Publicité

Vous avez dit priorités?

24 mai 2017, 11:13

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Vous avez dit priorités?

Les consultations pré-budgétaires sont l’occasion pour toutes les instances dirigeantes du pays de présenter leur avis et propositions dans l’intérêt national. L’occasion de faire la liste des priorités. On sait ainsi que pour Business Mauritius, faire remonter l’investissement public à 25 % du produit intérieur brut est un objectif clé. L’équipe économique de la MCB a choisi de mettre l’accent sur l’investissement en infrastructures publiques, condition préalable à la réalisation de nos ambitions. Bien !

La rue, pour sa part, a d’autres priorités. Et pas des moindres.

La rue estime que les épargnants méritent la justice. La rue estime qu’au nom de cette justice, il est utile de mettre en danger sa santé et sa vie pour faire bouger les autorités qui, pense-t-elle, devraient assumer une part de responsabilité dans cette situation.

Quelle que soit la part de responsabilité qui revient à chacun des gouvernements qui a laissé faire ou contribué à aggraver ce sinistre, les Mauriciens, dans leur grande majorité, sont empathiques envers cette contestation de rue. Ils souhaiteraient voir une issue à cette situation. C’est ce qui a poussé le gouvernement à s’engager à rembourser des épargnants, ce qui sera financé par un emprunt d’État de Rs 10 milliards. Il est possible que le gouvernement n’avait, en l’état, pas d’autre choix.

Que veut dire Rs 10 milliards ? L’équivalent du budget annuel de dix ministères clés. On peut aussi dire aux Mauriciens que le smartphone qu’ils hésitent à financer pour eux-mêmes ou leurs enfants, ils doivent s’en priver pour contribuer à la résolution de ce scandale financier... Si bien qu’on peut d’ores et déjà dire que le budget de 2017 sera un budget «perdu». Un budget construit non pas sur une vision de développement mais sur l’urgence de rétablir un ordre social fragilisé. Un budget construit sur l’urgence de rétablir la confiance dans le comportement d’épargne sous sa forme financière. Après, et seulement après, pourra-t-on envisager de canaliser cette épargne nationale vers des projets d’investissement. Nous touchons le fond de la crise systémique.

L’urgence est de trouver un prêteur pour avancer Rs 10 milliards à l’État mauricien. C’est ce qui, selon Pravind Jugnauth, semble possible avec le soutien du gouvernement indien. Si, à entendre les commentateurs, c’est ce prêt qui retient l’attention, il serait fâcheux que le débat à ce sujet serve à dévier l’attention de tout ce qui a rendu possible la catastrophe. Et à occulter tout ce qui devrait être mis en œuvre pour éviter une réédition de l’affaire BAI.

Justement, quelles sont les leçons de cette affaire ? Les nombreux rapports à ce sujet auront dé- montré non pas que notre système financier est mal construit, mais que les nombreuses lignes de défense qu’il comporte n’ont pas fonctionné: régulateurs complaisants, auditeurs sous influence, politiciens complices car bénéficiant de financements des délateurs, lanceurs d’alertes vertement ignorés… Le tout remontant à un point commun: la peur de déplaire au monarque du jour.

C’est bien là, la faille systémique de notre pays. Nous mettons beaucoup d’énergie à échafauder des projets de loi, à construire des institutions sophistiquées que nous allons vendre à l’étranger comme le nec plus ultra de la finance. Qu’en faisons-nous ? Nous les laissons gérer par des personnes qui, quels que soient leurs diplômes ou leurs affinités, ont pour compétence première l’art de la courbette. Alors que ceux qui sont pétris de justice finissent broyés dans les chicanes partisanes. Pouvons-nous prétendre construire un centre financier de calibre mondial avec des structures en papier mâché ?

Le vrai dilemme de Pravind Jugnauth sera de décider s’il compte nourrir ce trafic d’influence ou s’il s’engage à l’arrêter.