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Tintin au Congo : Livre interdit ?

12 mai 2010, 00:00

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Tintin au Congo : Livre interdit ?

C’est le temps des préliminaires au tribunal de 1re instance de Bruxelles, où Casterman comparaît en tant qu’éditeur et distributeur de Tintin au Congo : on connaîtra donc bientôt la fin de ce feuilleton post-colonial qui dure depuis maintenant trois ans.

Les plaidoiries ont été fixées pour le 12 mai (NdlR : aujourd’hui). Les choses s’accélèrent : Bienvenu Mbutu Mondondo, ce Congolais dont la profession semble être de réclamer en justice la disparition de l’album, a en effet agi en référé. La première publication date de 1930, la République démocratique du Congo est indépendante depuis 1960 et Hergé est mort depuis 1983. Il y avait en effet urgence.

La tintinophilie est désormais familière de Bienvenu Mbutu Mondondo, cet étrange étudiant en sciences politiques animé par une hargne qui ne l’est pas moins. Alors que Patrick Lozès, le président du CRAN qu’on ne peut pas soupçonner d’indifférence vis-à-vis de la question coloniale, ne réclame qu’une préface explicative à l’album, l’avocat de Mbutu Mondondo précise bien que son client ne goûte pas ce genre de compromis : «Je rappelle que nous demandons l’interdiction totale de reproduction de cette BD. Ce n’est qu’à titre subsidiaire que nous demandons l’ajout d’avertissements en couverture ou en préface, comme c’est le cas en Grande-Bretagne.»

Sur la version britannique, effectivement, un bandeau rouge barre la couverture pour avertir le lecteur que la représentation des Africains dans Tintin au Congo ne reflète que la pensée coloniale de ces années sombres. Faut-il importer cette idée en France, en Navarre et en Belgique ? Ou interdire la vente de l’album, qui figure encore aujourd’hui en tête des tirages de la série d’Hergé ?

Alain Mabanckou (Prix Renaudot 2006, Professeur de littérature à la UCLA, Californie) donnait son avis lorsque nous l’avions interrogé sur le sujet. Il refusait ces deux alternatives: «Je ne suis pas partisan d’une interdiction de cette bande dessinée. Elle doit rester une trace de l’esprit belge de ces années trente. Elle est une des preuves historiques d’une certaine pensée occidentale (...). Ce n’est pas à partir de ‘Tintin au Congo’ que la pensée du Blanc sur le Nègre s’est formée. Lorsque Tintin est ‘arrivé au Congo’, l’idéologie raciste et coloniale sur le Noir était déjà bien établie. Il est ridicule de songer à rajouter un texte pédagogique dans l’album ‘Tintin au Congo’. Pourquoi ne pas, alors, le faire aussi dans ‘l’Esprit des lois’ de Montesquieu, où il est dit que les gens du sud sont faibles comme des vieillards et que les gens du nord sont forts comme des jeunes hommes ? A ce train-là il va falloir relire tous les livres du monde et rajouter des pages pédagogiques ici et là !»

Bienvenu Mbutu Mondondo n’est évidemment pas d’accord. Il pense que les passés honteux sont faits pour être ignorés. Que le mieux est de les faire disparaître et qu’à défaut, on les regardera avec un bandeau explicatif sur les yeux.

David CAVIGLIOLI
© Le Nouvel Observateur