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Détrumpez-vous !

19 décembre 2020, 07:38

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Détrumpez-vous !

Il y a eu vraiment peu de bonnes nouvelles en 2020, mais parmi celles-là, reconnaissons le lock down réussi de Maurice – qui nous permet des fêtes plutôt normales en cette fin d’année, contrairement au reste de la planète ; l’arrivée des vaccins Covid – même s’il n’est toujours pas clair si l’on peut demeurer vecteur du virus, après inoculation * et… le départ prochain de Donald J Trump de nos horizons quotidiens ! 

Nous allons, en effet, être purgé d’un narcissique éhonté, d’un menteur patenté, d’un leader dont la vie ne peut sûrement pas être citée en bon exemple à nos jeunes enfants, d’un monsieur qui au nom de «faire différemment» a régulièrement bafoué les normes les plus fondamentales et même fendillé la démocratie américaine. 

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Une des plus grandes réalisations dont se vantait Donald J Trump dans les derniers mois avant la présidentielle du 6 novembre était, disait-il lui-même, la nomination de trois juges à la Cour suprême et de plusieurs centaines d’autres dans les tribunaux d’Etat et les diverses cours d’appel du pays. Ayant exclusivement nommé des républicains conservateurs, il espérait mieux mobiliser sa base politiquement, en promettant ainsi un bel avenir aux causes conservatrices. Sur ce plan, ce fut une réussite. Trump se plaisait même à remercier Obama moqueusement de lui avoir laissé cette ouverture, où il s’engouffrait d’ailleurs avec délice. Son calcul ne s’arrêtait pourtant pas là. Fort de ses habitudes établies de businessman cynique, il croyait ainsi s’acheter aussi les faveurs et même la loyauté des juges, pour son avantage personnel éventuel ! 

C’est ainsi que, ces dernières semaines, les équipes de Trump initiaient plus de cinq douzaines de procédures tentant de renverser l’élection de Joe Biden. Dans la petite tête de Trump**, il allait gagner ces procès partout où il y aurait des républicains en charge… Parce qu’ils lui seraient inévitablement redevables ! C’était cependant mal connaître l’indépendance d’esprit des hommes (et des femmes !) qui deviennent juges ! En fait, la loyauté première de ces juges conservateurs et la raison même de leur choix étaient leur loyauté absolue à la Constitution – ce qui n’était pas du tout le cas de Trump et qui a finalement joué contre lui. 

Ses trois nominés à la Cour suprême se sont, par deux fois, rangés avec les six autres pour rejeter les plaidoiries de Trump. Autre exemple : au tribunal d’appel de Pennsylvanie, c’est le juge républicain Bibas qui remarquait que «calling an election unfair does not make it so» tout en soulignant qu’il manquait des preuves et même une accusation crédible et cohérente pour alimenter le dossier Trump. Des juges et des responsables d’élections en Arizona, en Géorgie, au Wisconcin, au Nevada et ailleurs rappelaient à Trump et à ses équipes légales qu’il fallait plus qu’un souhait pour convaincre un juge. Cette saine démonstration d’indépendance d’esprit est rassurante et rappelle à nos juges, à nos policiers, à nos régulateurs, aux autres employés de l’État et même au citoyen lambda, s’il le fallait encore chez nous, combien il est crucial de pratiquer les fondements d’une démocratie effective, plutôt que de seulement l’afficher pour la forme ! 

Faute de quoi, on aurait alors déjà passé la «ligne rouge» de l’autocratie… 

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Dans une contribution au NewYork Times, M. Jochen Bittner de Die Zeit fait une analyse des conséquences possibles du dernier grand mensonge de Trump à propos des «élections volées» et un rapprochement édifiant avec le grand mensonge de l’Allemagne impériale en 1918, il y a un peu plus de 100 ans. 

