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Maurice va-t-elle reconnaître les talibans ?

3 septembre 2021, 16:26

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On peut les aimer ou pas, mais le fait est que les talibans sont désormais les nouveaux maîtres en Afghanistan. Ils constituent ces jours-ci leur nouveau gouvernement et font donc partie de cette nébuleuse communauté internationale dont l’élasticité, depuis la fin de la guerre froide et l’avènement du terrorisme international, est testée en permanence. 

Pour sortir d’une logique de guérilla et prendre la posture d’un gouvernement inclusif, les talibans auraient (en temps normal) besoin d’adoucir leurs propos et de tendre la main en quête d’une reconnaissance internationale, au-delà de ses alliés stratégiques, comme le Pakistan, la Chine, la Russie et l’Iran. Pour leur part, les États-Unis, qui essaient laborieusement de justifier leur sortie chaotique de Kaboul, et l’Union européenne ont d’ores et déjà imposé des préalables démocratiques, notamment la façon dont les talibans traiteront les droits des citoyens, en particulier ceux des femmes, et de la presse, avant toute discussion relative à l’aide internationale – sans laquelle l’économie afghane risque de s’effondrer dans pas longtemps. 

La question qui fait débat : les talibans serontils sensibles à la communauté internationale ? Ou choisiront-ils de gouverner en tournant le dos à l’ONU, à l’instar des régimes totalitaires, comme, par exemple, ceux d’Ali Khamenei ou de Kim- Jong un, quitte à plonger une bonne partie de la population dans la famine ? 

Après le départ des Américains, les talibans découvrent l’immensité du challenge qui est de diriger un pays comme l’Afghanistan. À ce jour, nul ne peut vraiment dire s’ils ont le soutien de la majorité de la population afghane. Certes, les talibans ont leurs assises bien établies dans des régions du Sud, de l’Est et du Sud-Ouest. C’est-à-dire dans les régions pachtounes (y compris au Pakistan, de l’autre côté de la frontière) à l’instar de la grande majorité des militants et des dirigeants des talibans. Cependant, dans les villes, ils ne sont pas les bienvenus. Face à leurs mitraillettes, les citadins, principalement les jeunes et les femmes, n’ont d’autre choix que de se taire, pour l’instant, en essayant de s’adapter à leur nouvelle réalité. 

Tout ça pour ça ? Après une guerre longue de 20 ans qui a coûté plus de 2 000 milliards de dollars au contribuable américain, avec plus de 100 000 morts, le dilemme reste entier et complexe. D’un côté, il y a des droits humains, et de l’autre, la notion de l’autodétermination d’un peuple. Pour ceux qui sont en faveur du principe de l’auto-détermination, lui-même soumis à une forme de gouvernance mondiale, il ne faudrait surtout pas sanctionner et, partant, isoler les talibans. Autant pour des raisons humanitaires que de sécurité. L’exemple iranien ou nord-coréen est brandi comme gifle de rappel. 

De par sa diversité et sa complexité, le monde tourne par rapport aux intérêts, pas par rapport à l’émotion. Certes, la communauté internationale tente tant bien que mal de rassembler la grande famille de biens communs et autres biens publics internationaux, mais le poids supérieur des États-Unis et de la Chine, (qui se livrent à une guerre froide 2.0), dans la balance internationale fait pencher les allégeances souvent d’un côté ou de l’autre. Dans ce nouveau rapport bi-polaire, il devient alors difficile de trouver des consensus. «La fondation du concept de communauté internationale qui semble être la plus solide est la notion de patrimoine commun de l’humanité, dérivée de l’idéologie communautariste et solidariste. Celle-ci témoigne de l’existence de biens communs à l’humanité auxquels les intérêts particuliers des États doivent y être subordonnés. La communauté internationale y est envisagée comme une collectivité humaine unique. Elle se réfère ainsi aux intérêts communs de tous les hommes, au bien commun universel appartenant aux générations actuelles et futures», nous rappelle le Professeur Pierre-Yves Chicot. Propos pertinents pour le dossier du changement climatique, mais pas que… 

Dans les faits, notamment par rapport aux Chagos, l’on sait pertinemment bien que les grandes démocraties ne sont pas forcément des exemples à suivre en termes de respect des droits humains et du droit international. Les relations internationales comportent cette part d’obscurité humaine, qui les fait avancer ou reculer. Elles restent rarement statiques, car le monde évolue constamment. À force d’échanges et de commerce, on peut tenter d’expliquer les stratégies globales pour faire, par exemple, repartir la croissance macroéconomique d’un monde miné par le Covid-19, mais l’on peut difficilement cadrer et prévoir les comportements sociaux et humains. Il existera toujours, dans certains pays plus que d’autres, des ego politiciens surdimensionnés qui, à la tête de leur front national, pensent pouvoir oeuvrer en dehors du système international. 

Pour gagner du temps, bien des États essaient d’opposer à la complexité des constructions multilatérales le pragmatisme des relations bilatérales, basées, dit-on, «sur des bases égalitaires», ou «sur un vrai partenariat». Certes chaque pays a un vote au sein de l’ONU, mais, dans la pratique, cette typologie égalitaire s’avère surtout un mythe. 

L’histoire nous rappelle que les liens entre peuples et pays sont tissés sur un canevas de domination, de puissance, d’intérêts géostratégiques. Posons alors la question : Maurice va-t-elle suivre les Chinois – qui exploitent déjà les vastes mines de cuivre et les gisements de lithium en Afghanistan – et reconnaître les talibans, ou émulera-t-elle l’Inde qui s’inscrit sur la logique sécuritaire des États-Unis… Quoi que l’on fasse, le risque de froisser est réel et les intérêts de Maurice doivent primer. Mais quels sont-ils, au juste, ces intérêts-là…