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Nourrir la Chine

1 août 2018, 07:50

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lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Peu d’informations ont transpiré sur l’issue de la visite du président chinois Xi Jinping la semaine dernière. Peu, sinon une possible aide de moins d’un milliard de roupies. Pensons-nous que le président se soit déplacé pour si peu ? Hmm… Reste alors à imaginer ce que pourrait être le véritable intérêt chinois pour une île du sud de l’océan Indien.

Dans la vision que nous avons pour notre propre développement, on aimerait penser que Xi Jinping ait épousé l’idée que Maurice serait une plateforme logistique et financière ouverte sur l’Afrique. Peut-être que tel est le cas… Mais restons réalistes. Malgré nos avancées, Maurice brasse un volume d’affaires qui reste marginal par rapport aux véritables enjeux industriels et financiers.

Observons plutôt ce qui se passe déjà dans le nord de l’océan Indien. Selon la chaîne américaine CNBC, de Djibouti aux Maldives, du Myanmar à l’Iran, la Chine apporte des aides commerciales, entremêlées de stratégies militaires. L’idée est de placer à tous les points stratégiques maritimes des activités militaires adjacentes pour sécuriser l’acheminement des marchandises et du pétrole de l’Asie centrale et l’Afrique à la Chine. La stratégie dite du «collier de perles».

En ce qui nous concerne, Maurice peut-elle prétendre à être, pour les Chinois, une de ces perles de l’océan Indien ? Notre positionnement géographique, quoique excentré par rapport aux grands axes maritimes, demeure stratégique. Notamment pour la sécurité des acheminements de biens d’Amérique du Sud et d’Afrique de l’Ouest vers l’Asie. Si la Chine compte maintenir son influence sur le sud de l’océan Indien, elle a besoin de se rapprocher de nous. Militairement et commercialement.

La stratégie commerciale de la Chine a pris un tournant décisif cette décennie. La Chine a pris conscience qu’elle a 1,5 milliard de bouches à nourrir et des consommateurs de plus en plus exigeants. Il faut un demi-hectare de terre pour alimenter un consommateur américain. La Chine ne dispose que de 0,1 hectare par consommateur. (Source : Bloomberg). La Chine est donc activement à la recherche de fournisseurs étrangers pour nourrir sa population qui veut rivaliser avec les Américains en quantité et en qualité. Avec plus de sucre et de viandes.

Ce qui pourrait l’intéresser, malgré les volumes faibles, ce sont nos biens naturels dont nous disposons et dont nous avons actuellement du mal à assurer la durabilité : le sucre et le poisson de nos eaux territoriales.

La production sucrière en Chine existe, mais elle n’est pas efficace. Son coût de production avoisine $1 000 (Rs 36 000) la tonne (Source : United States Foreign Agricultural service). Depuis mai 2017, le gouvernement chinois s’intéresse davantage à la pérennité qu’au prix. Il protège ses producteurs et a imposé des droits d’importation de 50 %. Il en a aussi profité pour diversifier ses fournisseurs. Moins de sucre en provenance du Brésil, de Thaïlande ou d’Inde à bas coût. Davantage de sucre du Costa Rica, du Vietnam, du Swaziland, d’Afrique du Sud, du Pakistan. Du sucre acheté plus cher que le prix du marché mondial à des pays avec lesquels il est plus important de nourrir des liens stratégiques.

Nous, Mauriciens, avons exporté 2 141 tonnes de sucre en Chine pour l’année 2017/2018, soit seulement 0,5 % de notre production. À l’heure où notre secteur sucrier est à l’agonie, comment ignorer ce potentiel chinois ?

Quant aux poissons de nos eaux territoriales, ils sont une source de protéines pour le reste du monde. Faute d’être en mesure de les protéger nous-mêmes, nous les partageons déjà avec les Japonais, les Européens et… les Taïwanais. Et tout ce beau monde pêche bien plus que de raison. Les Chinois, pour leur part, pêchent en mer de Chine. Une mer où les conflits territoriaux avec Taïwan, les Philippines, la Malaisie, Brunei et le Vietnam au sujet d’îlets épars maintiennent les diplomates en haleine. Au coeur des conflits : les droits de pêche dans un océan au bord de l’effondrement écologique. La Chine manque de poisson. On ne peut donc pas écarter l’idée qu’elle puisse un jour s’intéresser, elle aussi, à ces ressources naturelles.

Dans ce contexte, le rapprochement commercial et militaire de Maurice avec la Chine, s’il reste prudemment écarté du discours officiel, est une éventualité que nous serions naïfs de négliger. À condition de ne pas fâcher nos amis européens et indiens.