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Une démocratie qui glisse, ça peut coûter !

7 septembre 2022, 09:22

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Un phénomène étonnant, voire inquiétant est de constater le repli, du moins numérique, des démocraties et la conversion accélérée de nombreuses démocraties nominales, en autocraties. Ce constat, c’est celui de V-Dem, un groupe de recherche basé à Göteborg, en Suède, qui indique que la progression de la démocratie sur les trois dernières décades a été complètement effacée et que la planète est retournée à la situation de 1989.

En effet, il n’y a plus que 34 nations totalement démocratiques au monde et elles ne regroupent plus que 13 % de la population mondiale, alors qu’ils étaient 42 pays pleinement démocratiques en 2012. 70 % de la population mondiale vit ainsi sous un régime autocratique, 26 % étant sous ce qu’il convient d’appeler des dictatures fermées et 44 % se retrouvant sous des régimes d’autocraties électorales. Parmi les pays importants qui se sont autocratisés ces dernières années, V-Dem identifie le Brésil, l’Inde, la Turquie, la Hongrie, la Pologne et la Serbie. Ainsi, même l’Union européenne voit une autocratisation plus marquée à l’intérieur de ses frontières, 6 de ses 27 membres étant en phase d’autocratisation. L’autre phénomène qui inquiète, c’est à quel point il est maintenant fréquent de voir un des piliers centraux de la démocratie libérale, c’est-à-dire les élections, être pris à partie comme étant truquées, faussées ou volées. Quand, grâce au «big lie» de Donald Trump, même les États-Unis s’y mettent, cela jette la consternation et agit comme un encouragement aux perdants d’élections de par le monde, qu’ils aient raison ou non ! Les germes du doute et de la remise en question des résultats des élections se propagent alors partout. Les bons perdants se font rares ! Il semblerait que les élections soient légitimes seulement quand on les gagne, même si l’on a abusé de la télévision nationale et du pouvoir de l’argent ! Après tout, le gagnant dira toujours qu’il n’a fait qu’«améliorer» ce qui se pratiquait déjà… et ainsi la spirale vers l’enfer ! Il est vrai pour un temps seulement, puisque le libéralisme des régimes politiques suit assez souvent un cycle semi-long d’environ 30/40 ans.

Ainsi, le score V-Dem de l’île Maurice se détériore fortement sur les 10 dernières années. Selon The Economist Intelligence Unit, nous étions, jusqu’en 2020, toujours la seule «Full democracy» d’Afrique, mais cependant notre score se dégradait aussi…

« Nos acheteurs d’IRS viennent de partout sur la planète, mais la grosse majorité aime bien la familiarité d’un pays qui n’est pas un État policier vivant de rafles et de torture, d’un pays qui a des élections libres, une presse plurielle et libre, des institutions indépendantes et respectées, un Parlement où l’on discute avec force certes, mais selon les règles… et c’est cet ensemble qui semble glisser de plus en plus de notre carte de visite que nous offrons au monde »

Pourquoi la chute de ces indices de démocratie compte ?

Pour la bonne et simple raison que l’indice de démocratie libérale coïncide très fortement avec la richesse d’une population, sa qualité de vie et son bien-être, y compris du point de vue égalitaire et au-delà du seul point de vue matériel (*). Loin de moi l’idée de suggérer que la démocratie mène invariablement et automatiquement à des situations citoyennes plus confortables et agréables, car on peut aussi faire la proposition inverse, mais cette corrélation est vive et très suggestive ! Il est vrai que la Chine, par exemple, a globalement fait des pas de géant matériellement sur les dernières décades. La Banque mondiale souligne ainsi qu’entre 1981 et 2015, le taux de pauvreté absolue en Chine (moins de 1,90$ par jour) a baissé de 88 % à 0,7 % ! N’empêche que le PIB chinois par tête n’est que de 21 364 $ en 2022 selon le FMI, alors même que malgré nos difficultés face au dollar, nous en sommes, ici, toujours à 25 043 $, selon la même source, à la même date. Qui plus est, la Chine a un indice de GINI bien pire (0,481) que le nôtre (0,368) ! Une carte du monde fait aussi voir (producteurs de pétrole, comme l’Arabie, mis à part) la très grande corrélation entre le ‘développement’ et le degré d’avancement de la démocratie. Il semblerait, en effet, qu’une démocratie ou un gouvernement qui soit redevable de ses actes et soigne les libertés de ses citoyens a bien plus de chances de travailler productivement pour l’avancement de son peuple tout entier.

