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Premier ralentissement

5 juin 2019, 07:22

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Ce Budget qui vient est le dernier de l’actuel gouvernement… ce qui n’empêche qu’il sera le premier en son genre. Premier dans la mesure où il sera jugé au vu d’une hypothèse centrale à son élaboration : le taux de croissance.

Le rythme de cette croissance ralentit. Malgré les efforts nationaux, la conjoncture ne nous est pas favorable. Les freins au développement du tourisme, du textile, du sucre se multiplient. Sans compter les tensions sur le marché du pétrole.

Une autre limite à la croissance a été mise en exergue par la MCB dans le dernier rapport de son équipe économique : la démographie. Les Mauriciens, toutes catégories sociales confondues, font moins d’enfants. C’est autant de capacités de production qui s’effacent. Et quand bien même les Mauriciens travailleraient jusqu’à 65 ans, ils toucheront des salaires moins élevés que lorsqu’ils avaient 30 ou 40 ans. Moins de personnes actives, un revenu moyen en baisse pour les personnes actives : la croissance devient irréaliste.

Cela ne fait pas l’affaire des finances publiques. Pensions en hausse, bénéfices sociaux en hausse, investissements dans les infrastructures à financer… tout cela est possible tant que le gouvernement compte sur le fait que les revenus fiscaux de demain seront plus élevés que ceux d’aujourd’hui. Si les recettes fiscales stagnent ou régressent, c’est tout l’équilibre qui en est ébranlé.

Cette situation, à laquelle sont confrontés plusieurs pays, a jeté la science économique dans un conflit paradigmatique. Il y a deux camps chez les économistes : les classiques, pour qui la croissance est essentielle à la réussite économique, ils prônent toujours plus de croissance. Et une nouvelle génération d’économistes, qui invite à relativiser l’importance de la croissance et à diversifier les objectifs de la politique publique.

Pour les classiques, tournés vers la croissance, il y a deux solutions : facturer plus cher nos services ou augmenter la population. Pour l’économie mauricienne, du côté population, c’est déjà plutôt mal parti. Pour compenser une baisse de population de 200 000 personnes d’ici 2057, comme l’anticipe la MCB, il faudrait envisager de faire entrer 5 000 résidents permanents en moyenne tous les ans à Maurice... Quant à facturer plus cher nos produits et services, les efforts mis dans l’éducation vont dans ce sens. Suffiront-ils cependant à compenser la baisse de population ? Ou à surmonter les limites structurelles dans les marchés d’exportation traditionnels. Quand on sait que le prix de la chambre d’hôtel n’a pas augmenté depuis dix ans, on comprend que certains programmes de productivité pourraient être difficiles à réaliser.

Restent alors trois options : faire l’autruche, se morfondre dans le pessimisme ou chercher des solutions. Pour ma part, je préfère l’option 3.

Dans une démarche «solutions», le passé est très peu instructif. Le concept de bien-être sans croissance est un champ de recherche nouveau et peu expérimenté. Sans surprise, les institutions internationales sont réticentes à l’explorer. Il n’empêche qu’elles ont changé de ton. À entendre les propos de Christine Lagarde ou de Mark Carney, on comprend que les classiques se «convertissent» à l’idée que les bases de l’ancien modèle pourraient être scientifiquement invalidées.

À ce jour, le seul pays qui s’est engagé dans ce nouveau paradigme est le Japon. Croissance faible, risques déflationnistes, faible taux d’épargne et population vieillissante font partie des nouvelles données de base avec lesquelles le Japon a appris à composer. Pour les stars de la finance, c’est un désastre. Pour ceux qui passent leur temps à se «benchmarker» aux autres pays, c’est aussi un cauchemar narcissique. Mais apparemment, les Japonais eux-mêmes ne sont pas si mécontents. Ne leur parlez pas des exploits de Carlos Ghosn, ils n’y voient aucune gloire !

Que font-ils de différent au Japon ? L’investissement privé y est en baisse, les entreprises anticipent un ralentissement de la demande sur les marchés de l’export. Les investissements publics sont en hausse. Ils sont dirigés vers des infrastructures pour prévenir les désastres naturels. Le déficit budgétaire augmente et le gouvernement prévoit une hausse de la TVA. Entre-temps, plus discrètement, le pays procède à une sortie lente et progressive du modèle construit sur l’exportation. Les Japonais construisent des ponts entre les secteurs de l’université, des industries et du gouvernement pour trouver des solutions d’organisation régionales. On y favorise l’emploi local et un retour à l’autonomie alimentaire.

Le Japon est une île, comme Maurice. Plutôt que de singer Dubaï et Singapour qui, pour leur part, sont au sommet du hit-parade de la non-durabilité, ne pourraiton pas opter pour un nouveau modèle ? Ne serait-il pas temps de changer de référence économique ?