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En attendant de trouver du pétrole...

22 août 2015, 07:25

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En économie, la balance des choix d’une restructuration est surtout politique. Sinon, pourquoi ce matin c’est sir Anerood Jugnauth qui donnera le La, et non pas Vishnu Lutchmeenaraidoo, l’actuel ministre des Finances ? Ce dernier est-il sur la touche parce que c’est un électron qui a choisi de s’affranchir du joug du MSM, parti qui a fait du «développement économique» son slogan politique ? 

 

On ne va pas revenir sur le débat sémantique autour du terme «miracle» économique. Mais on est impatient de prendre connaissance des bases qui seront, apparemment, jetées pour que notre économie fasse ce saut d’un pays à revenu moyen intermédiaire au statut de pays à revenu élevé. Plus précisément on voudrait, comme beaucoup, comprendre en quoi l’Economic Mission Statement de sir Anerood sera différente du discours-programme de Lepep, lu en janvier 2015, ou du Budget-Lutchmeenaraidoo présenté en mars 2015. En cinq mois, qu’est-ce qui a pu bien germer de plus comme vision et idées ?

 

 Sur papier on connaît la recette : les cinq caractéristiques d’un pays à revenu élevé (citées dans le Mauritius Systematic Country Diagnostic- June 2015) de la Banque mondiale sont : un capital humain formé aux nouvelles technologies et motivé, une infrastructure performante et innovante, une gouvernance efficace et transparente, des finances saines et sous contrôle et une gestion intelligente des risques naturels. 

 

L’on sait aussi que si le premier boom (terme que nous préférons au fameux «miracle») économique mauricien a été possible dans les années 80, c’est que le contexte nous était favorable. 

 

Justement quel était le contexte ? 

 

Le 18 octobre 1983, dans un éditorial intitulé «Les guérisseurs imaginaires», le Dr Philippe Forget assène : «Maurice est dans la situation d’un Welfare State gone wrong. Depuis 30 ans, sa politique économique, prise globalement, a été la poursuite d’une agréable chimère : il suffisait de redistribuer les richesses pour accéder au paradis de l’État providence. Installé dans le rôle commode de redistribuer, le régime avait divisé le monde en deux : les gros méchants, source intarissable de taxes et les petites gens (on ne disait pas encore les ‘ti dimounn’), vouées à manifester aux gouvernants une reconnaissance éternelle puisque, au demeurant, capables de nous fournir tous les cinq ans une majorité électorale confortable (...) Si le peuple gueulait, on serrait la vis fiscale et on ouvrait les vannes de la distribution.» 

 

Et, vers la fin de 1983, ce qui devait arriver arriva (car on n’a pas trouvé «du pétrole sur les bancs de Saya de Malha») : 

 

1) Le budget de l’État puisait des richesses nationales pour les redistribuer en largesses improductives.

2) Il n’y avait qu’une fraction qui restait pour créer des richesses additionnelles.

3) Avec une pression fiscale «absurde», personne ne voulait se lancer pour augmenter le gâteau national.

4) La balance de paiement devint fortement déficitaire ;  ce qui entraîna deux douloureuses dévaluations.

5) Avec une démographie galopante (qui n’allait pas de pair avec les infrastructures et travaux publics), le chômage prit des proportions alarmantes.

 

Pour redresser le cap, le remède était connu : l’économie avait besoin de consommation et davantage de production. Pour sortir de la crise, l’express du Dr Forget prescrivait : des investissements pour accroître les exportations et les produits de substitution; des emplois productifs et permanents qui vont générer d’autres emplois («grâce à l’effet multiplicateur»); moins de dépenses pour canaliser les économies vers l’investissement ; moins d’importations énergétiques et davantage de développement des sources d’énergie indigènes et renouvelables (solaire et éolienne) ainsi que celui des ressources négligées (lagon, mer, barachois), entre autres.

 

*** 

 

Trente-deux ans après, on retrouve les mêmes aux commandes de notre économie. Et, en mars dernier, le tandem Jugnauth-Lutchmeenaraidoo poursuivait la même logique de partage social. Selon la philosophie du dernier Budget, seule une répartition équilibrée des richesses est en mesure d’assurer la paix sociale – et «compassion», «générosité», «partage» demeurent les maîtres mots de leur vocabulaire de développement.

 Mais triste est de constater que le petit jeu politique mauricien est dépassé. En 2015, dans un monde mondialisé et hyperconnecté, il nous faut voir plus grand, plus loin. Il faut voir ce qu’on n’entrevoit pas encore. Hier c’était plus facile de croître notre économie car on était pauvre et on pouvait s’inspirer des divers modèles de développement qui émergeaient avec ou sans l’aide des institutions de Bretton Woods. «Poor countries tend to grow faster than rich ones, largely because imitation is easier than invention.» Mais aujourd’hui échapper au «middle-income trap» est une autre paire de manches... 

 

Et notre principal problème demeure celui de gouvernance.

 

*** 

Huit mois après les opérations «nettoyage» tous azimuts et une gestion post-BAI hasardeuse, on est curieux de savoir comment le Premier ministre compte restaurer la confiance des investisseurs, faire augmenter l’investissement direct étranger, relancer la croissance et l’emploi. 

 

Cinq mois après le Budget 2015-2016, Jugnauth va-til nous resservir un plat composé de «smart cities», «technopoles», développement portuaire, relance des PME, économie bleue et stratégie africaine ? L’économiste Rama Sithanen espère un «game changer» ou une «transformational mutation» afin de pouvoir atteindre un taux de croissance dépassant les 5,5 %. Son raisonnement est le suivant :  «However if by economic miracle we mean a growth rate of above 5,5% as alluded to in the Budget, then it is achievable under some specific conditions which are currently not present in our country (...) nothing fundamental has changed to alter the course of economic growth in a material way. If anything, it has gone the other way...» 

Et les chiffres sont têtus : l’investissement, comme pourcentage du PIB, a chuté de 28 % à 19 % en 2015 (y compris la part du privé), l’épargne (savings ratio) a chuté de 25 % à 12 %; l’exportation des biens et services par rapport au PIB a aussi reculé... 

 

Si les indicateurs ne sont guère favorables, le leadership de sir Anerood octogénaire, seul, sans son fils, suffira-t-il pour relancer notre économie, dans un monde qui a tellement changé depuis 1983 ? On demande seulement à voir pour croire !