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Scramble for Vaccines

27 mars 2021, 07:55

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Scramble for Vaccines

On assiste à une débâcle de la vaccination sur la scène mondiale. Comme un ballon d’oxygène qui se dégonfle.

La belle solidarité des premiers jours de l’an 2021 laisse place à un protectionnisme honteux et dangereux, poussé par des lobbies mafieux qui sont plus forts que les États et les organisations onusiennes réunis. Pour preuve, l’influence de l’OMS et de son programme Covax se réduit comme une peau de chagrin, et n’arrive plus à répondre positivement aux SOS des nations défavorisées.

La Russie et la Chine, lasses d’attendre le feu vert officiel, contournent les règlements internationaux qui semblent vouloir les freiner. D’ailleurs chez nous, le Covaxin coule déjà dans nos veines en attendant que le Dr Laurent Musango daigne sortir de son silence presque comateux afin de tourner la plaque Stop/ Go. En attendant, la notion souveraine de l’État-nation, c.-à-d quand chaque pays brandit son chéquier ou s’enfonce dans la dette, est venue remplacer celle de solidarité mondiale, confirmant, s’il le fallait, le fait que les États n’ont pas d’amis entre eux, juste des intérêts. Et ces intérêts sont guidés par des principes autres qu’humanitaires, pour ne pas dire uniquement monétaires, mercantiles.

C’est pour cela que plusieurs pays riches, à l’instar du Royaume-Uni de Boris Johnson (qui est en guerre vaccinale contre le reste de l’Europe), essaient de bloquer les propositions visant à soutenir les pays en développement, dont ceux du continent africain, à améliorer leurs capacités de développement et de fabrication de vaccins peu chers.

L’argent, le business et les milliards de dollars semblent dicter la main invisible qui tend le vaccin, homologué ou pas. Pour corser le tout, l’Inde, qui se proclame comme «la plus grande pharmacie du monde», et qui fait elle-même face à une propagation galopante du virus, veut désormais conserver ses vaccins pour subvenir, dans l’immédiat, aux vastes besoins nationaux. Comme la demande intérieure de la Grande péninsule prime, cela provoque inévitablement un effet domino sur l’Europe, l’Amérique latine, l’Asie et bien évidemment l’Afrique, dont Maurice, malgré toute la bonne volonté de l’ambassadrice Nandini Singla.

De leur côté, les États-Unis ont déjà anticipé le Scramble for Vaccines et ne produisent pour l’heure que pour eux-mêmes, suivant la doctrine «on n’est jamais mieux servi que par soi-même». Mais pour autant le congrès américain ne perd pas de vue la realpolitik qui sous-tend l’économie mondialisée : «In short, no country will be freed from the economic effects of COVID-19 until the spread of the virus is firmly under control throughout the world. To put it another way: the jobs of autoworkers in the United States will not be secure until tire producers in Thailand and consumers in Brazil are also rid of the virus. The first step to avoid such an act of economic self-harm, is for the world’s richest economies to put sufficient funding on the table to procure vaccines for the world’s poorest…»

Dans la vraie vie, la pression pour maintenir les brevets des vaccins se trouve à son paroxysme – nonobstant le fait que ne plus avoir de brevets commerciaux aurait pu définitivement aider à combattre les inégalités criardes qu’on note dans la distribution des vaccins. Cependant, plusieurs experts, en Afrique et ailleurs, demeurent sceptiques : le transfert de connaissances ne permettra pas à lui seul d’accroître les capacités de fabrication industrielle de vaccins en Afrique, comme le prévient l’African Vaccine Manufacturing Initiative. Si cela pouvait se faire aussi facilement, des businessmen bien connectés aux pouvoirs africains, comme les Appanna, Mungroo ou Bonomally de chez nous, auraient sans doute déjà mis leurs vaccins sur le marché… Mais ici on ne parle pas de désinfecter la State Trading Corporation avec de la javel dans un arrosoir, ni de fabriquer des tiges pour enlever de la cire de nos oreilles, mais de technologies de pointe qui peuvent sauver ou achever des vies.

Les obstacles sur le chemin d’une industrie des vaccins en Afrique, comme à Maurice, sont nombreux : manque d’investissements financiers, de main-d’expertise et de main-d’œuvre qualifiée, de régulations, même si l’Afrique du Sud, le Maroc, la Tunisie, l’Égypte et le Sénégal participent en pionniers à la production de vaccins contre le Covid-19… sous stricte licence.

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L’histoire semble se répéter par rapport au conflit entre ceux qui soutiennent les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins et ceux qui poussent pour la production massive des médicaments peu chers pour sauver des milliards de vies. On avait observé le même phénomène en 1998, quand le continent africain faisait face à une flambée du VIH. Malgré les supplications de plusieurs gouvernements africains pour le retrait des brevets des entreprises pharmaceutiques afin de bloquer la progression du sida et de sauver des vies, celles-ci ont tout bonnement refusé. Richard Smith, ancien rédacteur en chef du British Medical Journal, et Drummond Rennie, éditorialiste au Journal of the American Medical Association, ont pas mal écrit sur ce mal capitaliste qui nous afflige et auquel il n’y a manifestement pas de vaccin. Les deux chercheurs ont démontré la complicité active de certains médecins, et des «KOL», Key Opinion Leaders, engagés pour conseiller l’industrie ou pour «éduquer» les masses. Selon eux, face à cette situation, «c’est l’ensemble de la chaîne du médicament qu’il faut changer – de la recherche à la prescription en passant par la régulation – mais également la formation des médecins.» D’autres universitaires ont depuis avancé des propositions, telles que la nationalisation de l’industrie pharmaceutique, la révision des prix de vente de vaccins, surtout, ceux comme le Covaxin, qui sont techniquement encore à l’essai. Oui, les Mauriciens, qui n’ont pas grand-chose autre que l’université de Maurice de Dhanjay Jhurry ou le Mauritius Standards Bureau de Sandya Boygah veulent bien être des cobayes, faute de mieux, mais à quel prix…