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CHECKS AND BALANCES

12 février 2017, 10:20

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Dans le sillage du cahier spécial de «l’express» sur la démocratie, dimanche dernier, il est sans doute utile d’en rappeler un des fondamentaux, soit le principe de la séparation des pouvoirs ou, comme on peut aussi le dire dans le monde anglophone, celui des «checks and balances» ou garde-fous.

Il faut d’abord peut-être rappeler pourquoi on en arrive à ce modèle. Si Trump tempête contre le pouvoir du judiciaire de le contrer et tempêtera peut-être bientôt contre le Congrès et le Sénat s’il continue à émettre des Ordres Exécutifs à la cadence des trois premières semaines*, c’est que la constitution des États-Unis (et celles de tous les États démocratiques modernes) sont des tentatives délibérées d’en finir avec le pouvoir absolu d’un directoire ou, plus fréquemment, d’un homme omnipuissant ! La Constitution des États-Unis (1787) suit ainsi la guerre d’indépendance (1776-1781) qui était elle-même un acte de rébellion contre un pouvoir monobloc de décision basé à Londres, sous le roi George III, où les colons américains n’avaient aucune voix. George III meurt fou en 1820. Les pères fondateurs des États-Unis d’Amérique, inspirés par Montesquieu et Hume, entre autres, n’étaient pas près de répéter le modèle contre lequel ils s’étaient insurgés et la Constitution américaine fut donc rédigée avec le principe de la séparation des pouvoirs en exergue, ce qui éviterait à tout président des États-Unis à jamais de se conduire comme un Rex Imperator et réduirait, en passant, le poids des aristocraties héréditaires.

C’est ainsi que, jeudi, la cour d’appel du 9e circuit, réputée «libérale», rejetait, pour anticonstitutionnalité, l’appel de la Maison-Blanche contre un premier jugement qui avait lui-même bloqué l’Ordre Exécutoire du président Trump contre les nationaux de sept pays musulmans. Aussitôt, le président s’attaquait à cette décision, la qualifiant de «politique», nonobstant le fait qu’un des trois juges de cette cour d’appel avait été nommé par le républicain George W. Bush, mais s’était quand même aligné avec ses deux collègues nommés par des présidents démocrates. 

Ce faisant, le président Trump minait l’image d’impartialité même de cette cour et donc du judiciaire en général, ce qui est très grave. En effet, si toute décision de justice contraire à la volonté du président est perçue comme étant de nature «politique», il n’y a plus de volonté d’être beau joueur et d’accepter des avis contraires aux siens ! On peut faire appel à la plus haute cour du pays si l’on veut, mais si, au bout du compte, la seule volonté qui compte est celle de Trump, nous sommes en système impérial. S’en référer à la Cour suprême des États-Unis va être intéressant, voire capital pour la suite des évènements, d’autant qu’en l’état des choses, la Cour suprême est elle-même dans une situation controversée ; le juge Garland initialement proposé pour remplacer le juge Scalia, décédé depuis février 2016, n’a jamais été même écouté par le Sénat américain, au motif que cette nomination «venait trop tard» dans le mandat du président Obama ! On a ainsi assisté à une manoeuvre outrageusement politique d’un Sénat à majorité républicaine de ne pas laisser nommer un 9e juge de la Cour suprême jugé trop libéral ! Voilà un autre bien malheureux exemple de la politisation d’une institution supposément «indépendante» que Neil Gorsuch, celui récemment nommé par Trump pour remplacer Scalia, a heureusement partiellement contré en exprimant son désarroi de voir son président remettre en question l’indépendance judiciaire. C’est la réaction d’un homme de bien, qui croit en la séparation des pouvoirs souhaitée par les constitutionnalistes et les pères fondateurs. Espérons qu’il ne sera pas maintenant récusé par Trump pour «lèse-majesté»… et que toute compagnie qui comme Nordstom ne veut plus avoir à faire avec la famille Trump ne se fasse pas siffler par la Maison-Blanche, comme on le ferait dans tout pays gouverné par… un despote.

