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«Ma vie est un message», disait Gandhi

1 février 2019, 07:17

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Fidèle à lui-même, lors d’une messe, Donald Trump a confondu le plateau de la quête avec le plateau de la communion dans lequel il a mis 50 dollars ! Cet incident démontrant clairement qu’il n’a rien d’un pratiquant ne l’a cependant pas empêché de chercher à instrumentaliser la religion – il a songé à abroger l’amendement Johnson qui interdit aux prédicateurs religieux de soutenir ouvertement en chaire un candidat à une élection en Amérique. Cet incident nous fait penser à cette réflexion d’un politologue : «Dieu n’est pas mort. Il fait de la politique. Partout dans le monde, le religieux est de retour.»

Force est de constater qu’à Maurice aussi, depuis des années, rien n’a été fait concrètement par les alternances au pouvoir pour apporter une certaine quiétude dans notre société en insistant sur la séparation du politique et du religieux. Nous pourrions même affirmer que dans les générations précédentes, le sectarisme actuel des uns et des autres n’existait pas dans les mêmes proportions qu’aujourd’hui. Ainsi, les kalimaye, par exemple, ont longtemps voisiné à côté des grottes et des dévots rendaient un culte à l’un et l’autre lors des grandes occasions rituelles.

Pravind et Kobita Jugnauth ont participé au Kumbh Mela, jeudi dernier..

De nos jours, cependant, certains collègues se regardent en chiens de faïence dans la fonction publique – des petits malins usent et abusent des congés clamant haut et fort que de par leur caractère religieux, leur hiérarchie ne peut les leur refuser. Les choses se gâtent davantage avec la perception justifiée ou pas que toutes les confessions ne sont pas logées à la même enseigne ! Au fait, le religieux semble devenu pour beaucoup de monde un véritable fonds de commerce. Et les politiques en sont largement responsables. L’omniprésence des associations socioculturelles dans notre vie publique est une véritable plaie béante.

Ainsi, de par l’intrusion des élus dans la sphère religieuse, les dévots se sentent redevables au pouvoir public pour les lieux de culte. Si cette forme de clientélisme communautaire et religieux irrite certains pratiquants, pour des roder bout, cela représente une occasion en or. Les lieux de culte et les associations religieuses sont devenus des espaces où on négocie le transfert d’un collégien, une recommandation pour un travail. Le paiement se faisant au moment de passer aux urnes. La religion devient ainsi l’instrument de la conquête politique. Mais cela paie-t-il toujours ?

Jouer la carte identitaire

En Inde, d’abord avec Vajpayee puis avec Modi, le BJP a joué la carte identitaire, l’accent étant mis sur l’affirmation de l’hindouisme pur et dur. Cependant, il s’avère dangereux pour la démocratie de mélanger le sacré au politique. Comment s’élever contre les injustices innées au pouvoir politique si elles sont intimement liées au sacré qui relève du tabou ? N’est-ce pas sonner le glas de la démocratie que d’associer politique et religion ? Nehru avait rêvé d’un autre avenir pour l’Inde – une Inde résolument davantage tournée vers la laïcité. Les circonstances ont été telles que les dirigeants qui se sont succédé en bons opportunistes ont cru pouvoir tirer plus de dividendes politiques en réinvestissant le sacré en politique.

Ainsi, Atal Bihari Vajpayee croyait naïvement qu’il suffisait de polariser l’opinion publique sur le religieux et le sentiment nationaliste pour faire les millions de ruraux oublier qu’ils avaient été exclus de la prospérité économique. Malgré une campagne flamboyante, «Shining India», axée autour d’un bilan très satisfaisant (pour les élites et les classes moyennes supérieures), Vajpayee ne fut pas réélu aux élections anticipées. Modi aussi, qui n’a pas accordé une attention égale à toutes les couches de la population, n’est pas sûr d’être réélu malgré le fait qu’il joue à fond sur les cartes identitaire et religieuse. Son joker réside seulement dans le fait que le Parti du Congrès demeure entaché par des histoires sordides de corruption.

Nous pouvons donc constater que semer la graine de division dans le chaudron politique et dans la marmite sociale à travers l’instrumentalisation religieuse n’aboutit pas toujours à des fins heureuses pour les dirigeants à la reconquête du pouvoir. Cependant, ce jeu pervers a une puissance mortifère conséquente – les tendances de violences interreligieuses sont à la hausse en Inde. S’il est heureux que nous n’en sommes pas là à Maurice, n’oublions pas qu’il y a eu des épisodes douloureux dans le passé et il importe que nos dirigeants fassent leur examen de conscience afin de prendre du recul par rapport à leur mission en tant que représentants et élus du peuple.

Au service des autres

C’est ce que fait Pravind Jugnauth. Confronté à des difficultés dans sa vie publique, il se cherche. Il est vrai que dans ce dur métier où on met sa vie au service des autres, on doit se ressourcer, se purifier. Il en était de même pour Ramgoolam, qu’on photographiait au Samadhi et à Grand-Bassin, l’expression auréolée d’une sorte de grâce commune à tous ceux qui sont à la recherche du divin. Cependant, cette quête n’aurait-elle pas dû rester dans le domaine privé ? Pravind Jugnauth anticipe-t-il sur les événements ? Au cas où il serait blanchi, ne viendrait-il pas dire que la justice divine a parlé ? Quels messages veut-il faire passer à travers ces rituels publics ? Nous pensons ici à Gandhi qui n’accordait aucune importance aux rituels, se contentant de dire quand on l’interrogeait sur son cheminement : «Ma vie est un message.»

Quels messages nous laissent nos élus dont la plupart sont si férus de spiritualité- politique ? La foi relève certes de l’intime, mais en s’exhibant ainsi, nos élus laissent le champ libre à la critique. Tous les livres sacrés nous enseignent qu’il n’y a rien de mal à posséder des richesses matérielles, mais c’est un désir sans fin pour l’accumulation des richesses qui est un obstacle à la vie spirituelle – «Celui qui aime l’argent n’est point rassasié par l’argent.» Toutefois, Jugnauth, Ramgoolam, Baichoo, Dayal et Lutmeenaraidoo (maître ès méditations devant l’Éternel) nous démontrent tous qu’il n’y a rien d’incompatible entre l’accumulation des richesses et la spiritualité. Ils sont dans un raisonnement vicié qui les empêche de voir à quel point leurs actes ne sont pas en harmonie avec leur démarche spirituelle. À trop vouloir se mettre en scène, on en devient obscène.

Néanmoins, Pravind Jugnauth, Ramgoolam et consorts à la quête de la rédemption se rendront peut-être compte que l’asservissement au pouvoir, aux gains matériels est un véritable esclavage. Ils découvriront qu’une authentique rencontre avec Dieu nous rend davantage conscients de la nécessité de faire preuve de compassion envers les plus vulnérables. Tout comme beaucoup de philanthropes, ils mettront alors leurs grandes richesses au service des autres. Cependant, à Maurice, nous ne vivons pas dans le meilleur des mondes. La devise de nos élus serait plutôt : «Charité bien ordonnée commence par soi-même.»

Nos politiciens devraient tous lire et méditer sur ce poème de Tagore pour mieux comprendre que cela ne sert à rien d’avoir des pratiques religieuses si on ne devient pas un meilleur être humain.