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Pandémie de la faim

29 avril 2020, 07:00

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Peut-on mesurer ou comparer la détresse humaine ? Alors que la moitié de l’humanité, confinée, se lamente devant le chamboulement de ses habitudes alimentaires modernes – fermetures des Starbucks, Mc Do, KFC, ou des restaurants gastronomiques – des dizaines de millions de nos contemporains n’ont, eux, rien, alors là rien, à se mettre sous la dent, hormis, peut-être, quelques racines, feuilles d’arbres, ou petits reptiles ou insectes. Ainsi tourne le monde ; il tourne même quand les chaînes de production et de distribution sont, elles, à l’arrêt. Avec ceux qui ont (des denrées de base et de l’eau) et ceux qui n’ont pas, qui n’ont rien, même pas un pack de secours.

Les classifications de l’époque de la guerre froide ont peut-être disparu dans les discours et les rapports, mais dans la vraie vie, les différences demeurent criardes, et les lignes de démarcation claires et nettes. Il y a toujours, à nos yeux de journaliste, un premier monde, ultralibéral, où le gaspillage alimentaire est légion, avec des Chips/ Burgers/Coca-Cola XXL; un deuxième monde, qui imite le premier, et qui ne relève plus du communisme, où chacun mange à n’en plus avoir faim, en se faisant livrer à domicile ; et en dernier, loin des projecteurs médiatiques : des pays les moins avancés, qui appartenaient au bloc jadis connu comme le Tiers-monde, et où manger ne serait-ce qu’un bout de pain rassis par jour, est impossible…

Ça, c’est de la vraie souffrance humaine : mourir, lentement, de faim, devant les siens, tout aussi émaciés, et impuissants, sans soins, sans urgences, sans sérum, en attendant impatiemment que la lumière s’éteigne dans les regards, un par un, dans l’indifférence collective du reste du monde, comme une étoile au fond de la galaxie, a priori insignifiante. Mais la lumière ne s’éteint pas d’un coup. Là-bas il n’y a pas d’anesthésie, pas d’euthanasie, pas de vaccin. Il faut juste attendre son heure, et oublier la douleur intenable, qui vous prend le ventre avant de se propager partout.

Alors que l’on compte nos morts au tableau noir du Covid-19 – dix chez nous, et plus de 200 000 décès et 3 millions de personnes contaminées de par le monde – le nombre de personnes au bord de la famine pourrait atteindre 250 millions à la fin de cette année, alerte une projection dévoilée il y a quelques jours par le Programme alimentaire mondial (PAM), agence de l’ONU. Mais les caméras du monde sont occupées ailleurs. À filmer le confinement ou le début du déconfinement, le redémarrage partiel de ce monde inégal, et atteint de cécité sélective. 

Lire le rapport sur les crises alimentaires nous permet de relativiser. Un mois à manger des pâtes ou des boîtes de conserve, c’est le paradis pour des familles vivant au Zimbabwe, au Venezuela, en Syrie, au Sud-Soudan… Selon ce rapport, le nombre d’humains au bord de la famine avait déjà nettement augmenté en 2019, passant de 113 à 135 millions de personnes, à cause des conflits, des problèmes climatiques et des chocs économiques. Cependant, avec la pandémie qui a asphyxié les économies et paralysé les systèmes de production et de distribution (aérien et maritime), c’est une «pandémie de la faim» qui se profile : on passerait, si rien n’est fait, de 135 à 265 millions de personnes. «Nous sommes non seulement confrontés à une pandémie de santé mondiale, mais aussi à une catastrophe humanitaire mondiale. Des millions de civils vivant dans des pays marqués par des conflits, dont de nombreuses femmes et enfants, risquent la famine (…) Dans le pire des scénarios, nous pourrions avoir une famine dans une trentaine de pays. En fait, dans dix de ces pays nous avons déjà plus d’un million de personnes dans chacun d’entre eux au bord de la famine», fait ressortir le rapport du PAM.

C’est sur la base de ce travail de terrain que le PAM vient de mettre en garde le Conseil de sécurité de l’ONU contre cette «catastrophe humanitaire mondiale» qui s’annonce, alors que le monde se préoccupe surtout de la fin du confinement et de la reprise économique, en minimisant les exclus du système qu’on souhaite redémarrer.

L’«inquiétude alimentaire» s’invite dans notre quotidien à un moment où l’on remet beaucoup de choses en question, notamment le rôle et le financement des agences multinationales, qui dépendent des pays riches – et des intérêts stratégiques de ces derniers – pour s’occuper du reste de la planète. À un moment aussi où certains persistent à faire de «copy paste». «La réaction inévitable a été de suivre ce que le reste du monde faisait», observe Jakkie Cilliers, de l’Institute for Security Studies, qui encourage les Africains – les plus impactés par la faim – à élaborer leur «propre solution» pour survivre. Pas besoin d’être un prix Nobel en économie ou un Donald Trump pour réaliser qu’un confinement dans les pays très pauvres est impossible. «Vous condamnez les gens à choisir entre mourir de faim ou tomber malade. Dix personnes vivant dans un abri en tôle ne peuvent pas rester trois semaines sans sortir dehors…» Mais le monde détourne les yeux, une nouvelle fois, oubliant les laissés-pour-compte qui meurent de faim. Et non pas du Covid-19 ! Si on n’arrive pas à nourrir tous les humains, tous nos semblables, comment voulez-vous qu’on arrive à exterminer, collectivement, ce virus qui voyage ?

Note :-

FAMINE DANS LE MONDE

De pire en pire

2019 : 135 millions dans 55 pays

2018 : 113 millions dans 53 pays

2017 : 124 millions dans 51 pays

2016 : 108 millions dans 48 pays

2020 (projections) : 265 millions

Population mondiale :

7 632,8 milliards

Personnes sous-alimentées :

21,6 millions (Sources: PAM/FAO/ONU)