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Conte de Noël : la magie de l’Etoile

25 décembre 2019, 11:22

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Conte de Noël : la magie de l’Etoile

Alors que les flamboyants sont en fleur et que décembre est le mois des promesses et des réjouissances, le coeur d’Angelo n’est pas à la fête. Loin de là. Les problèmes et les difficultés qui s’accumulent sur sa tête sont insurmontables et la lumière au bout du tunnel ne clignote même pas pour lui montrer le chemin de la délivrance. Estce possible que cela puisse lui arriver, à lui qui aime tant la vie, qu’il ait atteint le point de non-retour et parvenu à une telle extrémité qu’il ne ressent que du mépris, voire du dégoût, pour cette existence qui, pourtant, recèle bien des attraits, et qui lui a procuré, jusqu’à tout récemment, un bonheur parfait, sans nuage ? La vie tout d’un coup, à ses yeux, a perdu toute son importance et sa valeur.

Il n’arrive pas à se convaincre lui-même que cette vie, malgré des hauts et des bas, vaut la peine d’être vécue. Il ne peut s’astreindre à se réconcilier avec elle et de la considérer comme une source de bonheur ineffable, tant spirituel que temporel. Angelo a perdu la foi, la croyance en Dieu. Et cela a inévitablement donné naissance au doute, au reniement, l’emmenant à chercher des réponses, sans toutefois les trouver et en être convaincu de leur véracité, pour dissiper les doutes qui le tenaillent.

Certaines personnes sont touchées par la grâce et parviennent à trouver les voies du salut. Mais s’agissant d’Angelo, il semble que le malheur, le démon se sont emparés de sa personne, de son âme débouchant sur une sorte d’injustice du sort, le rendant incapable de prendre sa vie en main. Pour la première fois, il se rend compte que tout ce qu’il a acquis, construit, est empreint de facticité.

Pour la première fois de sa vie, il se voit acculé à prendre une décision capitale afin d’échapper à cette situation intolérable qui le démange. Pour la première fois, l’idée du suicide se fait jour en lui, lui prend à la gorge, devient de plus en plus pressante, comme une obsession, un appel… Il est confronté d’une façon brutale à l’inutilité de sa vie, à l’anéantissement de l’être – au dépassement de soi face au «oui» sans valeur de l’existence – par une action irrémédiable et salvatrice eu égard au temporel. Ah, le suicide, cette dernière porte à enfoncer pour se délivrer de soi-même, boire la ciguë, poussé par sa propre volonté et se laisser aller corps et âme à l’agonie, lui causant d’atroces soubresauts ultimes.

Et répondant à l’appel mystérieux qui susurre à son oreille, il se retrouve bientôt dans une ruelle bordée de champs de canne avec pour seuls compagnons le vent qui lui fouette le visage, la lune, les étoiles qui semblent l’attirer vers son destin volontairement choisi… Ses pensées s’orientent malgré lui vers ce havre de paix, où, demain, parmi les ronces et les rochers abrupts de la falaise, on découvrira son corps sans vie, déchiqueté à jamais.

Ses pas froissent la ligne d’herbes du chemin, entre deux sillons creusés par les roues d’une charrette. Autour de lui, pas âme qui vive, pas de chiens qui aboient ou de bruits insolites pour l’inciter à rebrousser chemin – rien que le souffle du vent étreignant le silence qui plane… dans l’attente de l’imprévu…

Mais pourquoi cette étoile, la plus brillante parmi les autres, a l’air de lui sourire et s’obstine-elle à le suivre ? Éclaire-t-elle le sentier de non-retour vers lequel tend tout son être afin de l’aider à favoriser sa mort envisagée ? Quel lien, se demande-t-il, peut-elle avoir avec lui qui est irrémédiablement perdu, dont le lit est presque fait et qui l’invite à s’allonger pour son dernier sommeil.

Malgré lui, les larmes se faufilent sur ses joues et lui font parvenir à ses lèvres un goût dilué de sel. Et il se met à penser à son enfance dans son village natal. Où on célébrait Noël avec ferveur, avec une crèche érigée sous le grand «lafouche», où on pouvait admirer la Vierge Marie penchée tendrement sur le Petit Jésus, couché dans une mangeoire improvisée, et Joseph contemplant la scène avec tendresse.

Depuis combien de temps n’a-t-il pas participé à la fête de Noël et n’est-il pas entré dans une église pour prier et pleurer de bonheur devant l’autel ? Même les cloches annonciatrices de l’événement le laissent indifférent. Mais la Noël de son enfance est bien loin dans le temps et il y a bien des années qu’il a perdu ses illusions.

C’est étrange comment toutes ces pensées traversent son esprit ce soir, où va se dérouler la dernière scène de sa vie, avant que ne tombe le rideau. Et pourtant, en cette veille de Noël, au lieu de prendre le chemin de l’église, il a pris comme un lâche celui de la dérobade, de la fuite.

