Publicité

Humain, social, économique

13 juillet 2022, 13:57

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Formule saisissante dans la version française du discours budgétaire 2022-2023, au paragraphe 17 : «L’humain surtout, l’humain avant tout.» Dans sa version originale, où le mot anglais «human» n’apparaît nulle part, il est écrit : «It is all about people, and people above all.» Comme la traduction exacte du mot «people» est «peuple», il faut croire que le choix du mot «humain» est délibéré et dénote une volonté d’humaniser l’économie. 

Budget très social, reconnaissent même ses détracteurs. Les bénéfices sociaux augmenteront de Rs 8,3 milliards en 2022-2023, ou de Rs 23,5 milliards (+73 %) depuis 2018-2019, leur poids dans les dépenses courantes passant de 28 % à 36 % en quatre ans. Le gouvernement veut ainsi partager les fruits de la prospérité, comme si le pays avait prospéré ces deux années du Covid. Du moins, il cherche à tempérer l’économie par le social. 

Mais les relations entre humain, social et économique sont-elles vraiment conflictuelles ? Faire une distinction pour les opposer afin de les concilier, cela n’a aucun sens dans la mesure où il n’existe pas d’économie sans des humains. L’activité économique est avant tout action humaine, l’humain étant à tous les moments de l’acte économique : l’économie relève de la praxéologie. 

Il n’y a rien de plus social que l’économie : la production de richesses (qui est l’objet de l’économie) va de pair avec leur distribution (objet du social), qu’on ne doit pas confondre avec la redistribution (l’État réalloue les richesses). On a forcément un lien direct entre celui qui produit, grâce à son travail ou à son esprit d’entrepreneur, et la rémunération qu’il obtient pour sa contribution productive. Sinon, l’individu ne sera pas motivé pour produire, car il n’agit que si son action lui est personnellement bénéfique : pas de production, pas de distribution. 

La production n’a pas d’autre but que la satisfaction des besoins humains, ce que ne peut réaliser une politique de décroissance, bonne pour les nantis, pas pour les démunis. Chaque personne est libre de faire ses choix qui expriment sa situation, ses goûts et ses préférences. L’éventail des choix s’accroît avec la croissance économique, ce qui modifie les structures de consommation (moins de biens, plus de services achetés) et, par conséquent, amène les structures de production à évoluer. L’économie est un jeu social d’échanges mutuels de services. Elle est fondée sur l’ouverture à toutes les personnes de tous les horizons : sans les autres, on ne peut et ne sait rien faire. Pour obtenir d’eux le service dont on a besoin, on doit leur rendre service, et cet échange fixe le prix. 

L’économie est la science de l’échange : par elle, on apprend à servir les autres. Jadis le travailleur était vu comme une force physique. Aujourd’hui, les qualités requises sont l’intelligence, la créativité et la relation aux autres. C’est la part d’humanité de l’homme, cet animal social, qui est mobilisée dans le cadre de l’entreprise, ce que le télétravail peut difficilement faire. 

Le jeu économique participe donc d’une subtile alchimie sociale. Il répond à la définition d’origine de l’épithète «social», qui avait un sens clair : ce qui est caractéristique de la structure et du fonctionnement de la société. Ce qui est social a été produit par un processus d’évolution et de sélection, par une pratique qui s’est développée spontanément pendant plusieurs générations. Ce qu’on appelle un «ordre social» est le résultat involontaire d’innombrables actions interindividuelles, et non la création délibérée d’une volonté individuelle. Si l’on taxe de sociales toutes les forces qui coordonnent les activités humaines, alors il n’est plus une chose au monde qui ne soit sociale d’une manière ou d’une autre. En ce sens-là, l’économie est certainement un phénomène social, et accoler l’adjectif «social» au nom est un pléonasme. 

Le mot «social» est maintenant employé pour qualifier n’importe quelle mesure gouvernementale désirable, et pour imposer une conception ou une idéologie à la société, de sorte que tous les termes avec lesquels il est combiné sont dépouillés de leur vrai sens. Ainsi, la politique sociale (ou Sozialpolitik dans la langue du pays qui était à la tête de ce mouvement) devient la préoccupation des gens, et «social» en vient à remplacer les mots «moral» ou «bon». Désormais, «social» est l’étiquette de la vertu prééminente, la qualité dans laquelle excelle l’homme de bien, et l’idéal par lequel l’action publique devrait être guidée. 

Mais le fondement d’un comportement moral est plutôt de respecter des règles qui ont acquis une autorité générale, telles la liberté, la vérité et l’intégrité. Ce qui est organisé par l’État n’a rien à voir avec le caractère spécifique des forces sociales. Par-delà la propagande anti-économique, l’ajout d’une fanfreluche adjectivale n’apporte rien à la valeur d’un acte, si ce n’est de la confusion dans les rapports entre l’humain, le social et l’économique.