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Pratique magique et dialogue de sourds

11 juin 2022, 10:13

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À partir de lundi, au Parlement, place aux débats sur le Budget. À tour de rôle, pour appuyer l’Appropriation Bill (2022-23), les élus du gouvernement vont énumérer et flatter les mesures budgétaires de Renganaden Padayachy. Ils auront 28 heures pour traduire leurs 103 coups de tap latap en flagorneries pour le Hansard. Dans son camp, personne ne contestera les mesures et tout un chacun rendra un hommage spécial à Pravind Jugnauth pour son «leadership éclairé».

Pour leur donner la réplique, en 16 heures, les députés des oppositions évoqueront le manque de transparence du ministre des Finances par rapport aux fonds spéciaux, l’utilisation abusive du CSG pour financer la hausse accordée aux plus de 65 ans, la vente prochaine des bijoux de l’État (lesquels ?) à hauteur de Rs 22 milliards, la non-baisse des prix de l’essence et du diesel alors que le trésor de guerre que s’est constitué le gouvernement depuis 2019 aurait pu être utilisé pour soulager les automobilistes dans l’immédiat.

En temps normal, les divisions entre économistes sont connues sur la place publique. Au Parlement, les divergences sont magnifiées. Quand vous rajoutez une couche politicienne sur les divergences, cela prend des allures démagogiques et du coup le grand public se perd entre les explications des uns et les contestations des autres. Les vérités et logiques économiques sont ouvertement défiées sur l’autel politicien. Nous sommes dans l’affrontement systématique, où la forme prend le dessus sur le fond, où le complexe devient simpliste.

Dans notre édition d’hier, l’ancien ministre des Finances et économiste Rama Sithanen est allé bien plus loin que les firmes d’expert comptable (qui utilisent souvent un langage aseptisé pour critiquer le Budget). Il a débiné le tour de magie de Renganaden Padayachy qui nous faisait croire qu’il n’avait pas beaucoup de «fiscal space», mais qu’il tenterait quand même d’aller jusqu’à «la limite de nos moyens». Sur ce, le peuple avait retenu son souffle et n’espérait pas grand-chose à cause de la faible marge de manoeuvre du Grand argentier. Puis coup de baguette de magique (sous la houlette, apparemment, de Dev Manraj) : plusieurs lapins sont sortis du chapeau de Padayachy. Manifestement on ne vit plus au temps où le Financial Secretary empêchait les ministres de jouer ainsi avec les chiffres budgétaires, en camouflant l’argent dans des fonds spéciaux avant de le faire réapparaître.

Contrairement à ce qu’on avait appris en classe, les revenus du gouvernement n’augmentent pas uniquement quand les activités économiques et le PIB augmentent. Ici, nous avons un cas où le PIB a chuté considérablement tandis que le gouvernement éprouve des dificultés à pousser la roue de la croissance. Pourtant les recettes fiscales ont augmenté ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Cela signifie-t-il que le gouvernement est le premier et principal agent de promotion de la pauvreté puisqu’il ne crée pas la richesse, mais en consomme ?

Avec des politiciens aussi malins que Bheenick, Sithanen, Lutchmeenaraidoo et maintenant Padayachy, souvent aidés par l’éternel Dev Manraj, les Mauriciens dans leur grande majorité n’arrivent pas à suivre la trajectoire économique de leur pays. Entre les trous, le niveau d’expertise, le manque de transparence, et l’affrontement systématique, il y a de quoi rendre confus tout un chacun, y compris les experts des institutions de Bretton Woods et de Moody’s. Mais le dicton est connu : «you can fool some people some time, but you can not fool all the people all the time !»

Au-delà des chiffres, c’est la dimension qualitative qui importe. Si un bloc se révèle incapable de répondre à la question sociale ou économique, il va alors critiquer les propositions de l’autre, car il ne souhaite pas voir son électorat basculer de l’autre côté. Mais la plupart du temps, à la place de vrais débats contradictoires qui peuvent éclairer la masse, nous nous enfonçons dans des positions et oppositions caricaturales et démagogiques, loin de la vérité des chiffres et de la compréhension du commun des électeurs.