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Mystérieuse croissance

10 février 2021, 08:50

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Mystérieuse croissance

 

Reprise de la croissance économique : nos gouvernants en ont plein la bouche. Pourtant, on n’est qu’au début de 2021, après une sévère contraction en 2020, et ce sera de même pour l’année se terminant au 30 juin 2021. Il est dommage que Statistics Mauritius ne publie plus, depuis l’année dernière, la comptabilité nationale sur une base trimestrielle. Ce qui laisse place à d’inutiles spéculations.

Pour 2021, le Fonds monétaire international avait donné en octobre dernier une première estimation, soit 9,9 %, à laquelle avait souscrit notre ministre des Finances. En même temps, la Mauritius Commercial Bank prévoyait 7,5 %, mais elle vient de ramener le taux à 6,2 %. En janvier, la Banque mondiale suggérait 5,3 % alors que Moody’s offrait 7,8 %. Et ce mois-ci, Fitch Ratings a proposé 4,5 % avant que la Banque de Maurice n’indique 7,9 %.

Ainsi, les prévisions de la croissance venant de ces organisations ne se rejoignent pas, tant elles diffèrent trop. Il est vrai qu’elles sont faites à des moments séparés dans un contexte de pandémie où la situation économique est changeante. Mais alors, il ne faut pas accorder à un indice conjoncturel plus de signification qu’il en a.

On attend d’un banquier central qu’il s’attarde autant, voire davantage, sur l’inflation que sur la croissance, surtout lorsque les prix sont en hausse. Mais le gouverneur Seegolam laisse apparaître un nouveau fétichisme de la croissance. À chaque conférence de presse suivant un comité de politique monétaire, il débite une grossièreté pour la galerie. En septembre dernier, il avait vu en l’immatriculation des véhicules un indicateur «pointing towards an improvement in economic activity», ce qui s’avérait faux. Et jeudi dernier, il fit ressortir qu’au troisième trimestre de 2020, «the domestic economy started showing better resilience… as both consumption expenditure and investment increased during the quarter».

Il faut vraiment être dans le déni pour qualifier de résiliente une économie dont tous les indicateurs fondamentaux étaient dans le rouge, à savoir la croissance, la consommation, l’investissement, l’exportation, le chômage, l’inflation, le déficit budgétaire, le déficit du compte courant et la dette publique. De surcroît, parler de «better resilience», c’est franchement de la rigolade. Une variation sur un trimestre ne veut rien dire. Et d’ailleurs, à quelle série statistique se réfère-t-on ?

Certaines variables économiques connaissent des mouvements qualifiés de saisonniers parce qu’ils se répètent chaque année à la même époque : par exemple, il y a toujours baisse de la production au premier trimestre en raison de nombreux jours fériés. Ces phénomènes perturbent les séries statistiques en rendant difficile de distinguer la part des mouvements effectifs de celle des mouvements saisonniers. Afin d’atténuer cette difficulté, Statistics Mauritius publie deux séries statistiques, une en données brutes, qui correspond à ce qui est observé, et une en données corrigées des variations saisonnières, qui élimine ce type de mouvement. La première série chiffre la production sur un trimestre donné tandis que la seconde permet de comparer la production trimestrielle dans le temps.

Selon les Quarterly National Accounts, au troisième trimestre de 2020, le PIB aux prix de base a reculé de 13 % en données brutes, mais a augmenté de 30,7 % en données corrigées. C’est ce dernier chiffre que regarde le gouverneur de la Banque centrale. Mais ce n’est qu’à titre de comparaison d’un trimestre sur l’autre. Ce sont les données brutes qui sont utilisées pour calculer la croissance annuelle du PIB, d’où la contraction de 15,2 % en 2020. Elles montrent qu’au troisième trimestre, la consommation, l’investissement et l’exportation ont tous baissé en rythme annuel, de 11,9 %, de 20,3 % et de 33 % respectivement.

La contraction économique est, en fait, de plus grande ampleur dès lors que la valeur des biens et services fournis par le gouvernement central est retranchée du PIB. Alors que le PIB national a chuté de Rs 58 milliards en 2020, la part du produit public s’est accrue de Rs 2 milliards ! Donc, plus l’État dépense, plus le PIB est surévalué, ou plus exactement inappréciable.

S’il revient à l’État d’établir les conditions de la croissance, les dépenses publiques, étant un boulet fiscal, ne rendent pas l’économie robuste. La véritable croissance, celle qui crée de la richesse, naît dans les entreprises. En gros, la croissance résulte de la productivité due à l’utilisation de nouvelles technologies et de la découverte de nouvelles idées, peut-être de l’accumulation du capital (Solow et Swan) ou du développement et de la diffusion de connaissances (Lucas et Romer). Pour Douglass North, les causes de la croissance se trouvent plus dans l’histoire et la politique que dans les mathématiques, car tout dépend des institutions favorables à la bonne gouvernance.

Un gouvernant qui se pose en architecte de la croissance reste pour les économistes un vrai mystère.