Publicité

«Le compte à rebours est en marche contre vous»

20 février 2019, 16:07

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Lettre ouverte à Navin, Pravind, Paul et Xavier

Messieurs,

Dans très peu de temps, nous, les éternels tondus, serons l’objet de toute votre attention. Vous trouverez le temps de vous frayer un chemin menant vers les recoins les plus oubliés du pays, au sein même des forteresses de l’exclusion où le développement peine à faire une percée, aussi faible soit-elle. Et, pendant quelques minutes, ces «damnés de la terre» acquerront leur valeur marchande et cesseront de n’être que des gueux à vos yeux. Par ailleurs, vous daignerez échanger quelques poignées de mains, en passant, fort chaleureuses avec vos «frères et sœurs» et prendre les nouvelles de leur famille. Votre conscience, en veilleuse pendant des années, vous poussera à faire des visites à domicile chez ceux et celles que vous traitez, en votre fors intérieur, de «pestiférés».

Pendant des décennies, nous avons été bernés par des espoirs mielleusement fignolés dans vos manifestes creux. Aujourd’hui, impitoyablement malmenés, nous avons été spoliés de nos rêves les plus légitimes. Messieurs, vous vous êtes longtemps abreuvés à toutes les sources de jouissance. Cependant, le temps est assassin. L’inexorable compte à rebours est en marche contre vous. Vous vous rapprochez du moment où il faudra quitter la table. Il est donc grand temps de penser à ce que vous laisserez derrière vous. Les élections à venir et leur issue sont donc importantes autant pour nous que pour vous. Toutefois, ne vous trompez pas sur le sens de votre combat, au-delà de cette obsession de prendre les rênes du pouvoir. C’est votre ultime chance de rendre justice à vos compatriotes tout en donnant enfin un sens à ce que vous appelez, à tort, votre engagement politique.

Monsieur Ramgoolam, vous êtes le seul parmi vos comparses à avoir publiquement admis que vous avez fauté et que vous êtes prêt à vous amender. Est-ce un authentique «mea culpa» ? Cela suffit-il à faire de vous un candidat crédible ? À en juger par la levée de boucliers sur les réseaux sociaux à chaque fois qu’il est question de votre retour, vous auriez dû, dans un élan altruiste, céder le leadership du Parti travailliste à Arvin Boolell. Ainsi, la population se serait souvenue de vous comme celui qui s’est sacrifié pour mettre fin au règne du népotisme qui étend ses tentacules partout et tue notre peuple à petit feu. Cependant, nous savons que pour vous, vivre loin du pouvoir, ce n’est plus vivre. Votre convoitise et votre luxure vous convainquent, semble-t-il, que vous avez encore de beaux jours de jouissance devant vous, compte tenu du fait que Jugnauth père officie toujours à la veille de ses 90 ans, quoiqu’en sinécure. 

Monsieur, vous le chantre du libertinage et des plaisirs de la chair, vous donnez des signes – qui ne trompent pas – que vous n’avez pas encore atteint votre point de satiété. N’est-il pas temps, à 72 ans, de donner une nouvelle orientation à votre vie, de transcender les futilités égoïstes au profit d’un engagement politique réel ? Vous avez tellement, par habitude, vautré dans des bassesses que vous devez sans doute ignorer le sens de ce que cela veut dire «avoir les mains propres». Vous avez de plus la chance d’avoir une épouse qui a toujours fait dans la discrétion et qui, malgré les humiliations subies, vous donne toujours docilement des opportunités de vous racheter pour enfin vous comporter en homme responsable et digne de sa fidélité.

Monsieur Ramgoolam, vous êtes le maillon faible de votre parti. Mais englué à cette position de leader, vous gardez votre ténacité et vous refusez de lâcher prise. Soyez bienveillant envers vous-même. Au cas où vous remporteriez la victoire, promettez-nous de tout mettre en œuvre pour nous faire oublier cette image surréaliste d’un vieillard ébouriffé, hagard, le visage ravagé par les excès innommables, gravitant les marches de l’escalier menant au bureau de votre inquisiteur. Surtout, par magnanimité, restituez à l’État le contenu de ce coffre-fort, car l’argent n’est pas l’ultime consécration d’une vie. Vous le ferez, n’est-ce pas ? Monsieur Ramgoolam, prenez du recul. Il reste en vous quelques ressources, une petite mèche qui peut-être brûle encore qui vous permettra d’effacer tout le gâchis. Nous n’avons qu’une vie. Corrigez-vous avant qu’il ne soit trop tard.

