Publicité

Elizabeth, Charles et les autres, citoyens à part

18 septembre 2022, 09:24

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Elizabeth, Charles et les autres, citoyens à part

La reine Elizabeth II est morte le jeudi 8 septembre. Elle sera enterrée le lundi 19 septembre qui sera un congé public. Le Canada et l’Australie ont aussi décrété un jour de congé public. Bolsonaro a ordonné trois jours de deuil national au Brésil. On annonce jusqu’à 1 million de visiteurs en Grande-Bretagne pour assister aux cérémonies diverses. On attend 2 000 personnes à Westminster Abbey lundi, dont 500 dignitaires. La logistique qui en découle représenterait l’équivalent d’une centaine de visites d’État simultanées. On s’entraîne pour cet enterrement depuis 70 ans. L’attente sera moins longue pour le prochain, Charles III ayant 73 ans.

La reine a été charmante pendant 70 ans, ratant rarement le coche (sauf après la mort de lady Diana, contre qui elle avait clairement du ressentiment) et aura ancré son pays dans une certaine forme de solide continuité. Elle avait aussi un sens de l’humour et a tenté de moderniser et d’humaniser son institution anachronique. Ainsi, personne n’oubliera son tea party avec Paddington Bear, comment elle s’était fait dribbler plusieurs fois par Donald Trump lors d’une parade de ses Cold Stream Guards à Windsor ou encore son «saut» de parachute avec James Bond, à la cérémonie d’ouverture des Olympiades de 2012. Elle fut le premier membre de la royauté à marcher, à Sydney, en 1970, pour saluer la foule ; ses prédécesseurs l’ayant fait soit d’un carrosse ou d’une voiture sécurisée. Elle a donc marché chez nous aussi en 1972.

Son image de marque, son brand value, sont indéniables et le cérémonial et le faste de la royauté britannique sont sans parallèle. Je comprends aussi qu’il y a une valeur économique à tout ça, ainsi que des retombées diplomatiques positives, mais il faut quand même reconnaître que la royauté fait surannée et vieillotte et qu’elle est contraire à un des principes de base des temps modernes et progressistes : la méritocratie !

Si vous trouvez normal qu’un poste constitutionnel, comme celui de chef d’État, soit décidé par l’hérédité, vous serez, sauf hypocrisie, plutôt obligé de reconnaître, automatiquement et sans discussion possible, les vertus sans parallèle des héritiers de Kim Il Sung, de ceux du roi de Thaïlande ou encore des descendants de l’empereur japonais. Au moins, nous à Maurice, nous pouvons nous plaindre et faire des remontrances à notre chef d’État s’il est pâle et passif, par exemple, sans encourir le risque de crime de lèse-majesté !

Le roi Charles III, qui devient automatiquement chef d’État à la suite de sa mère, était déjà millionnaire comme prince de Galles. Son portefeuille immobilier s’établit à 130 000 arpents, soit presque la taille de la ville de Chicago ou le quart de la surface totale de Maurice ! Ses avoirs sont estimés à 1,4 milliard de dollars et il hérite des avoirs de la reine valant, eux, 949 millions de dollars, alors que tous les actifs de la famille royale sont estimés à 28 milliards de dollars. S’y ajoutent des fortunes personnelles sur lesquelles on ne sait rien. On ne peut pas dire qu’ils aient beaucoup ‘travaillé’ pour cela, bénéficiant au cours des siècles de donations, de taxes imposées, d’héritages et parfois de butins de guerre (*). S’ils paient quelques taxes, vous trouvez acceptable qu’en de telles circonstances, le roi soit exempté de payer les taxes d’héritage de 40 %, payées par tous les citoyens britanniques, par exemple ? Trouvez-vous raisonnable que William, le fils de Charles qui hérite du duché de Cornouailles, hérite aussi du privilège de ne pas payer la taxe corporative sur ses profits ? Selon quelle logique, alors que ces royaux ont une vie… princière, sans effort aucun et sans obligations, sauf ceux de couper des rubans, bien se vêtir et lire de beaux discours ne portant pas à conséquence et sans doute largement écrits pour eux…

La vie de château (la famille royale possède 30 propriétés princières, dont six châteaux), la pratique du polo, les discours balancés à partir de trônes dorés alors que les sujets britanniques râlent sous l’inflation et voient se doubler l’utilisation des restos du cœur, établit des contrastes qui seront de plus en plus difficiles à digérer. Après tout, Charles dégageait, à titre personnel, un profit net de 28 millions de dollars en 2021 (Rs 1,2 milliard), alors même que l’État lui payait un salaire (taxable cette fois-ci) de 1,1 million de dollars (Rs 4 millions par mois !).

