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La guerre des dynasties aura bien lieu

1 janvier 2019, 07:18

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La guerre des dynasties aura bien lieu

2019, une année qui s’annonce particulièrement chaude, mouvementée et éprouvante sur les plans politique, économique et social. Pas tant à cause du changement climatique qu’en raison des élections générales qui se profilent. LA question qui dominera : Pravind Jugnauth pourra-t-il conserver le pouvoir hérité de son père, ou est-ce que Navin Ramgoolam saura lui arracher ce pouvoir tant convoité ?

La réponse n’est pas aussi simple que cela. Il s’agira, en fait, d’une vraie guerre, pas d’une simple bataille. Une guerre, avec beaucoup de moyens, qui sera sans pitié, non pas entre deux adversaires, mais entre deux ennemis personnels, deux fils des deux dynasties qui ont régné et qui voudraient, coûte que coûte, protéger leurs acquis familiaux. Quitte à couper le pays en deux. Et nous tous avec.

Si nous avons affaire à (déjà trop ?) des fans déréglés de Liverpool et de Man U, cette fois-ci, il nous faudra aussi conjuguer avec les suiveurs du MSM qui vont se mesurer à ceux du PTr. Tant pis pour ceux, comme nous, qui n’ont pas une vision manichéenne de la vie. Les principes absolus du bien et du mal nous seront servis à la sauce orange ou rouge. Sans nuances, et sans état intermédiaire. Les autres influenceurs politiques, y compris le MMM d’un Paul Bérenger qui tente difficilement de cacher le profond malaise mauve, devront, at some point in time this year, se ranger à l’un ou l’autre camp. Ayant réalisé, sans doute par manque d’audace, ou par pure complaisance exotique, que Maurice n’est pas encore prêt à se débarrasser, au nom de la salubrité publique, à la fois d’un Jugnauth et d’un Ramgoolam. Mais serons-nous, un jour, enfin prêts à dire non aux alliances stratégiques de convenance, contractées sur l’autel du communalisme (ou communautarisme), pour parachever notre ultime émancipation politique ?

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L’affaire MedPoint, à la mi-janvier, au Privy Council, sera déterminante. Le jugement des Law Lords est tant attendu à Maurice, de même que dans plusieurs pays du Commonwealth. C’est, en effet, bel et bien la première fois qu’un sitting Prime Minister d’un pays souverain aura à faire face à une cour de justice britannique, pour démêler l’écheveau d’une affaire de corruption, qui (main)tient le pays en haleine depuis 2009. En attendant, puisque tout le monde est un peu expert en tout chez nous, chacun revêt la toge d’un Law Lord et nous donne un avis, pas du tout autorisé ou éclairé, sur le verdict à venir. Ici aussi, la dualité oppose ceux qui affirment que le Privy Council ne prendrait pas le risque de «déstabiliser» le gouvernement d’un pays, alors que d’autres expliquent qu’au contraire le Conseil privé de Sa Majesté, indépendamment des considérations politiques bien mauriciennes, pourrait s’élever au-dessus de la mêlée et sonner un utile rappel à l’ordre, en guise d’avertissement à tous ces leaders des pays (en développement) sur la moralité publique. Dont un principe cartésien voudrait qu’un dirigeant politique se doit de s’abstenir tout bonnement de signer des chèques pour sa famille ou pour soi-même, en puisant dans les caisses de l’État. En rappelant, précisément, le distinguo entre État et gouvernement, au-delà de la simple question de la Prevention of Corruption Act.

Dépendant du verdict de Londres, qui, une fois encore, orientera notre cheminement politique, on sera fixé sur le calendrier électoral. Les conseillers des Jugnauth misent sur – et prient pour – un jugement favorable afin de rappeler le pays aux urnes avant la dissolution automatique du Parlement – dont la date d’expiration est connue : le 21 décembre 2019. En cas de jugement défavorable, puisqu’aucun autre recours n’est juridiquement possible, sir Anerood, malgré ses 89 ans, aura à remonter sur le trône (une fois que le Metro Express circulera), afin de résister aux assauts de Ramgoolam. Une telle éventualité nous rapprochera, alors, encore un peu plus du Zimbabwe de Mugabe, du Gabon des Bongo ou de la RDC des Kabila…