Voilà où il en était avec sa réflexion lorsqu’il prend conscience de l’état dans lequel il se débat. Combien  de temps a-t-il marché, combien de kilomètres a-t-il parcourus. Et pourtant il ne ressent ni fatigue ni douleur mais une étrange sensation, un sentiment de bien-être, de douce béatitude, comme s’il y a quelque chose de changé dans l’atmosphère ambiante et dans ses dispositions d’esprit. Et il se rend compte que son étoile-guide est toujours  là-haut, dans le ciel, une étoile dont le regard est plus que jamais fixé sur lui.

Et voilà que tout d’un coup, sur une route transversale, il aperçoit une procession chantant et priant qui s’avance lentement avec des cierges qui clignotent dans la nuit. Que c’est beau, se dit-il, d’être le témoin de la foi des autres, d’hommes, de femmes et d’enfants bercés par un tel élan divin. Soudain, surgissant de nulle part, un homme tout petit s’approche de lui et lui lance : «Que la paix du Seigneur soit avec toi, mon frère ! Viens, le Seigneur nous aime et nous attend. Dépêchons- nous de le rejoindre !»

Il le prend par le bras et l’entraîne dans la foule et le fait entonner un refrain qui le pénètre jusqu’au fond de son âme : «Viens Seigneur, Jésus ! Viens dans notre monde.» Et comme poussé par une force invisible, il se retrouve au beau milieu de la procession et ses lèvres, comme par enchantement, murmurent les mots des cantiques et des psaumes que les fidèles entament en choeur. Le petit homme lui serre le bras affectueusement et subitement il se surprend à murmurer à son ami : «Reste près de moi, ne me quitte pas !»

Et l’envie lui prend de chanter plus haut que tous ces hommes et ces femmes dont la ferveur est palpable, balayant ainsi tout doute, amertume et retrouvant une fraîcheur d’enfant, de jeunesse garante de joie éternelle. Comment expliquer ce changement qui s’est opéré en lui et le phénomène qui s’est manifesté sur sa personne ? Par  quelle intervention divine estil parvenu à laisser derrière lui tous ses délires, lui qui était à la dérive sur une mer démontée, sans foi ni boussole, au fond de laquelle il était sur le  point de s’engouffrer ?

Est-ce que quelque part, au tréfonds de son âme, n’y avait-il pas un reliquat de foi qui guettait, qui attendait son heure pour incendier son coeur et tout son être et le mettre sur le chemin de la rédemption ? Il suffit d’un vide créé par le désespoir ou de l’indisponibilité d’une épaule pour que tout bascule. Il suffit d’un miracle pour que le basculement s’opère et que la foi perdue est retrouvée à travers un inconnu rencontré à la faveur d’une belle coïncidence Mais tout cela était-il prédestiné ? Et la joie, la sérénité, la plénitude qui envahissent un homme nouveau, délivré des sortilèges maléfiques, sont enrobées de béatitudes exaltantes tant elles sont salvatrices et que jouissent les élus.

Mû par une ferveur extatique, délaissant son compagnon, Angelo entre dans l’église et emprunte d’un pas pressé la nef centrale pour se retrouver devant la crèche. Là, à genoux devant elle, il regarde ce divin spectacle en pleurant de bonheur.«Je vous retrouve enfin, Joseph, et vous Vierge Marie, tendrement penchés sur Celui qui est le Sauveur du monde. Je vous retrouve aussi, ô miracle, ma bienheureuse étoile qui m’a montré le chemin.» Accrochée à la crèche, elle distille en lui, goutte à goutte, la foi retrouvée.

L’homélie du père Albert est à l’unisson des sentiments qui animent Angelo. Lorsque l’homme d’église termine son sermon, le coeur de l’enfant prodigue frémit de bonheur et d’une émotion inexplicable tant les paroles du prêtre ont fait forte impression sur lui.«Le petit Jésus est né dans une mangeoire. Il est venu au monde pour les pauvres. Il n’a pas choisi de château ni de lit douillet. Il est venu sur terre en pauvre, en serviteur, en se mettant au diapason de l’homme simple. Il est venu pour les pauvres, les déshérités – pour ceux qui souffrent, ceux qui sont seuls…»

Ces mots ont suffi pour plonger Angelo au fond de lui-même, de faire son mea culpa. Et il se surprend à murmurer : «Pardon, Seigneur, Dieu d’amour, je  t’aime.» Et il n’entend que sa propre voix répétant sans cesse ces mêmes mots, quand subitement il s’aperçoit qu’on se bousculait derrière lui. La messe est terminée et le ciel est clair. Son étoile se trouve toujours là-haut.Enfin, il lui rend son sourire, lui adressant ces mots sortis du fond de son coeur : «Merci pour tout.»

 Le petit homme est là, aussi, qui le regarde. «On s’est perdu», lui dit-il. «Oui, on s’est retrouvé», répond l’homme. «Et comment !», fait Angelo. Et main dans la main, ils prennent ensemble le chemin du retour. Vers la lumière…