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Et si gouverner, c’était… comme on le dit, prévoir ?

30 octobre 2022, 09:24

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Prenons les cas de l’électricité, l’eau et la gestion des déchets. Nous apprenions mercredi matin que le conseil des ministres, après s’être de facto opposé au projet de centrale thermique à gaz en 2018, avait reconsidéré la question et y serait maintenant favorable ! On a donc, avec efficience apparemment, mis enn komité dibout pour étudier (maintenant ?) divers aspects délicats de cette équation. Entre autres, la construction même de cette centrale, le moyen le plus efficace de transférer le gaz naturel liquéfié (GNL) vers le port ; où situer cette centrale et la petite question de savoir qui nous vendra du gaz.

M. Poutine ayant, en effet, passablement bouleversé ce marché et mené les Européens, maintenant sevrés des bonheurs du Nord Stream, à se précipiter sur des contrats à long terme, partout où cela pouvait encore se concevoir !

On se souviendra que nous avions, vers 2018, l’espoir que le Mozambique nous traiterait «fraternellement» en nous fournissant du gaz à partir des champs importants qu’ils avaient découvert dès 2010 ? En 2019, Total Energies, 2e mondial pour la fourniture de GNL, prenait charge du chantier et y allouait 20 milliards de dollars. Les convoitises n’étant jamais loin quand de telles sommes s’investissent, des troupes djihadistes descendaient vers la province de Capo Delgado, fin 2021, s’attaquaient aux villages de la région et terrorisaient, notamment avec des décapitations publiques fréquentes, relayées, pour bonne mesure, sur le Net. Total Energies évacuait son personnel et fermait son chantier en décembre 2021, demandant au gouvernement d’assurer, au minimum, la sécurité de la région.

On s’y est activé depuis, mais lentement. Le groupe Wagner russe ainsi que des mercenaires sud-africains, sollicités les premiers, ne purent arrêter les groupes Al-Shabaab et il a fallu mobiliser des troupes via la SADC, ainsi que des troupes rwandaises pour mieux stabiliser la situation. Trois mille hommes sont aujourd’hui mobilisés. Gageons que les pays qui y participent – le Rwanda, la Tanzanie, le Botswana, le Lesotho et l’Afrique du Sud pour leurs soldats – et l’Union européenne pour le budget mensuel de USD 10 millions, y trouveront leur compte quand le gaz sera disponible ? Aurait-on pensé, au conseil des ministres, à offrir les services d’un platoon de soldats de la SMF, en tant que membre de la SADC, que l’on s’y prendrait maintenant un peu tard peut-être… Le président Nyusi du Mozambique qui invitait, lors d’un congrès fin septembre, les compagnies pétrolières à retourner sur leur chantier, vu les progrès sécuritaires, ne fut malheureusement pas aidé par une attaque djihadiste dans la province voisine du Nampula, une semaine auparavant. Des villages et des récoltes brulées, une nonne tuée, six décapitations de plus ne sont pas pour rassurer. Total évoque au moins deux ans de retard sur un projet qui devait, à l’origine, commencer à exporter du gaz en 2024. L’approvisionnement régional et «fraternel» paraît pour l’heure compromis !

Cependant, la triste vérité semble être que notre fourniture électrique est sur la corde raide. Au moins trois des turbines de Fort George ont plus de 25 ans et arrivent au terme de leur vie utile. Le projet GNL de 2018 coûtera au moins 20 % plus cher avec la roupie dévaluée ; comme une telle centrale ne s’achète sûrement pas off the shelf, il faudra donc passer une commande et attendre. Le CEB devrait perdre les 180 MW produits par les IPP l’an prochain, avec la fin de leur contrat, puisque le gouvernement s’est engagé pour du «zéro charbon». Les réserves financières du CEB de 2018-19 sont entamées ; elle attend une augmentation du kWh pour retrouver une situation profitable et même son petit magot en cash de Rs 3,5 milliards a été transféré au Consolidated Fund du gouvernement. C’est dire que le financement de cette centrale de 10 milliards sera moins simple…

Si gouverner, c’est prévoir, avons-nous été gouverné ?

