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Jacqueline Forget: Au nom des enfants à besoins spéciaux

20 février 2020, 09:43

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Jacqueline Forget: Au nom des enfants à besoins spéciaux

L’atelier de travail visant à établir des normes dans le domaine de l’éducation spécialisée, organisé le 29 janvier dernier, laisse un goût amer. Des spécialistes du secteur Special Education Needs (SEN), à l’instar de Jacqueline Forget, psychologue clinicienne, militante pour l’inclusion des enfants à besoins spéciaux depuis 30 ans, fondatrice et membre exécutif de SENS, nous dit pourquoi.

Pourquoi tant de contestations autour de cet atelier de travail mis sur pied par la Special Education Needs Authority (SENA) ? 
Il s’agit de divergence d’opinions sur certains points fondamentaux, notamment sur le principe même de l’inclusion. L’essentiel, selon moi, c’est que les personnes qui peuvent prendre les décisions n’ont aucune idée de ce qu’est l’éducation spécialisée. Pourquoi établir des normes et standards dans les écoles spécialisées, alors qu’ils devraient être les mêmes dans toutes les écoles ? Il faudrait surtout le faire dans les établissements mainstream, afin d’y assurer l’inclusion. Les organisations non gouvernementales (ONG) qui s’occupent de l’éducation d’enfants à besoins spéciaux font déjà de l’inclusion mais ce sont les enfants sans besoins spéciaux qui sont exclus de nos écoles. 

Même s’il y a eu du progrès, s’il y a une subvention partielle aux ONG, les services offerts ne sont pas conformes aux droits fondamentaux des enfants à besoins spéciaux, tels qu’ils sont inscrits dans la convention internationale des droits de l’enfant. Alors que parents, sponsors et bénévoles contribuent financièrement, les moyens manquent quand même. 

De plus, les normes et standards qui existent dans les établissements spéciaux gérés par le gouvernement (GM) ne respectent pas les principes de base de l’éducation spécialisée. Les parents d’enfants qui refusent ces services en témoignent. Or, les services gouvernementaux contrairement aux ONG ont tous les moyens, surtout avec des éducateurs et thérapeutes bien payés, jouissant de congés et bénéfices d’usage. Il y a deux poids deux mesures. L’État doit commencer par faire son autocritique.

Quelle a été la réaction des responsables de l’Éducation sur place ? 
Les responsables ont tenté de répondre aux questions et de modifier les propositions. Il y a eu des suggestions y compris de ceux qui gèrent les ONG. Il y a eu des critiques tant par rapport au fond que sur la forme. Nous espérons que la SENA et le ministère les prendront en considération. Toutefois, pour cela, il faudrait des responsables avec les connaissances de base qui leur permettraient de prendre les bonnes décisions. Les mêmes ressources avec des personnes averties aux postes clé auraient de meilleurs résultats.

Des exemples de ce que vous avancez ? 
Le ministère veut mettre en place un «curriculum adapté ». Cela a déjà été rejeté par les écoles spécialisées, lors d’un autre validation workshop au Mauritius Institute of Education. Il y a eu walk-out. Cette proposition a été une fois de plus remise sur le tapis. 

Reynolds Permal de Lizie dans la main a fait ressortir que cette idée est saugrenue puisqu’il y a de nombreux besoins spéciaux très différents. Chaque enfant a ses spécificités. Les objectifs sont les mêmes, ce sont les moyens qui diffèrent, notamment la pédagogie et le matériel. Il faut à chaque enfant, un programme individuel établi par une équipe comprenant éducateurs et thérapeutes. Or, les programmes d’études dans les centres gérés par le GM ne s’adaptent pas forcément à chaque enfant. 

On ne peut se contenter d’un seul programme, d’un seul cursus pour tous les enfants à besoins spéciaux. Ce n’est pas possible. Il faut un travail laborieux. Ce qui est fait dans le privé. Les enseignants et les thérapeutes font des ajustements, des évaluations, des interventions et impliquent les parents. 

Dans les écoles du GM, le personnel travaille aux mêmes horaires que les élèves, alors qu’à l’école gérée par S.E.N.S (Ruth School), les enseignants participent à des ateliers et réunions et préparent le programme individuel et le matériel adapté pour chaque enfant. C’est un travail essentiel, qui se fait en permanence. Comme on dit en anglais, we have to do the extra mile.

Ce n’est pas la première fois qu’un tel atelier est organisé. Sert-il à quelque chose ? 
Non, ce n’est pas la première fois. Des gens d’un certain âge qui ont une expérience de terrain de plusieurs décennies y ont souvent participé mais tous concordent à dire que cela ne donne pas grand-chose de concret. J’ai moi-même participé à des taskforce, des workshops, des high powered committees, des assises, mais c’est une perte de temps car les autorités ne veulent pas entendre raison. Pourquoi ? Cela reste un mystère !

Que souhaitez-vous voir changer ? 
Je voudrais avant tout que tous les enfants bénéficient d’opportunités égales. Je souhaite qu’il n’y ait plus d’injustices flagrantes. Que la somme dépensée pour l’enfant à besoins spéciaux représente au moins cinq fois le montant dépensé pour un enfant sans besoins spéciaux, quel que soit l’établissement fréquenté. Le ratio enseignant/ élève préconisé est de 1:7 alors que dans la classe standard, il est généralement de 1:35. Ce quantum ne prend pas en compte les salaires supplémentaires payables à l’éducateur spécialisé, aux thérapeutes, aux conseillers familiaux, ni le coût des matériaux adaptés. 

Les plus grosses dépenses dans nos établissements concernent les éducateurs et les thérapeutes. Ce sont des professionnels diplômés expérimentés qui ne sont pas payés et traités comme ils le méritent, comme leurs collègues fonctionnaires. 

Tout enfant a le droit de pouvoir accéder à une éducation adaptée à ses besoins. Et l’île Maurice, en 2020, peut se le permettre. L’État dépense des milliards de roupies pour des choses qui ne sont pas essentielles mais il fait des misères à nos enfants à besoins spéciaux ! 

Ces enfants ne sont pas si nombreux. Le GM ne peut plus discriminer contre les enfants à besoins spéciaux. Il s’agit-là du droit à la dignité. La façon dont nous traitons des enfants à besoins spéciaux en dit long sur notre pays.