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Un hommage à Marcel Cabon

15 février 2004, 00:00

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Poursuivant sa mission de créer des passerelles pour rapprocher les différentes cultures vénérées à Maurice, par une meilleure connaissance mutuelle des éminents mauriciens ayant consacré leur vie à promouvoir leurs valeurs, le magazine culturel trilingue (hindi, anglais et français) Indradhanush offre aux amateurs de belles lettres un numéro spécial consacré au poète, romancier, historien, journaliste, humaniste Marcel Cabon. Cet acte de gratitude s?inscrit dans la lignée des précédents numéros spéciaux consacrés successivement, depuis l?an 2000, à Sir Seewoosagur Ramgoolam, à Robert Edward Hart, au séjour de Gandhi à Maurice en octobre 1901, à Mohunlall Mohit, à Malcolm de Chazal et au Pandit Cashinath Kistoe. N?oublions surtout pas qu?Indradhanush avant de produire en trois langues des numéros de référence consacrés à d?éminents mauriciens ? a publié une vingtaine d?autres numéros, mais en hindi seulement, dédiés à d?autres figures de proue de la communauté mauricienne d?origine indienne, telles Mes Ramkhelawon Boodhun, Lallah, Manilal Doctor et tant d?autres travailleurs sociaux exemplaires qui mériteraient d?être mieux connus et d?être davantage mis en exergue.

À l?heure où tant de démagogues et de récupérateurs politiques s?efforcent d?étanchéiser nos différentes cultures, il est édifiant de prendre acte que les défenseurs les plus actifs de la mémoire sacrée de Marcel Cabon se nomment Aslakha Callikan-Proag, Pahlad Ramsurrun (l?infatigable directeur de l?Indradhanush Sanskritic Parishad), Breejan Burrun, Shakuntala Boolell, Keshevduth Chintamnee, Anand Mulloo, Odith Gopal, Abhimanyu Appadoo. C?est peut-être le moment de demander à certains prétendus défenseurs de la culture d?expression française ce qu?ils ont fait jusqu?ici pour raviver le souvenir d?un Léoville L?Homme, d?un Savinien Mérédac, d?un Paul Jean Toulet, d?un Clément Charoux, d?un André Masson, d?un Hervé de Sornay, d?une Raymonde de K/Vern et de tant d?autres de nos meilleurs écrivains de langue française mais dont les chefs-d??uvre sont quasiment introuvables. En attendant le plaisir de pouvoir tenir en nos mains des anthologies, sinon les ?uvres complètes, de ces géants de la littérature mauricienne d?expression française, ne boudons pas celui de ce contact renouvelé avec la pensée si subtile de Marcel Cabon, grâce aux efforts rédactionnels des bonnes volontés dirigées par Pahlad Ramsurrun. À Rs 75 l?exemplaire, ce serait faire preuve de crétinisme que de nous en priver.

Pahlah Ramsurrun nous rappelle utilement que Cabon est né le 26 mars 1912 à la rue Théodore-Sauzier, Curepipe. Son père, Adrien Monroche, est peintre et mécanicien. Sa mère, Marie Marguerite Ange Renaud, est la tante maternelle du poète Pierre Renaud. La famille s?installe peu après sa naissance à Petite-Rivière où Adrien décède en 1917. Marcel fait ses études primaires jusqu?à la sixième. Après quoi, il doit se livrer à diverses tâches pour aider sa mère à faire bouillir la marmite familiale. Il ne tourne toutefois pas le dos aux plaisirs intellectuels et la lecture demeure d?autant plus son passe-temps préféré que le poète Lucien Lebret met sa bibliothèque personnelle à sa disposition.

Très jeune donc, Marcel Cabon développe une passion illimitée pour la littérature française, doublée d?un sens aigu de l?observation des êtres et des choses qui l?entourent. Son ?uvre et plus particulièrement son roman Brunepaille sont parsemées des souvenirs intellectuels de l?enfant de Petite-Rivière qu?il est demeuré jusqu?à son dernier souffle, au point de toujours se reconnaître dans les plus petits des enfants de l?île Maurice.

Une dévotion exemplaire

Muni d?une lettre de recommandation de Lebret, il frappe à la porte de Raoul Rivet, le directeur du journal Le Mauricien, à qui il sollicite un emploi de typographe. Ce sera ses premiers pas dans le journalisme, une profession qu?il servira avec une dévotion exemplaire jusqu?à l?heure de sa mort et même au-delà puisqu?il faut espérer qu?il demeurera toujours, avec Rémy Ollier, Raoul Rivet, Aunauth Beejadhur, Bickramsing Ramlallah, Roger Merven, Philippe Forget, ces balises guidant ceux, qui entreront après eux dans la carrière journalistique, à ne jamais perdre de vue le caractère sacré de notre devoir d?informer et d?enregistrer ce qui se passe de significatif autour de nous, pour l?édification des générations à venir.

