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Stomy Bugsy : « Je suis un créole-africain, j’aime l’Afrique »

25 juin 2009, 00:00

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Le rappeur et acteur français, à Maurice pour le jubilé de Didier Agathe, n’a rien perdu de sa superbe. Assagi depuis son aventure avec le Ministère Amer, Stomy Bugsy continue le combat contre l’inégalité… autrement.


Stomy Bugsy, quel regard jetez-vous sur votre parcours atypique du Ministère Amer pour en arriver au cinéma?


J’essaie de ne pas jeter de regard justement. J’essaie simplement de regarder de l’avant. Je me considère comme un nourrisson qui renaît tous les jours.

Vous vous êtes donc assagi avec les années?

Il le faut… Mais le combat se situe dans d’autres endroits maintenant.

Comme sur le terrain de la défense des sans-papiers de Cachan. La méthode a changé mais le désir de se battre pour les autres reste intacte ?

Le désir est toujours présent. Il s’exprime différemment à travers l’art, le cinéma, la musique aussi. Je ne suis pas un homme politique, ce qui fait qu’à partir d’un moment je vais être restreint dans mon combat. La meilleure chose à faire pour un artiste, c’est de faire de beaux films remplis d’une touche d’humanité. Et quand les gens sortent de la salle de cinéma, ils se disent qu’ils ont appris quelque chose, que le film les a émus ou encore qu’il les a bouleversés, apportés du baume au cœur ou un peu plus de force tout simplement. Le cinéma reste un divertissement, c’est de l’art aussi. Mais si de temps en temps, par le biais de l’art, on peut aussi militer, c’est merveilleux.

C’est d’ailleurs le cas de votre dernier film, André Aliker, qui raconte le parcours de ce journaliste communiste martiniquais des années 1930…

Oui, c’est le cas pour ce film qui est sorti en 2008 en France, en Martinique et en Guadeloupe. C’est un très beau film écrit par Patrick Chamoiseau et réalisé par Guy Deslauriers. C’est là que l’on voit que la Martinique des années 1930 et celle de maintenant n’a pas beaucoup changé. Le film de l’histoire d’André Aliker nous le montre bien. Depuis sa création, en passant par sa production, jusqu’à sa distribution, on voit que les grandes puissances capitalistes étouffent l’autre partie du monde. Elles sont toujours très influentes et ne veulent pas que la vérité soit mise au grand jour.

Connaissiez-vous André Aliker avant ce film?

J’avais déjà entendu son nom, sûrement en m’intéressant aux écrits d’Aimé Césaire ou de Frantz Fanon. Ou peut-être lors de mes voyages en Martinique, vu qu’il y a des collèges André Aliker et des rues André Aliker. Cela dit, en Martinique beaucoup de gens ne connaissaient pas la vie d’André Aliker. C’est normal, ce n’est pas ce qu’on va leur apprendre à l’école, au contraire… A l’école on va plutôt leur apprendre Napoléon (rires)

C’est un film qui vous a marqué semble-t-il…

Ah oui! C’est un film qui m’a marqué. (il marque une pause, le regard perdu). Je garderai toujours un peu d’Aliker en moi, c’est clair !

Et pour vous, quelles sont les origines de votre militantisme?

Peut-être que je regarde trop de films aussi. Les films sont remplis d’espoirs, de rêves et de fantasmes. C’est peut-être ça…

En 2005, après l’incendie d’un hôtel insalubre abritant des sans-papiers africains à Paris, vous aviez dénoncé la passivité du gouvernement français. Est-ce que depuis les choses ont changé. Trouvez-vous que l’Etat s’intéresse davantage aux jeunes?

Je suis mitigé aussi sur l’Etat (il marque une pause). On a un président, Nicolas Sarkozy, qui est tellement fort dans le bluff. Et les gens, ils arrivent à se laisser bercer, berner, bluffer. Ca me consterne. Pour moi, il a fait le plus gros braquage du siècle. Franchement, chapeau ! Le mépris qu’il a pour le peuple, pour les défavorisés, est spectaculaire. Quant on voit la politique qu’il a eu en Guadeloupe et en Martinique, après la grève d’avril dernier, puis passer à la télévision pendant plus d’une heure et ne même pas dire une phrase sur ces deux îles. Il a un mépris gigantesque pour les gens. C’est sidérant!

Vous êtes d’origine capverdienne. Etes-vous toujours en contact avec le Cap Vert?

Toujours. Ce sont mes racines. En plus, on a fait un album spécial qui s’appelle La MC Malcriado, qui est un collectif de rappeurs capverdiens avec  Jacky Brown, Izé, JP et moi-même. Notre album, il s’intitule «Nos pobréza ke nos rikéza», ce qui veut dire : «Notre pauvreté fait notre richesse». Cet album nous a permis de voyager encore plus au Cap Vert et de rencontrer encore plus le peuple capverdien.

Vous sentez-vous africain?

Moi, je suis Africain! Quand je vais en Afrique, je m’y sens comme chez moi. Je mets ma main dans  la terre, je regarde vers le ciel, je vois la voie lactée et je sens que je suis là. Je suis un créole-africain et j’aime ça. J’aime l’Afrique, c’est nos ancêtres, on a été pris de là-bas. On vient tous de là.

Est-ce que cela a été compliqué pour vous, en tant qu’insulaire quelque part, de vivre et de grandir en France ?

Non, moi je prends cela comme une richesse. En même temps, Paris c’est une ville magnifique. En banlieue, j’ai connu de tout. J’essaie de m’adapter à tout. J’ai une devise qui est : « adapte-toi et domine. »

Et quel message auriez-vous pour les enfants issus de l’immigration?

Il faut faire des enquêtes sur d’où l’on vient. Connaître nos histoires, nos héros, nos martyres, nos contes de fées, nos romances et nos musiques. Ceci afin de pouvoir embrasser les autres musiques et les autres cultures. Il faut bien se connaître soi-même. Car, quand tu connais bien ton histoire, tes forces, tes faiblesses, tes valeurs, tu n’as aucun problème avec personne. Tu n’es ni aigri, ni revanchard.

Ceux de votre génération s’intéressent à leur histoire, leurs origines. Mais est-ce également le cas pour la génération actuelle ?

Il y a pleins de jeunes qui s’intéressent à leurs origines africaines, et d’autres non. Ça dépend de pleins de choses. Je dirais que je suis mitigé sur ça. Il y a une partie de la population qui, je crois, ne pense qu’à avoir une grosse bagnole, des grosses montres et pleins de choses factices. Et il y a une autre qui est vachement plus spirituelle, engagée. Des gens qui veulent retourner en Afrique pour y faire des choses. Il y a toute une jeunesse qui en a marre de voir tout ces croulants du gouvernement abuser du peuple depuis tant d’années.

Voir aussi l''interview vidéo de Stomy Bugsy.