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L’histoire d’une illusion

15 mai 2014, 10:06

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Dans l’express du 24 avril, j’exprimais l’opinion que «Le premier choix d’alliés de Paul Bérenger, depuis 40 ans, a toujours été et reste le Ptr». Dans une interview à ‘Radio Plus’, peu après, j’ajoutais une deuxième observation : «Bérenger est un coalitioniste convaincu» qui croit que les coalitions politiques servent véritablement la cause de l’unité nationale - la grande passion de sa vie. Deux autres considérations guident sa réflexion : aucun parti depuis 1959 (soit depuis 55 ans !) n’a pu dépasser, seul, sans coalition, la barre de 50 % des suffrages; et, compte tenu de la base sociologique des partis, aucun d’entre eux ne pourrait aujourd’hui, sans risques, gouverner seul un pays aussi complexe que Maurice, avec 55 % à 60 % des citoyens contre lui.

 

Ces dispositions d’esprit de Paul Bérenger ne sont pas une simple impression mais un constat historiquement vérifié. Aucune analyse sérieuse de son comportement passé et présent n’est possible sans intérioriser ces données.

 

Quelques compléments d’information, particulièrement pour les plus jeunes lecteurs :

 

■ La toute première fois que Bérenger, universitaire de 22 ans, attira l’attention publique fut, en 1967, par un article dans l’express (‘après les élections’) dans lequel il écrivait : «La solution parfaite pour notre avenir commun est, sans aucun doute, un gouvernement de coalition». Il citait alors sir Arthur Lewis, prix Nobel et spécialiste de sociétés pluri-ethniques : «It is obvious that the coalition system is what the plural society requires». Dans son récent livre «Behind the purple curtain», Jayen Cuttaree décrit la proposition de Bérenger d’une coalition Parti travailliste (Ptr)-PMSD, il y a 46 ans, comme «the biggest surprise» de l’époque. Bérenger, depuis, n’a jamais varié : «Everybody on board !».

 

■ Depuis la création en 1969 du Mouvement militant mauricien (MMM), fondé «pour reprendre la lutte du Ptr d’Anquetil, de Rozemont et de Seeneevassen là où ceux-ci l’ont laissée», Paul Bérenger n’a cessé de cultiver des liens étroits avec tous les dirigeants travaillistes : avec sir Seewoosagur qui, à voix basse, avouait «se revoir» dans ce jeune rebelle qui lui «rappelait ses premiers combats». Mais aussi avec sir Harold Walter ‘who had a great admiration for Bérenger’ (Cuttaree dixit) et avec sir Veerasamy Ringadoo, opposé à l’alliance «de droite» Duval/Boolell. Bérenger n’hésitera pas, plus tard, à négocier alliance avec le même Satcam Boolell, devenu leader du Ptr ; enfin, depuis 1989, Bérenger a avec Navin Ramgoolam, son ‘meilleur ennemi’, un rapport privilégié.

 

■ Entre 1973 et 1976, malgré l’état d’urgence, Bérenger maintint une ligne de communication permanente avec SSR, dans le vain espoir de «ramener le Ptr dans le droit chemin». D’interminables discussions MMM-Ptr eurent lieu en prévision des élections de 1976. Selon Cuttaree (p.147), dès 1974 «Harold Walter informed me that there was a real possibility of an electoral alliance between Labour and the MMM. I thought that the idea of a Labour-MMM alliance would be good for the country, as it would lead to a more socially inspired and democratic Government». 40 ans après, Cuttaree n’a pas encore renoncé !

 

■ À la veille même des élections de 1976, selon Cuttaree, les “behind-the-scene discussions between MMM and Labour for an electoral alliance” se poursuivaient mais sans succès. «There would be no alliance.» Les élections ayant produit un ‘hung Parliament’ sans majorité claire, “Within the Labour party, an organized group was canvassing the idea of a Labour/MMM coalition”. Selon sir Satcam Boolell, cette fois, (dans son livre ‘Untold stories’) SSR, avec pourtant moins de sièges que le MMM, insista pour demeurer Premier ministre de tout gouvernement Ptr-MMM et pour que sir V. Ringadoo conserve les Finances. Selon Cuttaree, «Bérenger was said to be in favour of an arrangement with Labour, but A.Jugnauth was vehemently against». SSR se tourna donc vers le Parti mauricien social-démocrate et gouverna encore six ans.

 

■ En 1980, deux ans avant le 60-0, nouvelles négociations Ptr/MMM. Cuttaree (P.166) : «Bérenger revealed that SSR had offered the MMM half the Cabinet posts in a proposed LP-MMM coalition.The MMM rejected SSR’s proposal and started to look in the direction of Harish Boodhoo” et son Parti socialiste mauricien (PSM), une dissidence… Travailliste. Le Ptr fut lourdement battu mais le gouvernement MMM-PSM vola en éclats 9 mois après.

