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L’État de droit ou «baté randé» ?

12 janvier 2015, 07:21

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L’État de droit  ou «baté randé» ?

Hicham Barakat, procureur général au Caire, a été tué, il y a quelques jours, par une bombe qui a fait exploser sa voiture. L’attentat a vite été revendiqué par un mouvement qui n’était pas content que M. Barakat ait déféré ses militants à la justice. Ces derniers temps, les attaques de magistrats et de juges se sont intensifiées en Égypte, où la justice est désormais régulée à coups d’armes et de bombes. La condamnation internationale n’y peut rien pour l’heure... C’est le chaos!

 

 À Maurice, malgré les récentes attaques (verbales) contre la justice à la suite de la condamnation de Pravind Jugnauth, nous n’en sommes pas là. Encore heureux...

 

 Mais il vaudrait mieux crier gare à temps au lieu de se laisser entraîner dans une dangereuse spirale. Précisons d’emblée : nous ne sommes pas en train de dire que ce n’est pas normal que le Directeur des poursuites publiques fasse lui-même l’objet d’une enquête pour conflit d’intérêts sous le désormais notoire article 13(2) du Prevention of Corruption Act. C’est même une bonne chose car personne ne devrait être au-dessus des lois, pas même le président de la République (comme nous le rappelait le DPP lui-même à la veille des législatives 2014). Mais nous soulignons simplement le fait que la perception qui se dégage, à tort ou à raison, par rapport à l’enquête de l’ICAC sur Satyajit Boolell donne cette singulière impression d’être du «baté randé», c’est-à-dire une action revancharde montée par l’exécutif – qui semble ne pas avoir digéré la sentence et le verdict contre l’un des siens. D’ailleurs, le fait qu’Ivan Collendavelloo veuille appeler cette enquête «l’affaire Boolell» montre que la tentation de personnaliser les affaires est grande.

 

 Dans la guerre de communiqués entre l’ICAC, le bureau du DPP, et le ministère des Terres, c’est Satyajit Boolell lui-même qui distille le doute :  «Je constate que des faits allégués datant de plusieurs années font surface à un moment où nos institutions, y compris le bureau du DPP, sont confrontées à de graves défis.» Ces défis, que le DPP choisit de ne pas nommer sont-ils, entre autres, les cas en cour contre les ministres MSM Pravind Jugnauth et Showkutally Soodhun ou encore contre le super conseiller des Jugnauth, Prakash Maunthrooa ?

 

***

 Il nous faut prendre de la distance par rapport aux délits de conflits d’intérêts et ne pas les regarder avec des lentilles strictement politiques. Au fondement même de notre démocratie, il y a ce terme, trop souvent gargarisé par nos politiciens : l’État de droit, soit un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit.

 

 Qu’on s’appelle Jugnauth ou Boolell, qu’on soit ministre ou DPP, l’État de droit suppose l’égalité de tout un chacun devant les normes juridiques en toute indépendance. Rappelons que c’est devant cette même justice qui lui a donné gain de cause dans l’affaire de la carte d’identité biométrique, par exemple, que Pravind Jugnauth a été condamné à 12 mois de prison...

 

 Pour que l’État de droit puisse fonctionner, les compétences des différents organes du gouvernement (le législatif, l’exécutif et le judiciaire) sont clairement définies pour qu’il n’y ait pas de confusion des rôles. Au sommet de cet ensemble pyramidal figure la Constitution, suivie des engagements internationaux comme les conventions, puis de la loi, et des règlements. À la base de la pyramide figurent les décisions administratives.

 

 Pour avoir une portée pratique, le principe de l’État de droit suppose l’existence de juridictions indépendantes, compétentes pour trancher les conflits en appliquant à la fois le principe de légalité et le principe d’égalité, qui s’oppose à tout traitement différencié des personnes. Un tel modèle implique l’existence d’une séparation des pouvoirs et d’une justice indépendante. Car, la justice faisant partie de l’État, seule son indépendance à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif (et la presse) est en mesure de garantir son impartialité dans l’application de la loi. Puissions-nous comprendre ces principes démocratiques, 47 ans après notre indépendance...