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Le karma de Lepep

24 octobre 2015, 06:39

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Alors que l’on s’approche, à grands pas, du premier anniversaire des législatives 2014, il nous paraît utile de rappeler le contexte dans lequel ce gouvernement a accédé au pouvoir. Cet exercice peut nous aider à mieux comprendre l’action ou l’inaction du gouvernement Lepep, et partant, vérifier si les promesses de campagne sont réalisées (ou réalisables) ou pas.

 

 C’est la volonté populaire, c’est-à-dire la masse silencieuse des indécis (qui avoisinait les 40 % en octobre 2014), qui a dit non à l’honteuse tentative du tandem Ramgoolam-Bérenger de triturer notre Constitution afin de se tailler des costumes (présidentiel et premier ministériel) pour leur fin de carrière politique. 

 

Les deux vieux loups pensaient pouvoir «couillonner» l’électorat mauricien en brandissant un brouillon de  IIe République et une énième promesse de réforme électorale. «Après des années d’affrontements politiques, nous avons décidé d’unir la force de nos deux partis politiques (...) le pouvoir politique reste trop concentré. Il n’est pas sain qu’il en soit ainsi. C’est pourquoi nous proposons un nouvel équilibre. C’est une avancée démocratique. Un meilleur équilibre des pouvoirs au sommet de l’État, entre le président de la République et le Premier ministre (...) C’est pourquoi nous vous proposons aussi un projet de réforme électorale», écrivent, le 29 novembre 2014, Navin Ramgoolam et Paul Raymond Bérenger, dans le manifeste électoral PTr-MMM. 

 

Plusieurs Mauriciens – et non des moindres – y ont cru. Mais le peuple, éclairé, et alimenté par une presse libre, indépendante et clairvoyante, a dit non, en décembre dernier. Deux fois 40 % ne font pas 80 % en politique ! L’alliance Ramgoolam-Bérenger n’a décroché que 13 sièges sur les 60. Les 47 autres allant à une Lepep décontenancée elle-même par l’ampleur de sa victoire.

 

 À vrai dire, les gens ont voté avec rage contre l’arrogance préélectorale de Ramgoolam et de Bérenger. Au nº5, un Sharvanand Ramkaun, inconnu du grand public, devance le mythique Ramgoolam par plus de 3 000 voix. À RoseHill, si Ramalingum Maistry avait été remplacé par, disons, un Rama Valayden, Bérenger aurait subi le même sort qu’il avait connu en 1987 au n°18.

 

 C’était donc surtout un NON contre Ramgoolam et Bérenger. Et non pas un OUI pour Lepep. Sir Anerood et son assemblage hétéroclite ont profité de la vague pour atterrir au pied de l’hôtel du gouvernement, qui était en rénovation par une filiale de la BAI. Derrière les Jugnauth, il y avait le Gooljaury de la politique, en l’occurrence Xavier-Luc Duval, l’homme qui a sucé le sein politique de Ramgoolam, et qui a quitté le bateau de manière opportuniste en voyant d’un mauvais oeil le fait que Bérenger vienne marcher sur ses plates-bandes ramgoolamiennes. Il y a aussi celui qui rêve d’être le calife mauve à la place du calife moustachu. Et le doux rêveur qu’est Vishnu Lutchmeenaraidoo, un ministre des Finances allergique aux chiffres (surtout ceux qui ne lui plaisent pas). 

 

Oui, il est utile de rappeler à ces messieurs que ce n’est pas eux qui ont gagné les élections. Mais c’est l’envie de rupture avec les gabegies d’hier...

 

*** 

Aujourd’hui, près d’un an après, dans la rue on dit ouvertement sa déception de voir que les choses n’évoluent pas selon les promesses de Lepep. La rupture rime davantage avec continuité pour l’homme de la rue. On dit aussi qu’on a l’impression que les ministres ne sont pas aptes à remplir la mission pour laquelle ils sont payés. La récente évaluation des ministres des journalistes de notre groupe va dans ce sens d’ailleurs.

 

 Dans son numéro spécial sur Maurice, le dernier «Jeune Afrique» note qu’«à 85 ans, sir Anerood Jugnauth a fait un retour surprise à la tête du gouvernement. Mais après avoir damné le pion à ses adversaires, le voilà confronté à des difficultés : l’économie n’est pas fringante et son fils est impliqué dans une affaire de conflit d’intérêts». 

 

La situation préoccupante de Maurice prend un éclairage intéressant avec la notion de karma, c’est-à-dire comment la rupture avec le régime Ramgoolam se conçoit comme un ensemble de dénouement de situations, et ce, dans de multiples champs : politiques, idéologiques et économiques.

 

Dans les doctrines orientales, le karma désigne un enchaînement de causes et d’effets dans l’existence temporelle. Le karma de Lepep désigne une intégrale de toutes ses actions et des conséquences. Certaines religions évoquent même un karma lié à des existences antérieures, dans le contexte de la réincarnation.

 Mais revenons ici sur le karma tel qu’il est produit par diverses actions effectuées par l’esprit Lepep. Selon Clausewitz, la guerre est avant tout la poursuite de la politique par d’autres moyens. L’Histoire récente montre que nombre de militaires de haut rang ont dirigé des nations, souvent dans les régimes autoritaires, Franco, Pinochet, Kadhafi, Musharraf et, aussi dans au moins deux démocraties reconnues avec Eisenhower et de Gaulle. Chez nous, SAJ incarnait celui qui coupait les doigts et le seul qui pouvait «jeter Ramgoolam en prison». Et c’est précisément ce que Lepep, une fois au pouvoir, a fait en envoyant Ramgoolam et son principal bailleur de fonds, Dawood Rawat, au tapis. Mais après ces coups de force, le petit peuple n’a rien vu venir comme embellie, au contraire.

 

*** 

 

La guerre ne doit pas uniquement viser à vaincre l’adversaire... Il s’agit surtout de dénouer des situations socio-économiques. Par exemple, au lieu de créer des milliers d’emplois promis (5 000 dans le secteur public et  5 000 dans le secteur maritime, comme l’atteste le manifeste électoral de Lepep), on assiste surtout à la progression du chômage (qui frôle désormais les 8 %). La dette publique n’est pas mieux, même si Lepep a eu une manne providentielle inespérée : la facture pétrolière est passée de  Rs 3,8 milliards à Rs 1,4 milliard. 

L’une des principales raisons de l’immobilisme pourrait être la gestion toujours hasardeuse des compagnies publiques. Sur ce plan, pas de rupture, c’est la continuité de la realpolitik. Surpeuplées d’agents politiques, les compagnies publiques doivent Rs 13,5 milliards à l’État. Cela représente plus de 10 % du budget national ! 

Un autre aspect important de notre économie qui flanche – car le comportement de Lepep ne rassure pas forcément ceux qui veulent prendre le risque d’injecter leur argent – c’est le désinvestissement des étrangers, tel que répercuté sur le marché officiel de la Bourse de Maurice. De septembre 2014 à septembre 2015, la Bourse de PortLouis a enregistré des désinvestissements étrangers de Rs 5,1 milliards – rien qu’en avril 2015, alors que l’affaire BAI éclatait, le montant désinvesti s’est élevé à Rs 1,2 milliard. Et au niveau de la compétitivité en Afrique, on régresse – pour la première fois ! – depuis 10 ans. 

 

Le gouvernement Lepep a tout intérêt à amorcer la rupture avec les pratiques, les gabegies et l’arrogance d’hier s’il veut durer. C’est une question de karma...