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Scénario turc ?

22 août 2018, 09:48

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Scénario turc ?

Dans l’Amérique de Donald Trump, tous les rebondissements et tous les scénarios sont permis. Y compris cette crise diplomatique sur fond d’un pasteur américain retenu en Turquie, qui dégénère en guerre commerciale avec des droits de douane relevés, et en guerre financière, les marchés étant en mode d’alerte.

La guerre commerciale, c’est la hantise des marchés financiers. Le scénario d’un ralentissement assuré. Et puisque les marchés misent toujours sur la hausse, ils fuient avant l’avènement du ralentissement annoncé. La livre turque dévisse et perd 40 % de sa valeur. L’approvisionnement de tout ce qui vient de l’étranger est ralenti, incertain.

Pourrait-on craindre à Maurice un scénario turc ? Ce n’est certes pas en cherchant noise à un pasteur américain que nous mettrions en péril notre économie. Avec le dossier Chagos, on se rapproche du feu… même si l’éventualité d’une crise diplomatique avec les États-Unis reste lointaine.

Ce qui est sous nos yeux et que nous ne voyons pas, ce sont les similitudes entre la structure de notre économie et celle de la Turquie. Facteur de vulnérabilité structurelle qui, en temps de crise, nous expose à un coup de frein brutal à la croissance.

La Turquie, comme Maurice, a fait le pari d’une économie ouverte. Dans cette économie ouverte, elle achète davantage de l’étranger qu’elle n’en produit en retour. Sa balance commerciale est déficitaire d’un montant équivalent à 6 % du PIB. Si les devises manquent pour acheter cette consommation, elles proviennent des investisseurs. Ces investisseurs qui misent sur le développement futur du pays. Si bien que la consommation courante des Turcs dépend de ces flux, qui eux-mêmes s’appuient sur la confiance des marchés financiers.

À Maurice aussi, nous consommons plus que nous ne produisons. Les devises que nous obtenons de nos hôtels, de nos usines, de notre sucre suffisent peut-être à payer notre riz, notre farine, notre essence, notre ciment, nos téléphones. Peut-être pas nos voyages, nos vêtements, nos SUV, notre vin… Avec un déficit de la balance commerciale de 6,5 % du PIB en 2017, nous vivons comme les Turcs, exposés aux marchés internationaux.

Nous ne nous en rendons pourtant pas compte. N’y a-t-il pas, dans nos centres commerciaux, des signes visibles de cette abondance que rien ne semble entraver ? Pourtant, si nous vivons ainsi, c’est que d’autres financent notre mode de vie. Ces autres, ce sont en partie ces investisseurs qui achètent des villas dans l’espoir d’un exode fiscal confortable. Mais ce sont surtout les fonds de l’offshore… Ces fonds offshore représentaient en 2017 un total de Rs 91 milliards, soit 20 % du PIB, induisant un surplus dans la balance des paiements. Or, le traité avec l’Inde vit ses derniers jours. Les autres marchés sont sous surveillance étroite. Du coup, cette source de financement pourrait, selon l’économiste Sushil Khushiram, «ne pas s’avérer durable au vu du nouveau cadre de gouvernance internationale des centres offshore».

Par ailleurs, à Maurice comme en Turquie, l’État, ou les organismes sous son contrôle, a accumulé des dettes libellées en dollars américains. Les guerres commerciales que Donald Trump livre au monde ont eu pour effet d’ébranler la confiance dans les marchés émergents exportateurs, et de faire grimper le dollar. Ce qui alourdit les remboursements des pays endettés. Les économistes qui suivent les marchés émergents parlent d’un scénario de «triple whammy» : ralentissement de la production, baisse des flux de capitaux, appréciation du dollar.

Pour l’heure, nous ne sommes pas en crise de manque de devises. Les institutions internationales ont retenu les leçons de la crise de 1997. Elles encadrent mieux les banques centrales. La Banque de Maurice surveille cette situation. Elle est mieux armée. Elle a accumulé des surplus et rassure qu’elle a les réserves nécessaires pour pallier les crises de cette nature.

Viendra tout de même le jour, il n’est pas loin, où nous devrons nous interroger sur la pérennité de notre modèle économique…