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La crise existentielle du travailleur

1 mai 2020, 07:02

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Nous vivons un 1er-Mai inimaginé. La plupart d’entre nous, confinés, se retrouvent en congé forcé. D’autres ne vont plus sur leur lieu de travail, mais participent quand même aux activités de leur entreprise, grâce au télétravail – ils sont chanceux. Certains qui n’aimaient plus leur travail veulent le reprendre au plus vite, ayant réalisé sans doute la chance qu’ils ont d’être toujours des salariés dans ce monde en décomposition économique, où plus rien n’est acquis, car il faut recommencer sur de nouvelles bases. 

Dehors, il n’y a pas d’embouteillage, bien moins de pollution et de tapage. Aujourd’hui, il n’y aura pas de haut-parleurs qui hurlent, pas de rassemblements politiques, où les partis comptent les partisans, alléchés par du briani, du rhum et un bus pique-nique gratuit, comme du bétail, afin de se proclamer grand vainqueur de la bataille des foules. Guerre psychologique, bataille politique, souvent sur le dos des travailleurs. Les photographes n’auront pas à sortir leur grand-angle. Les journalistes n’auront pas à écouter patiemment tous ces discours, souvent insipides, creux, répétitifs, qui n’apportent pas grand-chose au débat public. Les politiciens ne vont pas nous appeler parce qu’on n’a pas mis une citation ou une photo d’eux, alors qu’ils faisaient leur grand oral, le poing levé. Il n’y aura pas de regroupements syndicaux dans la rue mais sur la Toile et dans des chat rooms. Et chacun, de son côté, aura une pensée pour ceux qui font tourner les services essentiels, souvent en première ligne contre le virus. Ils sont devenus nos héros du jour au lendemain. Des héros masqués. Qu’on applaudit, mais jusqu’à quand ?

Sans doute, le plus important, en ce moment où le monde se doit de faire un choix entre la vie humaine et celle de l’entreprise, c’est de soulever les questions qui font surface, alors que nous faisons notre introspection sur nous-mêmes, notre entreprise, et questionnons notre rapport au travail et, peut-être même, à la vie. Le travail et le travailleur lui-même ressembleront à quoi demain… à un vaste réseau informatique verrouillé et protégé des virus car l’Open Space n’est plus à la mode ? 

Allons-nous revaloriser, pas uniquement sur le plan social, les oubliés du système, ceux qui auparavant étaient invisibles, qui se révèlent indispensables aujourd’hui ? Les caissières et tous ceux qui font tourner des supermarchés, les éboueurs, boulangers, soignants, médecins, policiers, chauffeurs, enseignants qui animent des classes sur Zoom avec des enfants, ne méritent- ils pas d’être encouragés sur le plan salarial ? Comme ces métiers sont aujourd’hui dans la lumière, il ne faudrait pas que les projecteurs s’éteignent sans que leur sort ne s’améliore, quitte à couper dans d’autres secteurs moins stratégiques. Cependant, comment y remédier et se focaliser sur ces métiers essentiels, sur les manquements en termes de ressources auxquels ils font face, alors que le Covid-19 vient bouleverser la notion économique de la valeur même du travail ? Et alors que les caisses du gouvernement et du privé sont désespérément vides…

Au niveau décisionnel, directeurs et autres managers réfléchissent, depuis la mi-mars, aux adaptions imposées par le Covid-19 et si nécessaires si l’on veut rester en vie. Ils revoient le fonctionnement de leurs équipes afin de booster la productivité, travailler mieux, dépenser moins, éliminer les gaspillages. Les syndicats vont crier : non, on ne peut pas travailler plus, sans vraiment dire comment faire pour faire redémarrer l’économie… Le gouvernement, qui avait promis monts et merveilles en décembre dernier, a déjà rangé son habit de père Noël. Mais sera-t-il crédible en Père Fouettard ? 

Pour compenser le manque de revenus, il n’y a pas d’autres solutions que de baisser les coûts. Et pour baisser les coûts, le virus nous oblige à revoir la manière dont le travail a été évalué jusqu’ici. La transition n’est pas simple car, idéalement, l’on ne devrait pas considérer les salariés productifs, essentiels, dévoués comme un coût qu’il faut réduire. Mais plus rien n’est idéal. Surviendra alors ce vieux débat : l’entreprise appartient-elle aux actionnaires ou est-ce un objet social, avec les salariés comme parties prenantes ?

Au final, le coronavirus s’avère surtout une expérience inédite pour nous tous. Il est venu surligner l’utile versus l’inutile dans le monde du travail et de l’entreprise. Il vient moderniser les débats qui s’enlisaient et les rancoeurs qui s’éternisaient. Il vient nous poser, à chacun d’entre nous, la question suivante, de manière directe : qui suis-je aujourd’hui comme travailleur ? Suisje indispensable ou dispensable ? Devrais-je me réinventer, me recycler, m’améliorer pour sécuriser mon emploi ? Est-ce que j’aime vraiment ce que je fais ? Et suis-je aimé pour ce que je produis ? Le coronavirus soulève aussi une crise existentielle pour nous, travailleurs.