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Les 103 coups de «tap latab» avec des sorciers à l’œuvre

11 juin 2022, 11:01

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Si les parlementaires du gouvernement ont tap latab en pas moins de 103 fois pour saluer bruyamment les mesures budgétaires du ministre Renganaden Padayachy le mardi 7 juin, c’est qu’il y a eu un sorcier qui a offert les ingrédients pour monter toute cette opération. Ce sorcier s’appelle Dev Manraj, un vétéran du spin politico-financier ayant connu plusieurs combats.

Outre les politiciens au pouvoir, de nombreux Mauriciens ont eu l’impression ce mardi-là d’assister à un lâchage du ciel d’une succession de cadeaux du ministre, donc du gouvernement. Un sentiment d’euphorie s’est bien vite installé. Ce n’est qu’après coup qu’on a réalisé que les cadeaux ne venaient pas des coffres du Sun Trust mais que l’inflation et la chute de la roupie aidant, le gouvernement verra ses revenus augmenter de façon exponentielle. Le cadeau de Rs 1 000 est largement récupéré par le plus de Rs 1 000 qu’on paierait comme TVA additionnelle.

Néanmoins, le show de mardi dernier de Padayachy a été impressionnant; de nombreux Mauriciens entendant des roupies sonnantes entrer dans leur poche quand un grand projet d’infrastructure pour leur ville ou village n’était pas annoncé. On se demande pourquoi le ministre n’a pas annoncé l’extension du tramway au nom grandiloquent de ‘Métro’ aux villages de Triolet, Goodlands, Rivière-du-Rempart, Flacq, Mahébourg, Souillac et Tamarin. Probablement pour ne pas donner du crédit à Nando Bodha, l’ex-blue-eyed-boy de la famille Jugnauth. Lors de la dernière campagne électorale, Bodha annonçait en bhojpuri à l’intention des chachi que le rel-gari, c’est à dire le train, viendrait aussi dans leur village.

Padayachy rejoint ainsi Vishnu Lutchmeenaraidoo, le plus grand maître dans l’œuvre du spinning budgétaire. Toutefois, à tout gourou, tout honneur, l’homme qui fit du Parlement un véritable champ de bataille lors des grandes épreuves a été incontestablement Harish Boodhoo. C’est avec lui que commença en 1983 cette belle tradition de tap latap à l’Assemblée législative. Auparavant, c’est dans un silence religieux qu’on écoutait le ministre des Finances Veerasamy Ringadoo. Au fait, la plus grande ovation que Sir Veerasamy reçut au Parlement fut à l’issue d’un discours fort musclé en 1979 au cours duquel il menaça de graves conséquences les barons du secteur privé qui s’appropriaient le «fat of the land» mais qui avaient osé organiser une journée de lockdown économique dans le pays.

Si Harish Boodhoo s’assurait du modus operandi des grandes manœuvres au Parlement, Vishnu Lutchmeenaraidoo, soutenu par Gaëtan Duval et Sir Anerood Jugnauth, jeta les grandes bases de la relance économique. Lui-même maîtrisant les complexités économiques et financières, Lutchmeenaraidoo monta une équipe de techniciens de calibre, avec le concours déterminant de Dev Manraj. C’est l’homme qui sait créer des projets destinés à appâter la population, mais sans ruiner les finances de l’État. Il sait comment cibler les différents segments de Mauriciens. Lors du dernier budget, on a réussi même à mentionner la Roman Catholic Education Authority (RCEA). Cela a dû attirer l’attention de nombreux Mauriciens surtout dans le sillage de la controverse autour du message du chef de l’Église catholique censuré par la MBC. Au fait, le gouvernement accordera des fonds aux écoles communautaires, dont celles de la RCEA. Mais l’impression créée laissait croire que le gouvernement aidait cette institution catholique, donc l’Église même.

Autre astuce de spinning dans le récent Budget: la suppression de la taxe municipale. Au fait, sur le plan politique, le MSM scorait un point fort appréciable car on réparait ainsi une injustice sociale. Car dans les villages, on ne paie pas de taxe à une collectivité locale. Du point de vue financier, les naïfs ont cru que le gouvernent causerait la faillite des cinq municipalités du pays. Ce que l’on ne sait pas, c’est que la taxe n’est pas suffisante pour faire rouler une municipalité.

C’est l’État qui offre les fonds de roulement. On en accordera davantage aux villes mais cela serait largement compensé par l’augmentation générale des revenus en termes de taxes douanières, de TVA et autres redevances, dont les fortes charges sur les produits pétroliers. Déficit budgétaire, oui, mais pourquoi pas de tap latab quand on réalise que les revenus du gouvernement passeront à Rs 129 milliards, dont Rs 86 milliards seulement en TVA ? Mais Dev Manraj n’a pas été le seul sorcier à l’œuvre.

Comment ne pas reconnaître le grand coup réalisé par le directeur général de la MBC, Anooj Ramsurrun, juste après la lecture du budget le mardi 7 juin ? En effet, la MBC a passé un épisode-chanson du chef d’œuvre Mother India de Mehboob Khan, probablement le plus grand cinéaste que l’Inde ait produit. Le film raconte le calvaire d’une paysanne, Nargis, qui fait face à de nombreuses difficultés, y compris le harcèlement sexuel d’un usurier et de graves conditions climatiques affectant sa plantation. Ses enfants (Sunil Dutt et Raaj Kumar) doivent tirer la charrue aux côtés des bœufs.

Le clip met en relief la chanson dukh bhare beetee re bhaya, qui veut dire «nous avons connu la grande pauvreté, frère». Le message de la MBC était vraiment destiné à certains Mauriciens pour qu’ils se montrent reconnaissants envers tout ce que le gouvernement fait en leur faveur. À décoder le message de la MBC, le passage de l’ère de Nargis dans les années 1950 à Maurice de 2022 se résumait à une transition du dukh au maja-karo.