Pour l’eau, rien de bien nouveau. La priorité des priorités, depuis la campagne électorale de 2014, c’était le 24/7 ! Pour cela, on a remplacé une partie de la vieille tuyauterie qui perd, selon les sources (!) jusqu’à 60 % de l’eau traitée à la sortie de nos réservoirs ! Nous avons tous, par contre, été informés, par le Premier ministre lui-même, fin octobre 2020, que l’eau «24/7 pa ve dir de lo gagne depi to gramatin ziska aswar». Tiens ! Son nouvel homme fort à la CWA, M. Prakash Maunthrooa, confirmera récemment cette définition «nouvelle vague» du 24/7, ce qui mena un titi de Saint-Pierre, chez qui ça coule (étonnamment ?) à flot, à affirmer qu’il s’agissait, peut-être de 24 minutes minimum par jour, 7 jours sur 7 ?

Chez moi, la situation n’a jamais été bonne, mais on innove ! La CWA déclenche depuis quelques semaines déjà, la pompe qui alimente nos tuyaux une fois tous les deux jours pendant à peu près 12 heures, la durée de cette alimentation étant variable. Si vous avez, comme chez moi, des réservoirs de réserve en quantité adéquate et que vous traitez vos robinets avec sobriété, ça va et ce système est même efficient. En effet, 12 heures d’alimentation chaque 48 heures veulent dire que l’on a réduit les pertes d’eau dans les tuyaux par 75 %, l’eau ne pouvant évidemment pas être «perdu» quand le tuyau est à sec !

Mais toutes les maisons et tous les appartements n’ont pas toujours les moyens d’installer autant de réserves d’eau ! Ce serait d’ailleurs intéressant de pouvoir faire le bilan du volume de réservoirs en annexe installés par les Mauriciens pour faire face au 24/7 : citernes en fibre de verre, bassin en béton armé, drums recyclés, dont l’installation a d’ailleurs été financée à l’officiel par le gouvernement, ça doit bien faire un ou deux millions de m3 de capacité de stockage national de plus ?

Pour rappel, fin 2020, on avait remplacé environ 500 kilomètres de tuyaux, sur les 1,570 kilomètres de tuyaux jugés percés au coût de Rs 2,8 milliards depuis 2014. Est-ce que ce budget ressemble à une «priorité nationale» par rapport aux Rs 5 milliards de Côte-d’Or, aux Rs 16 milliards de Safe City, aux Rs 14 milliards que coûtera l’extension du métro vers Côte-d’Or, aux Rs 8,8 milliards financées par l’Inde pour mieux «connecter» Agaléga à Maurice. C’est bien comme cela que l’on a prévu les priorités du pays et de ses citoyens, que voulez-vous…

Question impertinente : le service CWA chez les ministres qui sont assis dans le cabinet est-il, au moins, assuré d’un 24/7 plus… classique ?

Quant aux 543 000 tonnes de déchets solides annuels qui débordent déjà à Mare-Chicose, soyons conscients qu’aucun autre site d’enfouissement n’a pu être trouvé à Maurice, alors qu’on en cherche un depuis 2016 ! On peut supposer que comme les immigrants qu’il «faut» accueillir, ou les incinérateurs ou même les centrales électriques qu’il «faut» installer ; tout le monde est d’accord, mais pas si c’est «in my own backyard» ! De plus, nous apprend l’express du 27 octobre, un appel d’offres, fait il y a 34 mois pour une expansion verticale de Mare-Chicose, a été annulé en avril dernier, ce qui fait que l’on ne pourra pas commencer à mettre en œuvre ce contrat, quand bien même il serait alloué, avant… janvier 2025 !

Il faut maintenant espérer que les immondices, qui croissent par 10 % par an, ne vont pas trop monter à la verticale à Mare-Chicose, au point que les vents du sud-est en répandront les arômes dans le reste du pays !

Si gouverner, c’est effectivement prévoir, nous ne semblons pas avoir été excessivement gouvernés sur ces dossiers…