À cette époque-là, au coeur de l’implosion de l’Allemagne, un puissant groupe de conservateurs qui avait été responsable de mener ce pays à la guerre, n’a trouvé rien de mieux que de refuser ses responsabilités ainsi que la défaite militaire qui s’ensuivait, en invoquant le Dolchstosslegende, soit le mythe du «poignard-dans-le-dos» 

La thèse était que la défaite avait été déclarée, mais qu’elle n’était pas justifiée et qu’elle résultait, en fait, d’une énorme conspiration, une capitulation, une trahison nationale. Bittner souligne que cette thèse, aussi fausse que le grand complot pour «voler» l’élection de Trump, avait malheureusement convaincu suffisamment d’Allemands pour faire le lit fertile des thèses nazis, d’autant qu’on trouvait aussi des boucs émissaires et des conspirateurs appropriés sous les étiquettes juives et socialistes. Un peu de violence tapageuse, des discours musclés, des uniformes, la promesse d’un État fort et l’engagement de rétablir la grandeur de l’Allemagne et le reste, c’est de l’histoire… 

Au traité de Versailles, l’année d’après, le ressentiment allemand fut accéléré avec des réparations outrancières qui alimentaient encore plus un sentiment d’injustice et de trahison. 

M. Bittner souligne qu’étonnamment, ce double sentiment ne faiblissait pas après 1918, mais qu’au contraire, ils se renforçaient. La république Weimar s’effilochait et, parvenu en 1933, la grandeur, l’honneur et la fierté nationale étaient devenus des moteurs civiques majeurs, aux dépens de la démocratie. Le Führer, pour avoir les mains libres, mena une politique de suspicion et de paranoïa qui, petit à petit établissait le «fait» que ceux qui n’étaient pas d’accord, c-à-d les dissidents, menaçaient, en fait, l’État. 

Cette semence fasciste, toute proportion gardée au vu de la solidité des institutions démocratiques américaines, est quand même présente là-bas. L’institut Pew indique ainsi que 89 % des partisans de Trump pensent qu’une présidence Biden va causer des dommages durables aux États-Unis. 90 % des partisans de Biden pensent exactement le contraire. Cette polarisation de l’opinion, systématiquement souhaitée et promue par Trump, d’ailleurs, quand adossée à un système électoral qui est régulièrement «gerrymandered» pour ne PAS refléter le souhait majoritaire et une accusation régulière de la presse indépendante comme «l’ennemi du peuple» (y compris, maintenant Fox News !), promet des moments douloureux ces prochaines années. D’autant que 88 % des partisans de Trump pensent, selon YouGov, que les élections présidentielles ont été volées, malgré le fait que même les États dirigés par des républicains n’y trouvent rien à redire ! Rappelons quand même que si Biden a 7 millions de votes de plus que Trump, soit 4,5 % de marge, le fait demeure qu’il aurait suffi de renverser 81 139 voix dans quatre États pour maintenir Trump à la présidence*** ! 

Voilà, en effet, à quoi ça tient… 

Répétez le mensonge de l’élection «volée», répétezle encore suffisamment de fois, à ceux qui acceptent de croire et cela deviendra… la vérité ! La vérité alternative, il est vrai, mais on trouve, de cette manière, le fondement du génie de Goebbels ! 

Le mythe de trahison et d’injustice a donc apparemment jeté ses premières racines aux États-Unis. On peut imaginer que Trump va essayer de transformer ces braises en un brasier, même s’il semble être peu à peu lâché par la nomenklatura républicaine, ces jours-ci. S’il a fallu aux Allemands une deuxième guerre mondiale et des décades pour finalement exorciser leur Dolchstosslegende, le conseil de M. Bittner a toutes les nations du monde est fondamental : quand vous voyez les premiers signes, agissez rapidement pour contrer. Ce monstre doit être égorgé aussi vite que possible après la naissance, car plus il s’installe, plus il est difficile à extirper… 

Vigilance donc. Nous sommes prévenus.

*https://www.nytimes.com/2020/12/08/health/covid-vaccine-mask.html
** “I am a very stable genius “ déclarait Trump, sans sourciller en juillet 2018, au sommet de l’OTAN
***https://www.washingtonpost.com/graphics/2020/elections/vote-margin-of-victory/