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L’art délicat de la bonne question

20 juillet 2015, 18:08

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L’art délicat de la bonne question

C’est le propre du bourrin, que de se donner complètement tort par son comportement alors même qu’il a peut-être raison sur le fond. Les gesticulations désordonnées de l’ICAC, du CCID et de certains ministres hyperactifs nous en donnent une grand-guignolesque illustration. Ce qui pourrait bien nous faire passer à côté de quelques vraies questions, aussi gênantes soient-elles.

 

Imaginons une annonce dans un journal qui se lirait comme suit :

« Recherche directeur de compagnie

Compagnie propriétaire de bungalows pieds dans l’eau sur Pas géométriques, recherche directeur très persuasif pour négocier avec ministère des Terres réduction conséquente du loyer. Une personne détenant un poste constitutionnel avec statut d’inamovibilité serait un avantage définitif»

 

Si notre compagnie met de côté les juges de la Cour suprême, pour ne pas pousser le culot trop loin, qui reste-t-il répondant aux critères recherchés ?

 

Le statut d’inamovibilité est conféré par notre constitution au Directeur des poursuites publiques, au Commissaire électoral, au Commissaire de police et au directeur de l’Audit. Ce sont, si l’on puit dire, les quatre inamovibles. Ce statut d’inamovibilité conféré à un poste constitutionnel impose à l’homme ou à la femme qui le détient un devoir plus qu’élevé d’impartialité, d’intégrité et d’absolue réserve. Notre compagnie en mal de directeur devrait donc avoir les pires difficultés à convaincre les quatre inamovibles à voler au secours d’une entreprise commerciale.

 

Mais elle peut garder espoir. Car il y a maintenant un précédent. En 2011, une compagnie répondant au nom de Sun Tan Hotel Pty Ltd, propriétaire, elle aussi, de bungalows pieds dans l’eau a obtenu, ô insigne privilège, que le DPP en personne accepte d’être son directeur (dans son temps libre, bien sûr). Et ce très spécial directeur de compagnie n’a pas hésité à pousser le dévouement jusqu’à se rendre en personne au ministère des Terres pour négocier une réduction du loyer sur les Pas géométriques (un bien public). Et avec quel brio ! Puisque le loyer dudit bien public est passé de Rs 1,6 M à Rs 45 000 par an ! Fantastique !

 

Le précédent est donc bien établi. Businessmen, businesswomen, si vous avez une négociation difficile avec un ministère, n’hésitez pas à nommer comme directeur de votre compagnie le DPP, le Commissaire de police, le Commissaire électoral ou le directeur de l’Audit ! Aucun risque pour vous et encore moins pour eux, ils sont inamovibles… et bardés d’avocats prêts à bondir pour défendre nos irréprochables institutions.

 

Un petit bémol cependant. Il ne s’agit pas d’une inamovibilité absolue. L’article 93 de la Constitution permet quand même au Président de la République de révoquer les quatre inamovibles. Mais le Président n’a le pouvoir de faire cela qu’à la condition qu’un tribunal spécial juge, après enquête, que l’inamovible en question est incapable «to discharge the functions of his office (whether arising from infirmity of body or mind or any other cause)» ou que l’inamovible a commis un «misbehavior».

 

Une première bonne question embarrassante reste donc en suspens. Un DPP, Commissaire de police, Commissaire électoral, directeur de l’Audit qui accepte d’être nommé directeur d’une compagnie et qui va négocier et obtenir des concessions conséquentes d’un ministère alors que son épouse est actionnaire de ladite compagnie commet-il un «misbehaviour» de nature à entraîner sa révocation sous l’article 93 de la Constitution? La réponse se trouvera en partie dans le fait de savoir si l’avantage économique obtenu était indu, préjudiciable à l’intérêt public, injuste, bref, une faveur discriminatoire plus ou moins grossière.

 

L’art de la bonne question est d’autant plus délicat que les bonnes gens, toujours soucieuses du sens du courant, risquent à tout instant de crier toutes en choeur au crime de lèse-DPP. Mais, puisque nous y sommes, tentons une seconde série de bonnes questions embarrassantes.

 

Au moment où il faut enquêter sur ce qui est sans doute la plus grosse affaire criminelle de l’île Maurice indépendante avec les multi-arrestations de son ancien chef de gouvernement. Au moment où la République et son judiciaire doivent, le plus sereinement possible, traiter les souillures historiques des coffres forts, valises, commissions, magouilles, contrats, gabegies d’une décennie travailliste. N’est-il pas, tout de même, un peu fâcheux que le DPP soit le fi ls d’un pilier historique du Parti travailliste et le frère de l’actuel n° 2 de ce parti qui s’assoit aux côtés de l’accusé Ramgoolam à toutes les conférences de presse que ce dernier donne en tant que leader du Parti travailliste? Qui peut affirmer, en conscience, que le frère d’Arvin Boolell, est, dans cette conjoncture historique, la bonne personne, au bon poste pour conduire les poursuites contre le leader du Parti travailliste et contre le leader du MSM?

 

En se maintenant à son poste M. Boolell, DPP et frère du nº 2 du Parti travailliste, n’est-il pas en partie responsable d’entraîner le poste constitutionnel de DPP, qu’il affirme respecter, dans d’inévitables et très prévisibles tensions politiciennes et donc vers le discrédit ?

 

Il s’agit indubitablement de bonnes questions. Pour les bonnes réponses, c’est vous qui voyez.