Monsieur Jugnauth, vous avez eu le malheur de naître dans une famille où on parlait constamment d’argent, où on comptait avidement les billets et où on rêvait de Mammon au lieu de se laisser paisiblement bercer dans les bras de Morphée. L’argent étant présenté comme la suprême valeur au sein du foyer, en tant qu’enfant vous avez dû être émerveillé à chaque fois que vos parents ont ouvert la porte de la grande armoire pour y ranger les liasses du jour. Trop occupés à comptabiliser les «contributions» de provenance douteuse au parti, vos parents ne vous ont jamais appris à lire la souffrance ni le désespoir dans les yeux des enfants souvent condamnés à s’endormir avec ce pénible creux à l’estomac. 

Alors qu’on reproche à votre famille d’avoir amassé leur fortune aux dépens des contribuables, le récit de la vie de vos compatriotes menant une lutte désespérée face à la maladie et vivant dans des conditions exécrables ne vous a certainement jamais touché. Monsieur Jugnauth, cependant, en toute honnêteté, nous aimerions vous dire que, même si vous nous saignez à blanc, vous méritez notre pitié. On vous devine écrasé par un père qui, voulant faire de vous son clone en petit, vous a jeté dans l’arène politique malgré vous.  

Le calvaire que vous subissez encore avec l’affaire MedPoint n’empêche pas vos proches d’exiger plus de vous, toujours plus. Beaucoup soupçonnent que l’imbroglio découlant des récentes démarches du pion Navin Beekary a pour source ces forces occultes opérant de votre plus proche entourage. On vous a d’ailleurs affublé du surnom PJ Pinocchio pour se moquer de votre mollesse si influençable et votre visqueuse tendance à vous laisser entraîner dans le pire guet-apens. Vos adversaires politiques doivent se réjouir du fait qu’ils n’ont même pas besoin de bouger le petit doigt pour vous prendre à contre-pied : vos proches font un si beau boulot.

Monsieur Jugnauth, pourquoi persistez-vous à continuer à n’envisager votre avenir qu’à travers la politique ? Prenez d’abord conscience des chaînes domestiques qui vous emprisonnent. Prenez le temps de comprendre le symbolisme derrière le conte «Pinocchio». Loin d’être une fable pour les petits comme vous, «Pinocchio» nous parle de la lutte d’un enfant, réduit à l’état de marionnette qui se bat pour exister. À la fin, pourtant, Pinocchio apprend à dire non, il assume son autonomie, gagne en humanité et devient un véritable petit garçon. 

Or, nous avons assisté depuis 2014 à un spectacle des plus ahurissants où il suffisait d’une requête murmurée au creux de l’oreille pour que vous installiez partout les proches de votre clan. Vous aurez beau jurer devant tous les dieux qu’il n’en est rien. Mais vous avez tellement abusé de vos prérogatives que les perceptions font mentir les faits. Car, seul au pouvoir, vous avez cette fois-ci dépassé les bornes. Il est inimaginable que ce pays se soit enlisé exponentiellement dans les travers d’une époque, croyait-on, révolue.  Aussi, vous devez prendre conscience du fait qu’au cas où, innocenté, vous seriez à nouveau élu, ce serait votre dernière chance de renaître de vos cendres, de prouver au monde que vous êtes à votre place. «Macbeth» comme livre de chevet pourrait vous aider à comprendre ce qui se passe dans votre vie et à y mettre de l’ordre ! 

Monsieur Bérenger, vous êtes celui qui, de toute évidence, avait les qualités fondamentales requises pour faire naître une nation mauricienne : charisme, fougue, intelligence, le goût du travail bien fait et le désintéressement. Par ailleurs, il se trouve que vous êtes le seul homme politique sans ascendance dynastique. Animé d’un sens profond de l’éthique, tel Ulysse vous êtes le seul à avoir pu naviguer pour éviter ces écueils de corruption sordide qui jalonnent l’espace politique.

Or, paradoxalement, vous êtes celui qui aurait le plus déçu, et ce au point où le MMM est aujourd’hui réduit à une peau de chagrin. Vos rapports avec le pouvoir ont été des plus ambigus. Vous avez démontré à maintes reprises qu’on ne pouvait compter sur vous. Votre erreur stratégique, la dernière, vous a été fatale. Dans un moment d’égarement, vous avez prêté l’oreille au chant des sirènes du PTR. Cette mésalliance, le peuple l’a vécue comme une trahison. Et votre électorat «dépôt fixe» a signifié son profond mécontentement en cautionnant avec vengeance un MSM de ramassis qui aujourd’hui encore font honte à la noble tradition westministérienne. 

