon-footprint-152514

(**) Par exemple, le fait qu’il ait financé l’alliance GAVI pour démocratiser l’accès aux vaccins a généré la théorie qu’il en profitait pour injecter des microchips qui lui permettrait de suivre, voire de contrôler une masse importante d’humains ! ? Mais pour quoi faire ? Pour acheter encore plus de Microsoft vous croyez ? Lui qui possède une fortune de plus de 110 milliards de dollars, qu’il a déclaré vouloir ‘rendre à la société ‘ au cours des années qui lui restent ?

(***) https://www.theguardian.com/commentisfree/2021/nov/10/extreme-wealth-polluting-climate-breakdown-rich