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Gouvernance, Onshore, Offshore

4 août 2019, 07:27

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À vrai dire, l’homme politique a une tâche plutôt ingrate.

Quand cela ne marche pas, on le blâme et on le critique. À raison, bien évidemment. Par contre, quand cela marche, on ne l’encense pas toujours. À raison aussi d’ailleurs puisque c’est bien lui qui, librement, a postulé pour prendre ces responsabilités, qu’il est bien payé en conséquence, qu’il jouit aussi de nombreux privilèges et qu’il a tous les outils en main pour nous obtenir des résultats. Il ne fait que son boulot, quoi ! Et c’est de notre argent dont il se sert, bien sûr… Même quand ça foire !

Prenez l’exemple de la route Terre-Rouge–Verdun pour commencer. À l’époque, il y a eu les critiques plutôt prévisibles de ceux qui, tout en se plaignant des embouteillages de plus en plus désolants à Port-Louis pour le trafic Nord-Sud/Sud-Nord, trouvaient pourtant que le projet Terre-Rouge–Verdun était un «gaspillage» énorme. Puis, la route fut ouverte en décembre 2013 et on s’extasiait sur les vues superbes sur Crève-Coeur, la si bien nommée, tout en reconnaissant que l’on avait enfin, une alternative crédible au cas où Port-Louis ou Camp-Chapelon bouchonneraient au-delà du raisonnable. Je ne crois pas que grand monde ait remercié Ramgoolam ou Baichoo.

Puis, patatras ! Cette route se lézarde puis s’affaisse et devient partiellement impraticable au début de 2015. On avait pourtant été prévenu par les glissements durant la construction qui illustraient concrètement les appréhensions écrites du géomorphologue Prem Saddul et d’autres ! On entreprend alors de réparer, tout en blâmant le tandem Baichoo-Ramgoolam en toute logique. On prend conseil auprès des Coréens, puis les Sud-Africains, puis les Français à travers le professeur Magnan. La réparation traîne et ne se termine que maintenant, plus de quatre ans après, la route ayant été reconstruite, entre-temps, sur 180 pilotis d’ancrage. Mais ce n’est pas tout à fait la fin des travaux, puisque le glissement de terrain juste après le rond-point vers Nouvelle-Découverte, en allant vers le Nord, se répare toujours. Pourquoi a-t-il fallu attendre autant puisqu’il n’y avait, dans ce cas, aucun besoin de construire sur pilotis ?

Quoi qu’il en soit, un projet initialement quantifié à Rs 2 milliards et qui coûtait déjà Rs 4,2 milliards à sa première inauguration en 2013 va finalement, semble-t-il, coûter au moins Rs 1,5 milliard de plus ! On ne remerciera pas le tandem Bodha-Jugnauth de nous avoir rendu cette route pourtant belle et pourtant bien utile. C’était tout simplement leur boulot !

En passant, il est intéressant de contraster l’utilité des Rs 5,7 milliards dépensées sur 8 kilomètres de route de Terre-Rouge–Verdun aux Rs 4,8 milliards du complexe sportif de Côte-d’Or qui ne sera, par contraste, utilisé qu’occasionnellement et surtout aux Rs 16 milliards du projet Safe City dont l’ambition fort modeste est de contribuer à réduire le taux de criminalité du pays de 4,3 à 4,0 pour 1 000 habitants avant… 2030 ! Je crois que tous peuvent, ici, apprécier le projet qui est véritablement «value for money» !

* * * * *

À vrai dire, l’incident des Mauritius Leaks interpelle à plusieurs niveaux, mais avant tout au niveau de l’hypocrisie.

D’abord, le communiqué de la FSC, du gouvernement et de l’EDB affirme qu’il y a 3 000 accords fiscaux signés mondialement par 70 pays. La source de ces chiffres n’est pas communiquée, mais si c’est vrai, il est clair que les 46 Double Tax Agreements (DTA) de Maurice ne sont qu’une goutte d’eau dans la matrice globale qui réglemente la planète fiscalement et qu’il n’y a aucune raison de nous sélectionner pour un traitement spécial. Ce qui n’est d’ailleurs pas le cas dans le sillage des Panama Papers, des Swiss Leaks, des Lux (embourg) Leaks, des Bahamas Leaks, des Paradise Papers etc. publiés par l’International Consortium of Investigative Journalists. Il n’y a pas lieu de se voiler la face ou de jouer à la vierge éplorée non plus : la planification fiscale vise surtout à réduire la charge fiscale d’une compagnie ou d’un individu et ce sera inévitablement toujours aux dépens d’un fisc quelconque ! Sinon, quel en serait l’intérêt ? Cela se passe depuis des années, surtout à partir de juridictions- appendices d’États riches à qui cela convient. De fait, soulignons qu’un rapport de mars 2019 d’un comité de l’Union européenne (1) concluait que sept membres de l’UE, elle-même, facilitaient la planification fiscale agressive et alignaient plusieurs des traits associés à des paradis fiscaux. Ce rapport montrait du doigt l’Irlande, Chypre, la Belgique, le Luxembourg (dont le PM était, à l’époque, Jean-Claude Juncker !), la Hollande, Malte et la Hongrie. Mieux, le Corporate Tax Haven Index publié par le Tax Justice Network (2) souligne que 40 % des 18 trillions de dollars investis «cross border» ont été complétés à travers seulement DIX pays avec des taux de taxe de 3 % et moins. Ces dix pays représentent 52 % de toutes les taxes évitées de par le monde ! Maurice (2,5 %) est 14e. La Grande-Bretagne 13e. Par contre, la Grande-Bretagne et son réseau d’appendices est le principal responsable de ces arrangements parfaitement légaux, en occupant les trois premières places de la liste :

