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Affaire Kistnen : Corruption des esprits

4 septembre 2021, 12:24

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Rideau cette semaine sur le deuxième volet de l’enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen. Parmi toutes ces explications macabres, pistes absurdes et autres hypothèses saugrenues mises en avant durant ces huit derniers mois, retenons l’éclairage du Dr Satish Boolell, médecin légiste rompu aux enquêtes policières, surtout celles qui ne tiennent pas la route. Son expertise aiguisée au scalpel, sa longue expérience et pratique des Casernes centrales, son professionnalisme et son flair d’enquêteur ont permis, cette semaine, à l’enquête de séparer, dans une large mesure, le vrai du faux, et de mieux comprendre pourquoi la police a (assez maladroitement) tenté d’orienter l’enquête, dans un premier temps, vers un suicide, alors que pratiquement tous les éléments scientifiques pointaient clairement vers un meurtre de Soopramanien Kistnen loin des champs de cannes de Telfair Square. C’est bien bien après que l’on a appris que le médecin légiste Ananda Sunnassee a des liens de parenté solides avec des suspects de cette sordide affaire; liens qu’il a choisi de ne pas révéler à la justice…

L’affaire Kistnen donne froid dans le dos des plus blasés et expose un réseau obscur comprenant businessmen, hommes de loi, hommes religieux, policiers, médecins légistes, pseudo-enquêteurs et reporters, mis en place pour conditionner l’opinion publique et tenter de sauver un ex-ministre MSM de l’ignominie. Or, les éléments qui remontent peu à peu à la surface, grâce à la détermination de la veuve Kistnen (qui a résisté à une campagne d’intimidation et de dénigrement), des Avengers (qui appellent à la mobilisation populaire le 16 octobre) et du bureau du DPP, font voir que l’affaire Kistnen dépasse de loin le simple cadre d’un règlement de comptes. A tel point que le Premier ministre a cru utile de préciser, cette fois-ci, qu’il n’a jamais dit avoir fait une enquête sur l’affaire Kistnen et le rôle de Yogida Sawmynaden. Pravind Jugnauth, avec tout son sérieux, a avoué avoir «simplement rassemblé des éléments». Comprenne qui pourra.

Si, au fil des actualités et des années, on a fini par s’habituer aux scandales impliquant des membres du gouvernement, l’on a définitivement franchi, avec l’affaire Kistnen, un cap, tant l’intrigue, la trame, les centaines de millions et les acteurs interpellent. Notre journaliste Narain Jasodanand, qui a suivi cette affaire bien avant qu’elle ne fasse la Une des journaux, nous explique comment les questions pertinentes de Me Azam Neerooa au Dr Satish Boolell donnent à réfléchir. «Pourquoi y avait-il des oeufs de mouche sur le cou du défunt ?» Ces mouches, écrit-il, ont permis au Dr Boolell de dire que selon toute probabilité, Kistnen est bien mort vendredi, soit deux jours avant la découverte de son corps sans vie un dimanche d’octobre 2020, le 18 pour être plus exact et à 18 h 30. Cependant, ces nids de mouches n’indiquent pas nécessairement qu’il y avait une blessure à l’arrière du cou du malheureux. S’il y en avait une, a expliqué le Dr Boolell, elle se serait rapidement cicatrisée par le feu, sans pratiquement laisser de traces visibles. Et à la lecture du rapport médico-légal, le Dr Boolell a rappelé qu’il n’y avait pas de blessure profonde au cou de Kistnen. Ce qui le pousse à conclure que si l’ex-agent du MSM a reçu un coup à l’aide d’un objet contondant à la nuque, le coup n’était pas assez fort pour le tuer, juste l’assommer. Mais comment est-il mort alors ? Réponse : «Probablement par asphyxie.» La réponse du Dr Boolell est loin des «explications sommaires du Dr Sunnassee» qui avait cité le passe-partout oedème pulmonaire comme cause possible de la mort…

On l’a déjà écrit et, plus que jamais, on le maintient : les terribles révélations qui remontent à la surface depuis le 18 octobre, quand Kistnen a été retrouvé mort calciné dans un champ de canne, les pieds nus, et sans son téléphone, viennent démonter et démontrer les liens mafieux qui existent entre le pouvoir et ceux qui gravitent autour du pouvoir et des institutions publiques.

Entre les séances à Moka et les récits de presse, il existe un dangereux mélange de menaces, d’intimidations, de faux documents, d’appels d’offres pour des équipements médicaux durant le confinement, avec la complicité experte de plusieurs ministères et de la State Trading Corporation, des compagnies, contrats et emplois fictifs, du trafic d’influence, de la corruption (petite et grande), de l’enrichissement illicite. Ce n’est pas fini : il y a aussi comme ingrédients le rôle ambigu de la police et l’état des caméras de Safe City, les agissements des gardes du corps, les dessous de table, les instructions criminelles qui viennent pratiquement, selon la formule consacrée, toujours d’en haut, les élections et les moeurs électorales, une justice à vitesses multiples. Cette affaire est, en bref, le condensé d’un pays à la dérive…