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La Manière…

29 novembre 2015, 08:33

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La Manière…

Les autorités n’étaient décidément pas bien inspirées cette semaine. «D’abord, d’abord il y a l’aîné…» non, ce n’est pas Shakeel Mohamed… mais Omduth Chummun. Citoyen lambda de 61 ans. Il roulait sur l’autoroute dans sa Toyota quand il aurait été percuté, à l’arrière, par une motocyclette. Il s’agissait en fait d’un motard de la police qui, ayant perdu le contrôle de sa moto, s’est retrouvé sur l’asphalte. Le motard est mort. Tout le monde sait qu’un chauffeur de véhicule embouti par l’arrière n’est jamais coupable, sauf circonstances exceptionnelles si, par exemple, ses phares de frein sont défectueux et ne peuvent donc pas prévenir celui qui le suit lorsqu’il freine. Mais dans ce cas, M. Chummun n’a,  semble-t-il, rien fait d’autre que d’être à la réception d’une motocyclette qui, selon ses dires, avait été déstabilisée par un 4x4 noir, en fait une Land Rover Safari. Le conducteur du 4x4 nie être impliqué. Que le motard ait été déstabilisé par le 4x4 ou pas, le chauffeur de ce dernier n’est pas, contrairement au bon M. Chummun, joignable mardi après l’accident et c’est pourquoi… M. Chummun est arrêté ! Et passe du temps en cellule policière ! Une source chez les enquêteurs tente d’expliquer ( l’express , 26 novembre) que M. Chummun a été arrêté «parce que le second suspect n’avait pas encore été appréhendé». Si l’on a bien compris : si vous vous retrouvez dans les parages d’un crime, vous courez le réel risque d’être arrêté tant que quelqu’un de plus suspect que vous n’est pas passé à la casserole ! L’on s’étonnera que des petits malins ne portent pas assistance à des personnes en danger.

Mais l’explication policière va encore plus loin : «C’était pour sa propre sécurité» ! Évidemment, et pour faire bonne  mesure, on ajoute qu’il y avait aussi le risque d’une interférence avec les témoins ou que le second suspect entre en contact avec lui. On croit rêver ! Il faudra bientôt, selon cette logique, arrêter tous les témoins dans toutes les «affaires» du pays, pour les empêcher de causer entre eux ? Cela ne va pas être triste…

Mais non, on ne cauchemarde pas ! C’est sur cette même toile de fond que l’on enchaîne le suspect Bholah à son lit d’hôpital et que l’on accuse régulièrement des citoyens divers de charges provisoires, après les heures ouvrables de la cour, afin que s’ensuive une nuit au cachot. La police, comme les hôteliers, a-t-elle à ce point besoin d’améliorer le taux d’occupation de ses «chambres»? Un tel procédé n’équivaut-il pas à une punition délibérément décidée avant l’intervention d’une cour de justice et n’est-elle pas donc inacceptable en société libre et démocratique ? Garder un suspect au frais (ou plutôt au chaud, vu que la clim’ ne fait pas partie du package all inclusive dans nos geôles) en situation exceptionnelle  de terrorisme, par exemple, ça se comprend. Quand on enfreint l’Official Secrets Act, ça s’impose parfois, mais comme on le sait, pas toujours !  Mais pour un accident de la route ?

Entendons-nous ! La police répète à satiété en cour qu’elle garde quelqu’un en prison pour qu’il n’interfère pas avec les témoins ou qu’il ne s’enfuie pas du pays. Interférer avec les témoins pour traficoter la vérité est de toute façon un sérieux risque pour n’importe qui, car la vérité finira toujours par remonter à la  surface ! Ce qui aggravera inévitablement le cas des menteurs… Quant à la fuite… nous sommes une île ! Nous ne sommes pas à Paris, au milieu de l’espace Schengen. La police contrôle déjà notre unique port et notre seul aéroport. Il suffirait, pour «la totale», d’obliger (c’est déjà fait ?) tous les bateaux d’une certaine taille à prévenir la police du port lorsqu’ils sortent au-delà de xxx miles et de  traquer leur GPS et de… les torpiller si l’on a des doutes…

 Je plaisante ! Mais je suis sous influence moi aussi…

«Ces gens-là» de la police nous auront encore surpris dans l’interpellation de Shakeel Mohamed, qui n’a réchappé d’une nuit en tôle qu’à la bonne grâce d’un magistrat faisant du zèle après les heures ouvrables. Quels témoins pourrait-on considérer soudoyer 19 ans après les faits ? Au vu de commentaires récurrents des policiers quant à l’intervention de «pli lao», qui ne précisent jamais si cela s’arrête à la hiérarchie policière, deux ministres se sont sentis obligés de commenter cette affaire en termes très durs. Ce qui est tout à leur honneur et leur permet de se dédouaner face à la rumeur. Mais comme le souligne Shakeel Mohamed, c’est le ministre de l’Intérieur, sir Anerood Jugnauth, qui en prend alors pour son grade. À moins qu’il n’agisse contre la «fami». Pire, comme dans tous les pays où l’on se tient mutuellement par la barbichette, notre industrie de rumeurs et de conspirations suggère que c’est la menace de Shakeel Mohamed de commencer le grand déballage ( «The game starts now…» ) qui a inspiré Bhadain et Soodhun à prendre une position plus fraternelle… Allez savoir ! Par ailleurs, après la publication de l’e-mail de Swaleha Joomun, il faut maintenant conclure que Shakeel Mohamed a été arrêté sur la base du témoignage d’un mort et des accusations d’une «machiavélique» autoproclamée. Ça promet !

Finalement, cette semaine s’ajoute, l’affaire Gros-Croissy. Cette jeune fille, que j’ai toujours estimé suffisamment naïve pour être piégée, a passé quatre ans en prison chez nous avant d’être libérée par la Cour suprême, en appel. Et qu’est-ce que l’on fait ? On l’invite à  déguerpir et à retourner chez elle immédiatement ! Mieux (ou pire ?), on lui refuse l’usage gratuit de nos hôpitaux (comme si elle allait se précipiter  à Candos !) et on l’oblige à téléphoner trois fois par jour à son avocat pour vérifier qu’elle n’a pas… quoi ?  On lui interdit même de travailler.

Cette jeune fille, libre et exonérée de tout blâme, et sans amertume aucune, a finalement pu obtenir (quelle grâce ! quelle mansuétude !) un visa de touriste jusqu’à samedi et elle pourra, enfin, nager dans l’océan Indien, comme elle en rêvait tant avant le voyage fatidique !

Terre d’accueil par excellence et surtout, par nécessité, sommes-nous devenus, à ce point, de parfaits «gro fey», mesquins, sans discernement, sans bon sens, sans finesse, «ti lespri», mauvais perdants, sans cœur, dans un état si cynique et dur qu’il sent fort le policier de Créon ?

 Comme disait le regretté Jacques Brel dans son «Fernand» inoubliable :

«Et puis, si j’étais le Bon Dieu»

«Je crois que je ne serais pas fier»

«Je sais, on fait ce qu’on peut»

 «Mais il y a la manière…»

 Et quid de notre Bon Dieu, à nous ?