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Ce qui nous mène à notre propre pays.

Cela fait des années que nos politiciens, qu’ils soient du clan Jugnauth ou Ramgoolam, sont déterminés à noyauter un maximum d’institutions nationales qui font partie de notre horizon démocratique. Très certainement pour influencer et certainement pour ne pas être rendu inconfortable par des décisions contraires aux préférences politiques du moment. Pour preuve, à chaque changement de gouvernement, il y a une course folle pour déraciner ceux qui sont en place et les remplacer par « nou dimoune «. Une partie de ce jeu est, en fait, légitime. Un nouveau président des Etats Unis nomme ainsi plus de 1000 membres de l’exécutif, dont 15 membres du cabinet, mais il est quelques fondamentaux à respecter pour que les intérêts nationaux soient sauvegardés.

Ainsi faut-il absolument respecter l’indépendance du judiciaire et se soumettre à ses jugements, que le juge soit d’origine mexicaine ou pas, ou que le « bench » qui rende jugement soit estimé être libéral ou conservateur. En contrepartie, les juges eux-mêmes doivent assumer leurs responsabilités professionnelles en la circonstance et faire leur travail, en toute conscience et « without fear and favour « . C’est une responsabilité cruciale que doit assumer tout juge, magistrat, ou procureur au bureau du DPP (ou employé du service public), par exemple, faute de quoi on risque le procès d’intention et la déchéance graduelle d’une image d’impartialité. Si sanction il y a pour des brebis galeuses, elle devra procéder de ses pairs, jaloux de et défendant leur image d’indépendance et d’absence de parti pris. Dans le contexte local, la possibilité de recours éventuel au Conseil privé est capitale, parce que ce sont des jugements que l’on ne contestera pas sur la base de sordides théories locales de conspiration partisane, même si on y perdait son procès. 

Aux côtés du judiciaire, l’indépendance d’action totale de la Commission électorale, de la PSC, du commissaire de Police, de la Banque Centrale, du Central Procurement Board, de l’ICAC, de la MRA, de la MBC, du bureau de l’Audit, de la FSC – au minimum- assureraient des fondations solides à notre démocratie. Si nous avons encore des raisons de croire en l’indépendance de la plupart de nos institutions, restons vigilants, insurgeons nous contre le moindre compromis qui fait basculer une institution « libre » sous l’influence de l’exécutif et travaillons dur pour restaurer la crédibilité et la neutralité des institutions que nous pensons être déjà sous influence.

Il ne faut surtout pas prendre pour prétexte les tentations totalitaires de Trump (ou de Poutine, ou de Xi) pour proposer un nouveau mode d’emploi qui nous fera progresser vers la « lumière ». Les démocraties, dont nous sommes, sont, certes un peu compliquées à gérer, mais, crucialement, on y écoute tous les points de vue et on peut y réagir, qu’on les approuve ou pas. Pour cela, il faut que les hommes libres souhaitent demeurer libres. Quand l’intérêt personnel (sous la forme d’une recherche permanente pour quelque « boute « ou encore du confort de se taire- sauf quand anonyme) primera partout sur la responsabilité citoyenne envers le pays, nous serons en dictature. Pour les 50 dernières années, nous n’avons été, qu’en oligarchie politique et quoiqu’en disent nos leaders politiques, le « Check » qui comptera contre l’un et l’autre, sera celui du citoyen !

Saura t-il assumer ses responsabilités, celui-là ?

 

** Le président Obama, largement critiqué par Trump pour cela, est le président ayant la plus faible moyenne d’Executive Orders émis annuellement depuis le président Cleveland (1885), soit 35. Cependant, pour les 12 premiers jours de présidence, jusqu’au 31 janvier, Obama a signé un ordre exécutif de plus que Trump…