1. British Virgin Islands
2. Bermudes
3. Iles Cayman
4. Hollande
5. Suisse
6. Luxembourg
7. Jersey
8. Singapour
9. Bahamas
10. Hong Kong

Ma conclusion : les Mauritius Leaks, jusqu’au jour que l’on y découvrira de l’argent de la drogue, du trafic d’armes, ou de l’argent volé, c’est du véritable pipi de chat… Et le pipi de chat, c’est légal, bien sûr !

L’autre hypocrisie est celle-ci : On fait grand cas des recettes fiscales qui passeraient «sous le nez» des pays africains avec qui nous avons signé des DTAs. Or, ces accords sont signés librement dans l’espoir de générer des investissements et du fric, n’est-ce pas ? S’il y a des investissements possibles sans DTAs, pourquoi les signeraient-ils ? De plus, en quoi est-ce qu’un DTA est différent de l’autre tentative de pays économiquement modestes, comme le nôtre d’ailleurs, d’attirer de l’investissement étranger, notamment par le biais de «zones franches» qui promettent des congés fiscaux, en veux-tu, en voilà ? Or, le rapport intitulé : «World Investment Report» de l’UNCTAD (3) de 2019 rappelle qu’il y a 5 400 zones franches au monde dans 147 pays ! Les 17 pays africains avec qui nous avons un DTA ont une Special Economic Zone (SEZ) sous une forme ou une autre qui accordent tous des congés de taxe corporative. Comment est-ce que le fisc d’un de ces pays peut, dès lors, se plaindre de recettes fiscales qui lui «passent sous le nez», quand c’est librement consenti ? En compétition avec d’autres pays, comment se débrouille celui qui n’a ni DTA, ni SEZ ? Mieux ? L’investissement ne crée-t-il pas, par ailleurs, des emplois, de l’activité subsidiaire, donc des flux taxables, y compris tout profit éventuellement généré dans le pays ? Ce qui semble alimenter la controverse, comme pour l’Inde à l’époque d’ailleurs, c’est la Capital Gains Tax, mais vendre un business qui marche c’est plutôt occasionnel et il faut bien commencer quelque part, n’est-ce pas ?

Ce n’est pas tout ! Savez-vous quels sont les pays qui sont les plus agressifs vis-à-vis des pays «low income» ou «lower middle income» grâce à des traités qui réduisent, avidement, le «witholding income» imposés par ces pays modestes ? Ben, tiens : 1. Les Émirats arabes, 2 .La Grande-Bretagne, 3. La France, 4. La Suisse, 5. La Hollande… rien que du beau monde ! (2). Maurice est le 2e pays le plus agressif sur l’Afrique après l’UEA.

Et l’on voudrait quoi ? D’un monde plus juste, sans doute, ou les multinationales paient leurs obligations fiscales, partout et avec diligence, ou les pays riches protègent les pays pauvres plus que leur propre pays et ou les dirigeants de pays pauvres cessent de piller leurs pays pour ensuite acheter châteaux, suites, voitures et yachts luxueux dans les pays nantis ? Bien sûr ! Ce serait d’évidence plus «moral» ! Et en attendant, qui va donner l’exemple ? Qui va faire la leçon au monde en s’autoflagellant et en se reconvertissant à l’économie de la patate douce et du manioc, comme souhaité par certains rêveurs gauches ?

Mon pays ?

Il n’en est pas question ! Car les faibles ne sont, malheureusement, pas en position de réinventer le monde !

Le problème est planétaire, pas «Mauritian» !

(1).https://www.icij.org/investigations/luxembourg-leaks/seven-eu-countries-labeled-tax-havens-in-parliament-report/
(2).https://www.taxjustice.net/2019/05/28/new-ranking-reveals-corporate-tax-havens-behind-breakdown-of-global-corporate-tax-system-toll-of-uks-tax-war-exposed/

(3) Ce rapport de l’UNCTAD dit que l’investissement FDI TOTAL en Afrique a été de 46M$ en 2018(p 34).
Contrairement au ministre Sesungkur, dans son interview a Business Magazine, je n’ai vu écrit nulle part que «des investissements de l’ordre de $ 46 milliards ont été canalisés vers l’Afrique à partir de Maurice» ! Je dois changer de lunettes ? Et qui trouve normal que le ministre doive citer l’UNCTAD pour des chiffres a priori réalisés… sous son ministère ?