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Et l’express dans tout cela ? Témoins des acteurs politiques qui tantôt nous caressent, tantôt nous étranglent, nous maintiendrons notre ligne éditoriale qui n’est assujettie à aucune des deux familles dynastiques de Maurice. Alors que les flagorneurs de service vont chanter les louanges de leur prince respectif, nous soulignerons, nous, les spectres de l’instabilité politique qui impactent foncièrement l’économie ; le secteur privé, face au duel Jugnauth/Ramgoolam, risque de s’enfermer dans un attentisme prudent, pour ne pas dire opportuniste. Sur le plan économique précisément, même si on a salué la Negative Income Tax (qui touche 70 000 employés) et le salaire minimum de Rs 9 000 (qui bénéficie à pas moins de 120 000 employés, dont les courageuses Cleaning Ladies qui touchaient, hier encore, Rs 1 500 de misère), la visibilité demeure faible. Malgré ces mesures sociales, progressistes, il devient évident qu’on n’arrivera pas à inverser la tendance, et que notre taux de croissance, qui est en soi au centre d’une bataille de chiffres et de méthodologies, ne dépassera pas les 4 %. Et nous savons tous que si nous voulons vraiment décoller, nous avons besoin d’une croissance qui dépasse les 5 %, voire les 6-7 %. Sur le plan international, l’incertitude autour du Brexit et des taux d’intérêts des puissances économiques (USA et Chine surtout) va compliquer la donne.

Peut-être cultivons-nous, un peu trop, cette fâcheuse tendance à mélanger politique – qui devrait être un art noble – et politiciens (des personnes aux postures dynastiques que nous voyons quotidiennement se battre, en portant leur cash et leur caste en bandoulière). Ces quelques propriétaires de partis, qui semblent ne pas vouloir que Maurice s’émancipe du Best Loser System, du présent système électoral inique, et d’autres reliques coloniales…

Et cette question qui taraude : la presse est-elle le reflet de la politique ou est-elle son moteur ? Les travaux, entrepris depuis quelques décennies dans les nouvelles sciences sociales, et nos observations, au quotidien, permettent de nuancer fortement cette idée d’une presse toute-puissante. Comme chacun est finalement libre de son opinion et de ses choix (comme celui d’acheter ou pas un journal), politicien comme journaliste, le chassé-croisé entre ces deux corps de métier risque de demeurer imparable. Tant mieux. Certes, avec des moyens déloyaux ou immoraux, certains propagandistes, sous le manteau de journalistes indépendants et libres, vont, plus que jamais, nous imposer leur propagande ; la télévision nationale est, du reste, au service du gouvernement (du jour) pour intoxiquer les esprits à cet effet. L’objectivité journalistique, nous l’avons toujours dit, restera un mythe. Ceux qui estiment que la fonction du journaliste ne consiste qu’à regarder et enregistrer (en d’autres mots des «spectateurs») puis à reproduire des propos, disons de Pravind Jugnauth ou de Navin Ramgoolam, sans les relativiser, sans les questionner, sans enquêter, ne comprennent, en fait, pas grand-chose au monde de la presse. Et cette année encore, on les laissera braire…

Si, par essence, on ne peut pas être objectif, en revanche, nous continuerons, contre vents et marées, notre devoir – moral et légal – d’être honnête vis-à-vis des faits d’actualités, pourtant loin d’être transparents à Maurice. La liberté d’informer, les règles de transparence (ces promesses jamais tenues par le pouvoir, quel qu’il soit) font de l’activité journalistique un pari audacieux – et risqué. Nous sommes bien placés pour le savoir, surtout après les secousses liées aux affaires Yerrigadoogate, en 2017, et Platinum Card en 2018, entre autres.

À l’entame de cette année électorale, nous allons poursuivre notre mission de service public en mettant en relief, quand l’actualité le permet, la marchandisation de la pratique politique et l’indifférence au principe qui veut que l’action politique doit reposer sur des convictions. Justement, dites-nous, quelles sont ces convictions de nos politiciens… On s’y attardera, davantage, en 2019. En attendant, chers lecteurs, toute l’équipe de l’express et de La Sentinelle se joint à moi pour vous présenter nos meilleurs voeux pour la nouvelle année. Merci pour la confiance que vous nous accordez chaque jour. Oui, contrairement au MSM et au PTr, l’express va aux élections générales chaque matin… depuis 1963. C’est dire que nous avons été témoins à quel point certains hommes et femmes préfèrent la guerre des clans au travail collectif. Comme les ressources et les fauteuils sont limités à Maurice, est-ce alors surprenant qu’ils préfèrent de loin s’entre-tuer que de s’entraider ?