 

■ Deux ans à peine après sa défaite de 1983, jouant sur les désaccords SAJ- Boolell, Paul Bérenger discutait de nouveau avec Satcam Boolell d’une alliance MMM-Ptr pour les municipales de 1987. Cuttaree : «The question of an LPMMM alliance was discussed... Paul Bérenger was in favour of some electoral arrangement with Labour. However… some (in the MMM) were allergic to the Labour Party… Jean-Claude, Cassam and Prem thought that an arrangement for the municipal elections might encourage Paul to later push for an alliance for the general elections too. They were completely against any alliance with Labour». L’accord MMM/Ptr, une fois encore, ne se réalisa pas, en raison des exigences du Ptr (le contrôle de Quatre- Bornes et de Vacoas-Phoenix).

 

■ En février 1987, chaleureusement encouragé par Bérenger, Navin Ramgoolam entre en scène. Il refuse de servir Boolell comme Deputy Leader et dit vouloir «a real change of the political system. » Ramgoolam propose donc ( il y a27 ans !!!) que «Maurice change de régime politique et passe à une République à la française, où le Président élu au suffrage universel nommerait le Premier ministre et les ministres,choisis même hors du Parlement». What’s new ? Dans une interview (au‘Nouveau Virginie’ 2/2/1987) Navin Ramgoolam déclare : «Some people have told me that such a Presidential system will increase Paul Bérenger’s chances of becoming Prime minister. So what ? Who are we to say no ?»! Paul Bérenger,enthousiasmé, offre aussitôt à Navin Ramgoolam la direction d’une alliance Ptr-MMM. Le Mauricien annonce que, dans un autre arrangement envisagé (lePlan B, notez le bien, on en reparlera!), Navin Ramgoolam serait Premier ministre et Paul Bérenger président de la République avec certains pouvoirs. Commentaire de Ramgoolam : « J’étudierai la formule, comme toutes les autres, mais je ne veux surtout pas que les négociations se déroulent à travers la presse !». 27 ans après, on tourne toujours en rond sur le «partage des pouvoirs» entre les deux hommes.

 

■ Pour donner plus de chances à ce projet d’alliance, le mois suivant, le 24 mars 1987, rappelle Cuttaree dans son livre, le MMM s’aligne totalement sur la proposition de République à la française de Navin Ramgoolam (formule qu’il récuse aujourd’hui) : «The MMM came up with a project to amend the Constitution and provide for a President elected by universal suffrage over two rounds. The President would preside over the Council of Ministers but the Government, headed by a Prime Minister, would decide and implement policies for the country and would be answerable to Parliament… Discussions between Paul and Navin Ramgoolam had led us to believe that Paul would be presented to the electorate as our candidate for the Presidency and Navin as our candidate as Prime Minister.» À la dernière minute, grosse déception au MMM (ce ne sera pas la dernière !) : Ramgoolam annule tout et regagne Londres. Bérenger, exaspéré, négocie toujours alliance, cette fois avec Satcam Boolell. Dans‘Untold stories’, sir Satcam évoque ainsi ses contacts avec Bérenger : «The confusion surrounding my own meetings with Bérenger and Cuttaree will one day be cleared».

 

■ Navin Ramgoolam regagne Maurice, trois ans après, en 1990. Il prend le leadership du Ptr, s’oppose à la République version Jugnauth et renoue avec Bérenger. Ce dernier, comme toujours, est partant mais ses lieutenants (solidement pro-Jugnauth) lui imposent une alliance MMM/ MSM victorieuse en 1991. Bérenger, à contre-coeur, s’incline mais ne renonce pas pour autant à faire alliance avec Ramgoolam

 

■ En 1993, après un célèbre dîner avec des dirigeants travaillistes, Bérenger est expulsé du gouvernement par SAJ. Plusieurs de ses vieux compagnons au MMM l’abandonnent, mais il persiste et s’allie à Ramgoolam. En 1995, il scelle le seul et unique accord électoral qu’il négociera, en 42 ans, avec le Ptr ( le MMM est ‘Junior Partner’ à 25-35) pour un autre 60-0 qui balaie le MSM. Le 1er Mai 1996, Bérenger déclare publiquement qu’il «regrette de n’avoir jamais pu conclure une alliance avec SSR mais est heureux d’avoir pu le faire avec son fils, Navin». Cuttaree (Behind the purple curtain) : «Much to the satisfaction of Paul Bérenger, his dream of an alliance with the Labour Party had come true».

 

 «His dream» ne durera toutefois que quelques mois : (a) Les ministres travaillistes ne jouent pas le jeu, refusent l’autorité du Deputy Prime minister Bérenger, estimant n’avoir à répondre qu’à Ramgoolam, (b) Navin Ramgoolam prend, luimême, ombrage des «constant interferences» d’un Bérenger envahissant. Il révoque Bérenger, le faisant revenir, en 2000, vers le MSM pour l’accord Medpoint qui fera de lui le Premier ministre entre 2003 et 2005.

