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Le délire monétaire

14 avril 2020, 07:25

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Dans une déclaration publiée sur lexpress.mu, Rama Sithanen propose la politique de «Quantitative Easing» (QE) pour Maurice. Il s’agit pour la Banque de Maurice d’acheter des titres «émis par le gouvernement pour financer les dépenses supplémentaires». Puis, dans une tribune, l’ex-ministre des Finances suggère le recours à l’«helicopter money», soit un transfert de monnaie au gouvernement qui serait «captured by a reduction in the central bank’s capital». Or, c’est ce qui a été fait avec le Special Reserve Fund, sauf que c’est seulement pour réduire la dette extérieure.

L’«helicopter money» est une forme d’assouplissement quantitatif. Lorsque Milton Friedman émit cette idée, c’était pour combattre la déflation, mais elle n’avait aucune valeur prescriptive. Le fait demeure que des injections monétaires, sans qu’il existe une épargne correspondante, ne font qu’aggraver la situation.

Le Japon fut le premier à adopter le QE en 2001, les États-Unis et le Royaume-Uni en 2008, la zone euro en 2015, et ces pays le pratiquent toujours. Un programme gouvernemental n’est jamais temporaire mais permanent. Maurice ne fait pas exception à la règle : la taxe de solidarité sur les banques, introduite il y a plus de dix ans, était supposée exceptionnelle mais est encore là.

Les grandes banques centrales acceptent de faire du QE à une condition très stricte : le pouvoir politique doit respecter scrupuleusement leur indépendance. Celle-ci est néanmoins relative dans la mesure où, dans les faits, le QE conduit à leur politisation. À Maurice, l’institut d’émission est déjà sous la coupe du ministère des Finances, et on voit mal un jeune gouverneur, qui suit actuellement une courbe d’apprentissage, résister aux pressions politiques.

Dans les pays occidentaux, les rachats d’obligations publiques par leur banque centrale augmentent bien leur dette publique, mais leur gouvernement ne s’en soucie guère pour l’instant. De même, selon la méthodologie de calcul de la dette publique, tout financement du déficit budgétaire par la Banque de Maurice, à travers des avances ou des achats de titres d’État, est compté comme dette parce qu’il faut la rembourser. Sinon, on aurait bien pu financer le Metro Express par le QE !

Face à un choc de la demande, on minimise les risques inflationnistes. Or il y a aussi un choc d’offre, qui est plus brutal que ce dernier. L’idée qu’une crise économique entraîne la déflation vient d’une fausse interprétation de la Grande Dépression de 1929. Si la forte hausse de la quantité de monnaie aux États-Unis, dans les années 1920, ne s’est pas traduite par une inflation élevée, c’est parce qu’une grande partie des nouvelles unités monétaires avait servi à acheter des actifs financiers, et non des biens de consommation. Les prix des premiers, contrairement aux seconds, n’entrent pas dans le calcul du taux d’inflation.

On admettra que les Mauriciens ne vont pas utiliser l’argent injecté par le gouvernement pour acquérir des actions boursières (même si les cours chutent), mais pour consommer. Dans ce cas, il y a tout lieu de craindre une résurgence de l’inflation, d’autant qu’une très grosse part des produits de consommation sont importés. De fait, les taux de change pèsent lourdement dans notre définition statistique de l’inflation. La dépréciation générale de la roupie, telle que mesurée par le Mauritius Exchange Rate Index, fut de 2,9 % pour le seul mois de mars.

Maurice n’est pas une grande économie avancée et n’a pas une monnaie internationale, mais elle est une minuscule économie très ouverte, qui dépend des importations pour produire. Il est certes normal que la roupie se déprécie de par le déficit du compte courant. Mais ce qui est anormal, c’est que la Banque centrale dévalue la roupie, soit en achetant des dollars sur le marché local, soit en faisant de l’«helicopter money» ou du QE.

Notre système bancaire est déjà inondé de liquidités, comme en témoignent la sursouscription des titres publics et les taux de rendement extrêmement bas. Créer de la monnaie à partir de rien va accroître l’excédent de roupies par rapport aux devises et ajouter des pressions insoutenables sur le taux de change de la roupie. Cela résultera en une perte énorme du pouvoir d’achat de la roupie et la mort de plusieurs milliers de petites et moyennes entreprises. La distribution de roupies va stimuler la demande de certains biens, mais les producteurs de ces biens vont relever leurs prix de vente pour répondre à cette demande.

Un assouplissement quantitatif est acceptable si le gouvernement procède d’abord un ajustement fiscal (il coupe drastiquement les dépenses et réforme le régime de retraite) de manière à éviter une détérioration de la dette publique. Déjà un emprunt du Fonds monétaire international est conditionné par un gros effort budgétaire. Celui-ci deviendra plus sévère à la suite d’un QE.

Mais croire que la monnaie est créatrice de richesse relève du délire. La monnaie ne crée rien, elle n’est qu’un moyen d’échange.