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Indice de misère

14 juillet 2021, 08:06

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Définie par le dictionnaire Larousse comme un «état d’extrême pauvreté», la misère n’a pas d’indicateur précis. Statistics Mauritius adopte un seuil de pauvreté relative, et non absolue. Son rapport Poverty Analysis affirme qu’entre 1996-97 et 2017, «poverty level dropped significantly». Reste à connaître l’impact du Covid-19 sur l’état de la pauvreté dans le pays.

En attendant, il sied aux économistes de s’appuyer sur l’indice de misère qui se veut une mesure de l’appauvrissement d’un pays. Cet indice a été inventé par Arthur Okun, qui présidait le comité des conseillers économiques du président Lyndon Johnson, pour donner à ce dernier un aperçu digeste de l’économie américaine. L’indice d’Okun est égal à la somme du taux de chômage et du taux d’inflation.

Les taux officiels du chômage et de l’inflation d’une année sur l’autre pour Maurice en 2020 sont respectivement 9,2 % et 2,7 % : l’indice de misère est donc de 11,9. Il ne paraît pas inquiétant quand on sait qu’avant le Covid, il était de 11,3 en 2017, ou pire 20,9 en 2006.

Le professeur Steve Hanke a affiné cet indice en créant le Hanke’s Annual Misery Index : c’est la somme du taux de chômage, du taux d’inflation et du taux d’intérêt à l’emprunt, moins le taux de croissance réelle du PIB par habitant. Au classement de 2020, parmi 156 pays, le Venezuela arrive en tête (le niveau d’appauvrissement le plus élevé), l’île Maurice se situe au 54ème rang avec un indice de misère de 30,4, et Taïwan est le deuxième pays le moins misérable avec un indice de 3,8. La Guyane est la seule à obtenir un indice négatif (-3,3) qui traduit le bonheur.

L’indice de misère n’est toutefois pas fiable s’il ne se fie qu’aux chiffres officiels, car alors sa valeur sous-estime le niveau d’appauvrissement. Qui croit à une croissance économique de 5,4 % cette année ? Qui prête foi à une «year-on-year inflation» de 5,9 % en juin 2021 ? Qui acquiesce à l’estimation de 52 200 chômeurs en 2020 ?

Pour être considérée officiellement comme un chômeur et faisant partie de la population active, une personne doit non seulement être sans emploi, mais aussi rechercher activement du travail. Le taux de chômage est le pourcentage de la population active à la recherche d’un emploi : il suffit de réviser à la baisse la population active, ou le nombre de gens cherchant un travail, pour réduire le taux de chômage. Pour 2020, Statistics Mauritius enlève 20 900 personnes de la population active qui retourne ainsi au niveau de 2013, alors même que la population de 16 ans et plus a crû de 48 600 depuis !

Parmi les économiquement inactifs, il existait l’année dernière une main-d’œuvre potentielle de 42 000 personnes (contre 2 400 en 2019), soit des gens qui expriment un intérêt de travailler mais qui ne recherchent pas activement un emploi ou ne sont pas disponibles pour travailler. Ils sont pourtant au chômage dans les faits, pouvant basculer dans la population active à n’importe quel moment. En les incluant, on a 94 200 sans-emplois en 2020, soit un taux de chômage de 15,4 %.

De plus, nombreux sont ceux qui ont cherché du travail pendant si longtemps qu’ils ont cessé de le faire : ces travailleurs découragés sont exclus des statistiques du chômage. Une autre forme de chômage invisible concerne ceux qui ont fait n’importe quel travail pour quelques heures dans la semaine précédant l’enquête de Statistics Mauritius : ils sont inclus parmi les personnes ayant un emploi même s’ils auraient préféré un emploi à plein temps, du moins un travail qui met pleinement à profit leur compétence.

Si un nombre peut être entaché d’erreur, encore plus biaisé peut être un indice. C’est le cas de l’indice des prix à la consommation (CPI) qui est fondé sur l’idée erronée qu’il est possible d’établir un prix moyen des biens et services. Ajouter ou multiplier des quantités de biens complètement différents est dénué de sens. Un kilo de sucre et un litre d’huile ne peuvent pas s’additionner parce que ces deux produits ne sont pas similaires, et qu’ils sont évalués différemment.

Il se trouve qu’à chacune des deux dernières réactualisations de la composition du CPI, le taux d’inflation moyen était en nette baisse (3,5 % en 2013 et 3,2 % en 2018) comme si le précédent panier de biens et services avait surestimé l’inflation. On peine à y voir une simple coïncidence, car le choix et la pondération des produits du panier sont arbitraires. Comme la politique monétaire est devenue expansionniste depuis le début de la décennie 2010, on pourrait penser que la sous-estimation des nouveaux paniers du CPI serait une manière de dissimuler les effets inflationnistes des détentes successives du taux d’intérêt. De même, nombre de prix étant maintenant fixés par l’État, le taux d’inflation sera artificiellement tiré vers le bas.

Malgré les limites méthodologiques, les calculs des taux d’inflation et de chômage doivent être réalistes pour faire un bon indice de misère. C’est ainsi que Statistics Mauritius préservera son indépendance.