De typographe au Mauricien, Cabon devient successivement reporter au Radical de Loïs Lagesse, collaborateur du magazine littéraire Temps perdu d?Esaïe David, directeur de différentes revues hélas éphémères : Vergers, Maurice Magazine, études. En 1933, il se joint au Cernéen que dirige Hervé de Sornay où il travaille jusqu?à son départ en 1946 pour Madagascar. Au retour de la Grande île, il reprendra sa place au Mauricien où l?honneur lui échoit d?assurer la succession de Raoul Rivet, après son décès en novembre 1957. Il cède cet honneur à son collègue et confrère André Masson et s?en va prendre la direction d?Advance, le quotidien travailliste correspondant davantage à ses idées indépendantistes et socialistes. De là, Sir Seewoosagur Ramgoolam lui demandera d?assurer la direction du département de l?information de la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC).

Le journalisme n?a jamais tué la poésie ni la philanthropie chez Cabon. Il est né poète, il mourra poète. Il est né homme et rien de ce qui est humain ne lui sera jamais étranger. Il en sera de même pour le Mauricien et son mauricianisme si complexe dans lequel il s?est plongé avec un ravissement sans cesse renouvelé. Ses premiers poèmes, d?allure romantique, datent du début des années 1930. Madagascar lui inspirera Kélibé Kéliba, un des plus beaux joyaux de la poésie mauricienne, sans doute le chef-d??uvre littéraire mauricien qui mériterait le plus une réédition, illustrée des dessins immortels de Siegfried Sammer qui l?accompagnent. D?autres chefs-d??uvre, tels Selma je songe à vous, La Séraphine, bénéficieront également d?une influence malgache et peut-être même africaine. De cette époque, en effet, datent ses fructueux contacts avec des poètes et des écrivains d?origine africaine. Des contacts qui constituent dans une certaine mesure la première reconnaissance de l?africanité dans la culture diversifiée mauricienne.

Pahlad Ramsurrun et ses collaborateurs nous rappellent que Marcel Cabon trouvait toujours du temps à consacrer à des activités moins littéraires mais tout autant conviviales. Rares sont ceux à savoir qu?il fut le secrétaire d?un club sportif dirigé par France Martin et qu?il épousa en 1935 la nièce de cet inoubliable footballeur. Eliane Martin lui donne trois enfants : Serge, peintre longtemps exilé en Grande-Bretagne, Marie-Claude et Jacqueline, établies en Afrique du Sud et en France respectivement.

Il faudrait encore parler de Cabon puriste et professeur ès-journalisme, ne cessant d?enseigner à ses disciples : « Pas de compromis possible. Votre phrase doit être grammaticalement correcte et les mots utilisés les plus appropriés ». Disciple de Boileau, vingt fois sur le métier, il remettait son ouvrage. Ses colères grammaticales furent épiques et les syntaxiques homériques.

Pionnier de la radiophonie à Maurice, du temps de Charles Jollivet, il retrouva ses plaisirs radiophoniques avec la MBC quelque temps avant sa mort. Son chant du cygne permet à des auditeurs épanouis d?entendre ses dernières ?uvres : La vie et la mort de Jacques Désiré Laval, Le pain de chaque jour.

Ceux qui auront l?intelligence de se procurer, toute affaire cessante, le numéro spécial d?Indradhanush consacré à Cabon, pourront goûter à nouveau au plaisir de s?imprégner des judicieux commentaires d?André Masson sur sa poésie et sa critique littéraire ou encore sur sa conquête de l?univers, de Pierre Renaud sur son ?uvre La Séraphine, de Jean-Baptiste Mootoosamy, d?Abhimanyu Appadoo, d?Anand Mulloo, de Malcolm de Chazal sur son chef-d??uvre, Namasté, de Jay Narain Roy sur sa vision artistique, d?Aslakha Callikan-Proag sur cet autre chef-d??uvre, Mallika et le mendiant, de B. Burrun sur son récit de voyage, Le rendez-vous de Lucknow, pour ne rien dire de la réédition de plusieurs de ses écrits.

Les pages les plus émouvantes du numéro spécial d?Indradhanush, consacré à Cabon, sont toutefois celles rédigées par sa petite-fille, Michelle Baumann-Cabon, et intitulée Lettre ouverte à mon grand-père. Elle pose les jalons de ce que doit être la reconnaissance nationale et constamment renouvelée à laquelle a droit l?auteur de Brunepaille, le chantre d?une île Maurice profonde et fraternelle.

Merci à Pahlad Ramssurrun et à ses collaborateurs de nous le rappeler si précieusement.