Publicité

Paroles de ministre

9 février 2022, 07:59

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Qu’est-ce qui a bien pu pousser le ministre de l’Agro-industrie à annoncer qu’il fallait mettre le rapport de la Banque mondiale sur l’avenir du secteur sucrier/cannier au frigo en juillet 2021 ? À l’époque, il suggérait que ce rapport pourrait être «mal interprété». 

Aux opérateurs de ce secteur, le ministre Maneesh Gobin a finalement fait une présentation, samedi dernier, de ce document intitulé Mauritius Sugar Cane Sector Review. Notons que ce document est, en fait, daté du 19 décembre 2020 et que plus d’un an plus tard, personne ne semble être en mesure de dire ce qui aurait pu avoir été «mal interprété» au point de justifier 14 mois de réflexion de plus. Ainsi va le monde. Qui a pas mal changé entre-temps d’ailleurs ! 

Pourtant, la question paraissait pressante puisque la Banque mondiale était sollicitée ! En effet, si le prix du marché mondial semble bénéficier d’une embellie relative récente depuis avril 2020 quand la livre de sucre valait 0,10$ ; le prix du sucre s’affichant à 0,19$ la livre à décembre 2021, le fait est que ce prix est le même que celui de juillet 2009 et que ce prix n’a été dépassé que 43 fois sur les 149 mois qui nous séparent de juillet 2009. La dépréciation de la roupie sur cette période a certes aidé les revenus en roupies, mais apparemment pas assez pour contrer l’augmentation des coûts de production, notamment pour les petits planteurs qui représentent 19 % de la surface sous culture et dont le coût de production est entre 16 et 26 % plus cher que celui du secteur «corporate». Car la BM nous annonçait Rs 1,4 milliard de pertes annuelles pour le secteur, ce qui forçait Rs 1,5 milliard d’injection des fonds publics, principalement en faveur des petits planteurs qui sont passés de 27 000 en 2004 à 12 000 ces jours-ci et que la BM suggère de rendre plus productifs ou, à défaut, d’en favoriser la conversion à une autre activité, en proposant une subvention de Rs 75 000/hectare. 

Pour sauver l’industrie cannière, la BM préconisait alors d’augmenter le prix payé pour la bagasse utilisée pour générer de l’électricité à son équivalent énergétique de Heavy Fuel Oil (HFO), une réduction des coûts de la logistique d’exportation par Rs 200 millions par an, une augmentation de la production des sucres spéciaux à au moins 50 % du total, une réduction de 40 % des coûts de la main-d’oeuvre et de s’assurer que le pourcentage de High tech farms passe à 95 %. On parle de tout cela depuis des années, me semble-t-il ! Maintenant ça aura l’avantage d’avoir été documenté par la BM… 

Il est à noter, à cet effet, que le Budget 2021-22 a déjà annoncé le paiement de Rs 3 300 par tonne de sucre pour couvrir la valeur intrinsèque de la bagasse, ce qui est déjà un pas rationnel ! Cependant, quand le CEB doit, comme ces jours-ci, payer son huile lourde beaucoup plus chère, ne faudrait-il pas aussi indexer ce prix de la bagasse sur le prix des hydrocarbures, au moins partiellement, afin d’inciter à produire plus de canne/bagasse dans un scenario win/win pour le pays ? La bagasse est, en effet, cruciale à nos défis d’énergie renouvelable, n’est-ce pas ? 

Le dernier Budget garantissait un prix de Rs 25 000 pour la tonne de sucre, le non-paiement de la prime au SIFB et 50 % de subsides sur les fertilisants pour les petits producteurs de jusqu’à 60 tonnes. Ce ne sont malheureusement pas des incitations à une meilleure productivité, mais bien des palliatifs pour assurer une survie temporaire. Peut-être même que quelques-uns se sont depuis astreints à produire moins que 60 tonnes s’ils en faisaient 75 précédemment ? Peut-on extrapoler qu’une unité de stockage de 150 000 tonnes de sucre à Riche Terre va suffisamment réduire, comme souhaité, les coûts logistiques à l’exportation, ou est-ce aussi une opération foncière intéressante pour Landscope et pour l’actuel propriétaire des terrains abritant le vrac, c’est-à-dire la Mauritius Ports Authority ? 

