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Technocratie

2 août 2017, 10:09

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«It’s economic development, stupid!» C’est en ces termes que Gérard Sanspeur, le conseiller du Premier ministre, sur le blog Mauritius Finance, justifie la création de l’Economic Development Board (EDB).

Cet organisme, qui a vu le jour le 19 juillet, regroupe les activités de planification économique, de promotion nationale, de facilitation des investissements. Il veut répondre aux nouveaux besoins de l’économie pour assurer son développement. Une économie qui, dit-il, est chargée de trop de complexité pour que les décisions soient appréhendées par des organismes ciblés, sectoriels, ayant un champ de vision et d’opérations restreint.

L’EDB vise aussi à doter les systèmes gouvernementaux d’une vision stratégique et d’un suivi cohérent de son exécution, au-delà des mandats politiques. Il veut contribuer à élaborer les stratégies économiques nationales et conseiller les organismes publics à cet effet. C’est dans ce but qu’il compte exercer «un certain degré d’influence sur les agences gouvernementales». Le but de sa création, nous dit-on, étant de «transcender toute dimension partisane qui affecterait des choix stratégiques majeurs, les débats et controverses et les aborder comme des dossiers d’intérêt national».

Que veulent dire ces termes, en pratique ? Que peut-on comprendre par «un certain degré d’influence» dans les relations entre l’EDB et les ministères ? Que veut dire «transcender les débats et les controverses» ? On ne peut que s’interroger sur le paradoxe qu’implique cette posture dans un système démocratique construit précisément sur le principe du débat public et de l’ouverture à la controverse.

Ce système a cependant montré des signes de faiblesse suffisamment manifestes pour que la tentation de le court-circuiter soit grande pour toute personne animée d’un souci d’efficacité. Comment, effectivement, ne pas penser que des questions complexes puissent être débattues sérieusement dans cette Assemblée nationale qui nous livre chaque semaine un spectacle affligeant ? Difficile également de ne pas donner du crédit au désir d’exercer un degré d’influence sur les organismes gouvernementaux pour faire avancer les dossiers. Et ce, dans un contexte où la plainte répétée des investisseurs est ce parcours du combattant pour l’octroi de permis, ces expériences où les initiatives des bras droits sont fauchées par celles des bras gauches, et que Maurice recule dans les classements de facilitation d’affaires internationaux.

Et pourtant, même reconnaissant le bénéfice à court terme de ce mode d’organisation, la création de l’EDB invite à une certaine vigilance citoyenne. Car l’EDB dans sa structure permet une concentration de pouvoirs entre les mains de quelques personnes : le CEO, qui n’a pas été élu, et une équipe de technocrates susceptibles de perdre contact avec des électeurs jugés trop stupides pour décider de leur avenir.

Qui plus est, la concentration de pouvoir dans un organisme induit une situation par laquelle les équipes de l’EDB, aussi intelligentes soient-elles, seraient vulnérables aux multiples tentations de corruption que présentent leur rôle et leur pouvoir de décision, leur influence sur des budgets de dimension nationale considérable.

Des risques que le choix de gouvernance de l’organisme (une gestion assurée par un CEO, se rapportant à un conseil sous la présidence du Premier ministre), à lui seul, ne saurait prévenir. Si l’on juge sur les standards de gouvernance appliqués aux organismes d’État existants, il y a des raisons de croire que l’EDB ne serait dans son fonctionnement qu’une réplique de ce qui existe déjà : un organisme mou soumis aux caprices du pouvoir. Ce qui contribuerait à aggraver le caractère politique et partisan des décisions nationales, plutôt qu’à l’atténuer. Un pas de plus vers l’autocratie.

Les Mauriciens, semble-t-il, sont foncièrement démocrates. Les investisseurs aussi. D’où la nécessité non pas de faire la croix sur l’EDB qui pourrait jouer un rôle intéressant d’accélérateur et de facilitateur dans le paysage économique. Mais de s’intéresser sérieusement à la gouvernance des organismes d’État, et à l’attitude de ceux qui les dirigent. Facteur qui commence à faire tache dans le branding de Maurice à l’étranger.