Pendant longtemps, vous vous êtes débattu dans vos contradictions. Vous avez su nous faire vibrer dans les années 80 en réinventant le mauricianisme. Mais vous êtes tombé dans le piège contre lequel vous nous aviez mis en garde. Ne croyant pas à vos chances de réussite vu la blancheur de votre épiderme, vous avez laissé à votre génie le soin d’inventer la carte fatidique du «communalisme scientifique» ! Voilà la tragédie de votre parcours politique ! Si une large partie de votre électorat vous a tourné le dos, c’est qu’elle ne reconnaît plus l’homme de conviction d’antan. N’empêche qu’à votre crédit, votre quête de l’absolu est une nécessité salutaire pour le pays, bien que votre parcours ait été sinueux. 

Au-delà de l’égocentrisme et l’autoritarisme du personnage, nous admirons toujours le meneur d’hommes qui valorise l’assiduité au travail. Vos proches collaborateurs estiment que votre combativité contre de graves ennuis de santé vous a rendu moins fébrile et plus tolérant aux faiblesses d’autrui. À votre place, beaucoup auraient déjà déposé les armes, fuyant la vie publique pour grappiller les derniers instants fugaces du bonheur. Or, Monsieur Bérenger, vous demeurez un exemple pour ceux qui face à la maladie refusent de baisser les bras. 

Toutefois, nous nous posons cette question : «Avons-nous un avenir avec vous ? Êtes-vous enfin sorti de vos errances ?» Contrairement à Ramgoolam et Jugnauth, vous avez cet incomparable avantage de n’avoir jamais sombré dans l’inculture économique, d’avoir votre propre vision de l’avenir de notre pays. De plus, étant resté très peu au pouvoir, vos passifs semblent négligeables par rapport à l’énormité de ceux des autres. Cependant, aux yeux de beaucoup de militants, vous restez un traître pour avoir déserté le gouvernement à chaque fois que le MMM a partagé le pouvoir avec un allié. La marche vers la reconquête s’avère difficile, à moins que vous ne fassiez des concessions respectueuses d’intégrité pour réconcilier la grande famille MMM. 

Monsieur Duval, votre parti rebute ceux qui croient fermement dans le mauricianisme. Vous jouez sans vergogne sur le fait qu’une partie de la population s’estime exclue du progrès. Même si une telle discrimination s’avérerait vraie, il est grand temps pour vous de cesser de jouer sur ce tableau. Votre récente incursion dans les affaires rodriguaises est une véritable insulte à votre intelligence. Vous avez prouvé de par votre rôle dans l’affaire MedPoint que vous auriez pu apporter beaucoup plus à la nation mauricienne si vous n’étiez pas aussi opportuniste. Cessez de courir derrière les alliances. Soyez plus authentique dans vos convictions et efforcez-vous à suivre l’exemple de votre défunt père qui, malgré ses excès, était désintéressé et portait sur la main son cœur. 

Ces divers parcours politiques nous permettent d’avoir un aperçu des arcanes de la psychologie humaine. L’homme, aussi pervers soit-il, est encore capable d’une rédemption, surtout quand il sait qu’il est probablement en train de jouer les dernières partitions de sa vie. Nous souhaitons ardemment que pour une fois, nos quatre politiques fassent preuve de panache et aillent seuls aux élections. Comment mieux montrer qu’on pratique une politique de rupture que de privilégier l’intérêt général ? Ainsi, en cas de victoire, il s’agirait pour Ramgoolam d’être magnanime et de renoncer à une politique de vengeance qui mettrait en péril le devenir de la nation.

Jugnauth devrait rompre avec cette pratique déshumanisante d’institutionnaliser le népotisme et promettre que le centre décisionnel ne franchirait pas, en cas de victoire, l’enceinte de l’hôtel du gouvernement. Quant à Bérenger, il devrait placer sa démarche sous le signe de la constance et la fiabilité au cas où il formerait le prochain gouvernement. Duval, le leader du parti minoritaire au sein de ses différentes alliances du passé et expert dans la négociation en cas de victoire, devrait commencer à se positionner pour affronter l’électorat sans béquilles. 

Les choses ne se dérouleront probablement pas ainsi. Nos politiques, par essence, ne sont pas des hommes d’honneur, faisant sans scrupule abstraction de la morale. C’est à nous, électeurs avisés, d’être vigilants pour exposer leurs dérives publiquement. Toute tentative liberticide devrait être combattue avec force et conviction, car comme l’a si bien dit Michel Rocard : «Si vous ne vous occupez pas de politique, elle s’occupera de vous.»