 

■ Battu en 2005, exaspéré par Pravind Jugnauth, Bérenger s’engage en 2008 dans de nouvelles discussions d’alliance avec Ramgoolam. Après avoir cru dur comme fer en une issue favorable en 2010, Bérenger est, une fois encore, «lâché» à la dernière minute par Ramgoolam qui cède aux intenses pressions anti-MMM dans son camp.

 

■ La dernière déconvenue du MMM, en 2014, alors que le parti avait cent fois été mis en garde contre la duplicité travailliste, provoque un rasle- bol généralisé. Le spectacle politique lasse : le public siffle.

 

Les interminables mais stériles négociations MMMPtr depuis 1973 ont considérablement déstabilisé et perverti le jeu politique mauricien. Elles ont fait éclater à plusieurs reprises le MMM, troublé l’opinion publique et fait douter du MMM dans son rôle de principal parti d’opposition. 42 ans de ‘contacts’,‘rapprochements’ et ‘tractations’ n’ont pourtant produit pour le MMM qu’une seule et unique alliance électorale (1995) qui n’a duré qu’un an. Tous les autres pourparlers n’ont mené à rien : le MMM n’a été au pouvoir en tout et pour tout que 7 ans sur 45, dont 6 avec le MSM.

 

Cela appelle quelques observations :

 

De SSR à Navin Ramgoolam, aussi faible qu’il ait été à divers moments, le Ptr a toujours eu pour motivation d’alliance d’utiliser à son avantage ses contacts avec le MMM pour demeurer au pouvoir, atténuer la pression populaire ou «apprivoiser» le doberman MMM. Clairement, depuis 45 ans, Bérenger aime le Ptr bien davantage que le Ptr aime le MMM.

 

En toutes circonstances, même très affaibli (comme aujourd’hui) ou minoritaire (comme en 1976), le Ptr a toujours insisté pour rester maître du jeu et le ‘senior partner’ de toute alliance. Une supposée «cohabitation d’égaux» MMM-Ptr actuellement suggérée est une chimère, tout à fait étrangère à la ‘born-to-rule mentality’ travailliste.

 

Quelle que soit la formule proposée, Navin Ramgoolam voudra toujours que Bérenger lui soit subordonné, à risque de ne pouvoir ‘vendre’ une alliance Ptr-MMM aux siens. Pour convaincre sa base des bienfaits d’une coalition, Ramgoolam devra d’abord (a) établir que le MMM au pouvoir ne sera pas une menace pour le Ptr, (b) faire plier Bérenger et limiter ses pouvoirs, (c) convaincre les rouges que Bérenger Premier ministre travaillera en définitive sous son autorité. Paul Bérenger étant ‘very much his own man’, la chose n’est pas aisée. D’où les interminables ruptures et raccommodages qui clairement ne mènent nulle part.

 

Même affaibli, Navin Ramgoolam ne peut apparaître comme désespéré, ce qui réduirait son ‘bargaining power’. Le Ptr ne va pas non plus, pour faire plaisir au MMM, simplement ‘roll over and die’. De même, Navin Ramgoolam ne va pas sans susciter une crise au Ptr, remettre à Bérenger le pouvoir absolu de «nettoyer» au Karcher le network de copinage travailliste mis en place sous son régime. Pour tous les parasites et jouisseurs gravitant autour du gouvernement et destinés selon Bérenger à être «nettoyés», pour tous ceux dont on réclame les têtes ou qui sont imbus de l’esprit d’accaparement du Labour, un deal trop généreux pour le MMM prendrait aussitôt des allures de suicide politique. Or, personne, au Ptr, ne nous semble, pour l’heure, être candidat au suicide. La résistance va inévitablement s’organiser.

 

Enfin, Paul Bérenger ne peut, sans se discréditer davantage, apparaître comme devant servir les intérêts de survie du Ptr. Il ne peut, non plus, donner à Navin Ramgoolam, président élu au suffrage universel, le pouvoir de nommer et contrôler le Premier ministre, au risque de voir Ramgoolam (une fois investi de ses nouveaux pouvoirs) révoquer un Paul Bérenger trop récalcitrant à son goût et nommer, comme Premier ministre d’une seconde République, Arvind Boolell ou Xavier-Luc Duval. C’est pourquoi un accord Ptr-MMM, dans les paramètres souhaités par certains, constitue un accouchement aux forceps aussi extraodinairement difficile, même s’il paraît simple et séduisant sur papier. Personne n’est dupe : les négociations Ptr-MMM vont probablement reprendre un jour ou l’autre. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres !

 

«La ‘born-to-rule mentality’ travailliste»

 

«Atténuer la pression populaire ou «apprivoiser» le doberman MMM.»