C’est insoutenable ! Et même indéfendable ! D’autant que ça ne s’arrête pas là ! La famille obtenant un sovereign grant annuel de l’État de 93 millions de dollars qui est, depuis peu, financé par les revenus des actifs de la couronne qui valent $19 milliards et qui rapportent des profits annuels de $ 363 millions au Trésor public. Je ne sais pas si on peut parler de «profit» pour l’État de $ 270 millions, puisque les actifs appartiennent à l’État. Les frais de sécurité de la famille royale sont payés séparément !

Si Charles a la réputation d’être le membre de la famille qui a la conscience sociale la plus aiguisée, notamment à travers deux fondations qu’il dirige sans grand litige, l’ancien ministre Norman Baker a tout de même été à la police pour dénoncer la citoyenneté et le titre de chevalier accordé à un opérateur saoudien, en contrepartie apparente d’une contribution à sa fondation. Charles dit n’être au courant de rien.

Si, en 70 ans, la royauté britannique a été un bras soft plus qu’utile à la diplomatie, une attraction touristique indéniable et a généré admiration et affection chez de nombreuses personnes, il ne faut tout de même pas oublier les frasques endurées grâce à la princesse Margaret ou au prince Andrew et aux accusations de racisme de Megan Markle, l’épouse métisse du prince Harry. De plus, il ne faut pas non plus mettre de côté les désagréments de son règne, parfois même endurés avec son assentiment direct.

On peut ici citer la répression de la révolte Mau Mau, qui débuta en 1952, juste avant l’année du couronnement d’Elizabeth, une répression qui fit 11 000 morts. La révolte surgissait parce que les colons britanniques s’appropriaient les meilleures terres, généralement sur les hauteurs, déplaçant et lésant les tribus autochtones. Les expropriations, principalement des terres fertiles du Rift, se montèrent a plus de 28 000 km2, vers 1934 (28 fois la taille de Maurice !) et se faisaient principalement aux dépens des Nandis, des Kikuyus et des Masai. Ceux-ci, ayant été débouté en cour de «justice», se révoltèrent et il y eut des violences horribles des deux côtés.

Si Elizabeth n’a pas donné d’ordre direct au Kenya (et par la suite il faut lui reconnaître, malgré sa neutralité, ses gestes de réconciliation, à travers le Commonwealth, ce qui lui valut même des remontrances d’Enoch Powell !), elle donnait son assentiment personnel, le lundi 8 novembre 1965, à 11 h 30, à un Order in Council qui sanctionnait l’existence du BIOT en détachant, à la hâte, les Chagos de Maurice. L’idée était de saper ainsi toute tentative des Nations unies ou autres de monter campagne contre cette excision, en vue de la résolution onusienne 1514(XV) du 14 décembre 1960 qui interdisait pourtant une telle pratique ! (**)

Les Britanniques semblent, pour le moment très satisfaits, à 67 %, de garder leur monarchie. Les queues absolument sidérantes que l’on voit à Londres cette semaine (vendredi, l’on parlait d’une queue de sept kilomètres, où un individu prendrait jusqu’à 11 heures pour accéder au catafalque, alors que l’enterrement n’aura lieu que lundi !) l’illustrent bien. À chacun ses choix, bien évidemment ! Je prédis cependant que Charles n’aura jamais ni la perspicacité, ni le charisme de sa mère, que les controverses autour de la famille royale vont, de ce fait, s’accélérer et que l’érosion de cette institution, longtemps retardée par Elizabeth II personnellement, va s’accélérer.

Maurice a eu bon nez de devenir une république en 1992, même si le choix de chef d’État entre Charles III et Prithvirajsing Roopun est bien loin d’être évident…

(*) Pensez ici au Kohinoor, le plus gros diamant du monde valant jusqu’à $ 400 millions, ainsi qu’à tout l’or, tout l’argent et toutes les pierres précieuses récoltées des colonies et des razzias, au cours des siècles !

(**) https://sites.google.com/site/biotgovernment/biotgovernment-royal-prerogative-orders-in-council