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Analyse: Délocalisation

22 février 2019, 12:18

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L’industrie textile mauricienne vit ses dernières heures. De ses meilleures usines, on s’attend désormais, au mieux, à une délocalisation partielle, à l’instar de la Compagnie mauricienne de textile (CMT), au pire à des fermetures, à l’image de Palmar Limitée. Si le second cas paraît inévitable, faute de commandes, le premier peut surprendre au vu des bénéfices générés. Mais la manufacture, aujourd’hui, se globalise, ses capitaines devant faire une analyse multifactorielle des changements en cours.

Même si c’est une partie de ses activités qu’on choisit de délocaliser, sans le siège social, on transfère la substance à l’étranger, tout en gardant à Maurice une coquille qui se vide petit à petit. La délocalisation signifie un transfert des services de l’entreprise tels que l’innovation, la stratégie, la direction des achats, le marketing et la gestion de la trésorerie. A l’ère de l’Internet, l’entreprise se constitue en réseau international qui communique par téléconférences.

Les palliatifs traditionnels des autorités ne marchent plus. Juste après l’annonce du patron de la CMT, menaçant de licencier 5 000 employés à moyen terme, la roupie a recommencé à glisser contre le dollar. En l’espace d’une semaine, celui-ci gagna 25 sous et repassa au-dessus de Rs 35 après que la Banque de Maurice avait acheté 30 millions de dollars sur le marché domestique le 7 février. Les propos d’un grand exportateur ont plus d’effets sur la roupie qu’une baisse du taux directeur par le comité de politique monétaire.

Or ce serait dangereux de jouer avec le taux de change, et ce n’est pas le niveau du taux d’intérêt qui pousse la CMT à délocaliser. Car elle privilégie les fonds propres comme mode de financement, modifiant à loisir son ratio endettement-fonds propres (gearing), c’est-à-dire la composition des ressources financières à sa disposition. Par conséquent, la rémunération représente une part plus importante de la valeur ajoutée. Si bien que la taxe de solidarité sur les cadres supérieurs peut être démoralisante.

Pourtant, les exportateurs bénéficient de nombreuses incitations : taux d’imposition préférentiel de 3 %, subvention monétaire sous l’Exchange Rate Support Scheme, et subside de 40 % sur le fret aérien sous le Speed-to-Market Plan. Mais c’est peine perdue. On préfère déménager une partie de sa production vers des pays où les conditions de production sont plus favorables. La délocalisation vise, entre autres, à contrecarrer des prix élevés et inflexibles sur le marché du travail, tel le salaire minimum.

Cela démontre qu’une économiene gagne rien aux hausses forcées des prix de certains facteurs de production. La valeur d’un produit final ne résulte pas de l’addition des valeurs apparues aux différents stades de production. Bien au contraire, a expliqué Carl Menger, le fondateur de l’École autrichienne, la valorisation des facteurs de production trouve sa source dans la valeur que les consommateurs accordent au produit final. Ce sont les consommateurs qui, en valorisant un bien, déterminent indirectement la valeur de chaque facteur de production. L’imputation de la valeur se développe du produit final vers les facteurs de production, et non inversement.

Le meilleur moyen de réduire la dépendance au travail, c’est par l’informatisation et la mécanisation. Pour une entreprise qui, comme la CMT, investit massivement et continuellement dans la technologie et l’équipement, le coût du travail ne peut pas être le principal facteur de délocalisation, sauf s’il est dicté par l’État plutôt que par le marché. La raison de délocaliser est davantage liée à la proximité de matières premières et à la disponibilité de travailleurs qualifiés, capables de travailler sur des machines sophistiquées.

Et puis, on ne cherche pas vraiment des bas salaires, mais des gens qui acceptent de travailler. Comme le dit François Dupuy, sociologue des organisations, «l’objectif premier de nombreuses délocalisations n’est pas de faire travailler des gens moins payés, mais de faire travailler des gens !» Les étrangers ne prennent pas la place de travailleurs mauriciens, mais ils garantissent la survie de la CMT !

La délocalisation permet aux entreprises d’être proches de leurs sources d’approvisionnement, comme les négociants italiens qui installaient des succursales en Flandre à la fin du XIIIe siècle afin de négocier leurs achats au plus près de la production. Si les entreprises rapprochent leur production de leurs marchés, c’est pour réduire les risques de change et les coûts de revient en vue d’obtenir des marges bénéficiaires qu’elles ne trouvent plus à Maurice.

Dorénavant, lorsqu’ils évaluent les compromis entre le lieu où ils produisent leurs biens et celui où ils les vendent, les manufacturiers doivent tenir compte de tous les facteurs intrants. Le plus important est de trouver des talents bien formés. La manufacture devient une activité hautement technologique, avec la robotisation et la nanotechnologie, nécessitant des capacités analytiques pour transformer des données en actions opérationnelles à l’intention des clients qui demandent plus de variété et des cycles de vie des produits courts.

Ceux qui rêvaient d’une manufacture à 25 % du produit intérieur brut doivent prier que les services compensent les biens au niveau de l’exportation. Le ministre du Tourisme avoue être «très inquiet» pour son secteur, Air Mauritius a du plomb dans l’aile, l’activité offshore pique du nez et le déficit du compte courant se creuse. Mais le Premier ministre et ministre des Finances aime couper des rubans et prépare un budget électoraliste qui brisera une économie déjà mal en point.