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The rule of Law

24 novembre 2019, 08:11

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lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Une mise en accusation de Benjamin Netanyahu en Israël, pour fraude, corruption et abus de pouvoir, fait la une depuis la fin de la semaine. C’est la première fois, en effet, qu’un Premier ministre en exercice subit l’affront d’une mise en accusation par le procureur de ce pays, après une enquête policière. Une accusation n’est certes pas une condamnation, mais c’est particulièrement embêtant à un moment où un gouvernement ne peut pas être formé, plusieurs semaines après de récentes élections générales.

À Hong Kong, la population et, en particulier, les jeunes qui pensent à leur avenir se mobilisent et protestent, parfois avec violence, contre les tentatives de plus en plus flagrantes de Pékin de s’éloigner de la promesse d’«un pays, deux systèmes» et de doucher, donc, les rêves de démocratie et de liberté entrevus au départ des Britanniques.

Aux États-Unis, des audiences explosives ont lieu depuis deux semaines devant la chambre du Congrès pour interroger des témoins dans l’affaire de «quid pro quo» ukrainien. Le président Donald Trump est soupçonné d’avoir utilisé ses pouvoirs pour un avantage personnel, au détriment des intérêts nationaux. En effet, Trump aurait requis du gouvernement ukrainien anti-corruption nouvellement élu de Zelensky d’annoncer une enquête immédiate sur «les Biden» (dont son rival principal pour la présidentielle de 2020, Joe Biden, ancien vice-Président d’Obama), faute de quoi l’Ukraine n’aurait ni l’aide militaire pourtant déjà approuvée, ni même une visite protocolaire à la Maison-Blanche.

À Maurice, en pleine campagne électorale, sont publiés les comptes bancaires de Navin Ramgoolam. Obtenus légalement par qui-de-droit, dans le cadre d’une enquête policière, ils sont par contre publiés illégalement, puisqu’en défi d’une loi fraîchement modifiée en 2018 par le gouvernement sortant. On parle ici de la clause 64, dite de confidentialité, de la Banking Act.

Qu’est-ce qui relie ces quatre événements ?

C’est qu’ils démontrent tous, c’est le rôle pivot du «rule of law» dans tout état qui se respecte et qui ne doit pas dépendre de la volonté d’un seul prince. Rappelons-en les caractéristiques principales, parce qu’il est particulièrement important d’en être bien conscient ces jours-ci :

La séparation des pouvoirs ; pour prévenir l’arbitraire et empêcher les abus. C’est le principe des «checks and balances».

Le respect de la hiérarchie des normes; la loi suprême étant la Constitution, suivie des engagements internationaux, puis seulement de la loi nationale, les règlements, les accords entre personnes privées etc.

L’égalité de tous devant la loi ; que l’on soit Premier ministre ou balayeur de rue, l’État lui-même étant considéré comme personnalité juridique, tous, sauf exceptions expresses, sont égaux devant la loi.

L’indépendance de la justice ; puisque c’est elle l’arbitre ultime des lois.

En Israël, Netanyahu a immédiatement parlé de «chasse aux sorcières», d’un «coup d’État» du «deep state». Comme Trump aux États-Unis d’ailleurs. C’est ce à quoi on peut s’attendre d’un chef d’État impérial qui se croit être au-dessus des lois. Malheureusement pour lui, plusieurs des enquêteurs dans ce cas ont été nommés par Netanyahu luimême et le procureur général, M. Mandelblit, a même été son secrétaire de Cabinet et un de ses plus proches collaborateurs ! Bibi, comme on l’appelle gentiment, gagnerait plus pour son pays à respecter l’État de droit et à aller défendre son nom devant une Cour de justice. Malheureusement, son ego est plutôt encombrant…

Les parallèles avec les États-Unis sont saisissants. Comme en Israël, un Trump narcissiste et les siens s’évertuent de désavouer les institutions aussitôt qu’elles apparaissent être personnellement ou politiquement gênantes. Ainsi, la presse indépendante est devenue «l’ennemi du peuple» et la commission Mueller a été taxée de «hoax» et de «chasse aux sorcières» pendant des mois, même si, au final, les conclusions, pourtant extrêmement gênantes et certainement passibles de mener à sa destitution par le Congrès, ont été présentées comme une «exonération complète». Les mêmes tactiques se construisent devant la chambre du Congrès : les témoins sont vilipendés, le président du House Intelligence Committee, Schiff, a été accusé d’être malhonnête et d’être un traître à la nation, qui devrait être emprisonné, et les procédures du comité ont été attaquées même si elles ont été déterminées par les Républicains eux-mêmes, quand ils étaient majoritaires, et qu’il fallait, à ce moment-là, pourchasser Hilary Clinton dans l’affaire Benghazi !

À Hong Kong et à Maurice, on voit un autre aspect crucial de l’État de droit : un gouvernement au pouvoir peut changer les lois et cela peut se faire de bonne foi – ou pas ! La Chine peut serrer la vis légalement en faisant voter des lois qui, par exemple, permettent d’extrader vers Pékin toute personne condamnée à Hong Kong. C’est ce qui déclenche les manifestations au départ d’ailleurs, car les Hongkongais réalisent que s’ils laissent passer cela, c’en est bientôt fini de la promesse de «deux systèmes». À Maurice, on a même tenté une modification de la Constitution pour mettre le DPP sous bol. C’était la tentative du Prosecution Commission Bill. Elle fut heureusement défaite au Parlement même, par le retrait du PMSD du gouvernement. Personne n’a pu, par contre, empêcher la modification du Legal & Judicial Provisions (No2) Bill en décembre 2018 donnant plein de nouveaux pouvoirs à l’Attorney General, membre de l’exécutif, aux dépens du judiciaire. Non plus que quiconque ait pu empêcher la modification de l’Immigration Act pour épingler le pilote Hofman, ni de modifier la Banking Act pour protéger contre la publication des comptes bancaires.

Seulement voilà : quand une loi est votée, elle doit s’appliquer à tous !

Y compris à ceux qui ont illégalement fait fuiter les comptes de Navin Ramgoolam, même si ce qu’ils contenaient était loin d’être joli-joli !

Alors ? Il reste à trouver les coupables de la fuite et à les condamner, ou alors à… annuler cette loi… avec effet rétroactif à la date où elle fut votée dans la Finance Act !

Dépendant du choix, on saura à qui nous avons affaire, même s’il reste une solution classique de l’enquête farfouillée qui mène légalement au «case dismissal». Car, voyez-vous, au bout du compte, le droit ne suffit pas en lui-même et l’État de droit ne marche qu’avec la bonne foi de tous, ancré sur des contre-pouvoirs indépendants et efficaces.

Comme aux États-Unis et comme en Israël. Et pourquoi pas à Maurice ?