L’autre indicateur phare, à mon sens, c’est celui des appétits migratoires. Je ne connais pas de documentation ou de statistiques indiquant une demande étrangère soutenue pour de la migration permanente vers le Nicaragua d’Ortega ou le Myanmar du général Min ou l’Iran de Khamenei ou la Guinée équatoriale d’Obiang. 98 000 individus ont bien émigré vers la Russie en 2019, mais ils venaient principalement d’Arménie et d’Ukraine, 97 % des travailleurs temporaires provenant des États périphériques CIS (**), faisant anciennement partie de l’Union soviétique. Pour l’Inde, la migration est périphérique avant tout. Par contre, la demande d’émigration vers les démocraties libérales est forte et vient de loin et l’on veut bien risquer le passage de la frontière américaine en container, tenter de traverser la Méditerranée en zodiac ou essayer le passage de la Manche dans n’importe quelle coque de pistache. Quand n’importe quelle famille d’ici veut fuir ce qu’elle n’aime pas, elle pense au Canada, à l’Australie ou à la France, pas l’Inde. Il est évident que les langues communes aident. Ne va donc pas en Chine ou au Japon qui veut. Par contre, l’émigration indienne vers l’Amérique ou la marocaine vers la France, souvent après les études, ça attire ! Pour des raisons économiques, mais aussi de libertés !

Une des raisons pour lesquelles notre textile a été longtemps un succès en Europe, c’est à cause d’un certain niveau de compatibilité culturelle – ce qui comprend un modèle et une ambiance démocratiques dans notre pays. De nombreux acheteurs de textile que je rencontrais quand j’étais banquier trouvaient peut-être moins cher en Chine, au Vietnam ou au Bangladesh, mais se sentaient plus à l’aise et plus ‘libres’ à venir ici, même à 25 % plus cher ! S’il nous faut essayer d’augmenter le nombre de touristes chinois, russes, turcs ou arabes, ne nous faisons pas d’illusions sur ceux qui veulent nous rendre visite, et pourquoi. Nos acheteurs d’IRS viennent de partout sur la planète, mais la grosse majorité aime bien la familiarité d’un pays qui n’est pas un État policier vivant de rafles et de torture, d’un pays qui a des élections libres, une presse plurielle et libre, des institutions indépendantes et respectées, un Parlement où l’on discute avec force certes, mais selon les règles… et c’est cet ensemble qui semble glisser de plus en plus de notre carte de visite que nous offrons au monde, ce qui est confirmé par V-Dem et d’autres !

Dans l’Afrique subsaharienne, il n’y a que deux «démocraties libérales» selon V-Dem, le Botswana et… les Seychelles. Dans cette dernière décade, seuls 4 pays de cette région auront fait des progrès démocratiques : la Gambie, les Seychelles, Madagascar et le Malawi. Maurice est spécifiquement cité, avec la Pologne et la Slovénie, comme un des pays où la liberté d’expression, et notamment les tracasseries faites à la presse et aux journalistes, aura reculé. Maurice reste, d’une tête de plus en plus courte, une démocratie électorale, même si elle fait partie d’un groupe de cinq pays qui ont continué à s’autocratiser, selon V-Dem, au cours de ces 3 dernières années (avec le Bénin, la Pologne, El Salvador, le Mali) alors même qu’elle faisait partie du groupe de tête des 10 pays qui s’autocratisaient le plus fortement depuis 2011.

Pendant ce temps-là, un de nos pays de peuplement et de référence, l’Inde, a changé de catégorie et basculé vers le statut d’autocratie électorale. Espérons qu’elle ne sera pas plus prise, ici, comme modèle ! Elle est suffisamment forte, elle, pour se le permettre. Le pouvons-nous ? Une démocratie qui glisse peut ne pas en coûter à ses dirigeants, qui feront dans tous les cas ‘le nécessaire’ pour eux-mêmes ; mais la probabilité est que ce ne sera pas, en finalité, le cas pour sa population dans son ensemble.

(*) Les pages 38 et 39 du Democracy Report 2022 de V-Dem sont à lire, à ce propos

(**) https://en.wikipedia.org/wiki/Commonwealth_of_Independent_States