L’industrie cannière est importante pour le pays. Son savoir-faire accumulé est colossal et mérite de ne pas être enterré. C’est une industrie qui, de plus, est vitale pour atteindre l’objectif ambitieux de 60 % d’énergies renouvelables jusqu’en 2030 ! Espérons que nous pourrons, par-delà les droits acquis des uns et le carcan émotionnel historique des autres, concrétiser un avenir soutenable à cette industrie qui ferait bien, en parallèle, de poursuivre ses initiatives fiables vers plus d’autonomie alimentaire. 

****** 

Le ministre des Finances accordait la semaine dernière une interview à Business Magazine qui était parlante à plus d’un titre et qui consacrait le rôle du ministre défendant sa cause et se faisant le promoteur d’un optimisme qu’il espère fécond. Ce fut plutôt réussi. 

Nous convenons tous qu’un retour à la normale dans le secteur touristique est primordial pour la réalisation des objectifs de ce pays. Il n’y a pas, non plus, de désaccord que le soutien du gouvernement aux entreprises et aux ménages, que le ministre Padayachy situe à 32 % du PIB, a été capital et salutaire dans la situation exceptionnelle de la pandémie. Il fait même un argument ‘sans tabou’ et assez convaincant sur l’erreur qui consisterait à «brider la relance économique sur l’autel de l’austérité». Il a su apparemment remplacer la notion du «whatever it takes» par du «tailor made» plus rationnel… 

Mais puisque lui-même dit que «pour pouvoir améliorer la réalité, il faut d’abord accepter de la regarder en face», il faut peut-être lui rappeler que 

(i) Le manque à gagner de Rs 100 milliards de devises lourdes par l’industrie touristique aurait pu avoir été partiellement évité si l’on avait acheté les vaccins et avait ouvert l’aéroport plus tôt, comme les Maldives ou les Seychelles, et si l’on n’avait pas été bêtement obnubilé par l’objectif de «mourir de tout, mais pas de Covid» 

(ii) Le dépassement de la performance d’avant la crise dans les secteurs de la construction (+ 1,4 %), de l’ICT (+17 %), de l’agriculture (+ 16 %) ne tient la route que si comptabilisé en roupies. Pas en dollars. Pour rappel, le PIB par tête était de 11 058$ en 2019 et en est réduit à 8 784$ en 2021 (moins 20,6 %). Le PIB par tête est estimé à 9 136$ en 2022…

(iii) Même si un des procès enclenchés par Business Mauritius pour la CSG a été retiré la semaine dernière, la loi ayant été votée, le problème reste entier, «en toute sincérité» ! L’estimation du FMI reste toujours que la pension universelle nous coûtera 8,5 % du PIB en 2023-24 (soit Rs 37,5 milliards par an, net) et plus encore par la suite au fur et à mesure que la population vieillira et vivra plus longtemps, sans que l’âge de la retraite ne bouge et sans targeting… Le flou reste entier sur comment on va faire, puisqu’un plan détaillé n’a jamais été publié… 

(iv) La réduction apparente de la dette nationale de 87,2 % du PIB en juin 2021 à 80,9 % en décembre 2021 doit, pour une bonne partie, provenir des Rs 25 milliards ‘libérateurs de dettes’ via Airport Holdings Ltd ainsi qu’à l’amélioration de l’estimation du PIB annuel de Rs 435,7 milliards en juin 2021 à Rs 461,9 milliards à décembre 2021 (+6 %), ce dernier chiffre n’étant d’ailleurs, pour le moment, qu’un forecast selon le dernier Monthly Statistical Bulletin de la Banque centrale. 

(v) Le gouvernement n’a réduit, que nous le sachions, ni ses gaspillages, ni son train de vie et s’il l’a fait, il ne pavoise pas. 

(vi) La balance commerciale, ça va de mal en pis et la roupie qui glisse, ça vide nos poches. 

Mais «prenons de la hauteur et extirpons-nous de l’unique immédiateté» pour reprendre la belle formule du ministre et espérons que le tourisme dûment revigoré, les accords commerciaux avec l’Afrique, l’Inde et la Chine, une éducation bonifiée, la pharmaceutique, l’économie de la connaissance (!), les énergies renouvelables et nos secteurs traditionnels comme le sucre, les services financiers, la zone franche, la construction et l’ICT nous mèneront vers des sommets de production et de productivité qui nous sortiront d’affaire et nous feront progresser. On en aura bien besoin dans cette course qui nous concerne tous entre la croissance et l’inflation ! Et pour cela, il faudra travailler dur et peut-être enfin cesser de polluer l’image de ce pays avec les miasmes d’une gouvernance à une forte tendance tant népotique que totalitaire ?