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Rompre avec la spirale du surendettement

20 octobre 2013, 00:00

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Rompre avec la spirale du surendettement

Licenciement, divorce, veuvage, alcoolisme, toxicomanie… sources de surendettement combinées à la dépression morale, les accidents de la vie n’épargnent personne. L’Association pour la protection des emprunteurs abusés tend la main aux personnes en difficulté, gratuitement, avec des conseils, mais sans donner ou prêter de l’argent.

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LE CONSEIL

Rencontre individuelle et écoute téléphonique

 

«Trois citoyens mauriciens adultes sur quatre sont surendettés; l’enjeu est grave», annonce d’entrée de jeu,Michael Sandapen, coordinateurde projets à l’Associationpour la protectiondes emprunteurs abusés(APEA). «Aujourd’hui, le taux de chômage est inquiétant, avec une augmentation de 52 000 chômeurs sur un an et 2 913 emplois supprimés dans le secteur de l’exportation, entre janvier et juin derniers. Et une cessation d’activités pour 15 entreprises !»

 

Pour faire face à la crise économique, l’APEA a diversifié ses services. Depuis 2012, avec le soutien financier du groupe CIM, l’APEA a entamé une restructuration de ses aides et une professionnalisation de son équipe, afin de faire face aux nouveaux défis posés par le surendettement.

 

Dotée il y a quelques années encore de cinq permanences aux quatre coins de l’île, l’APEA a dû revoir son champ d’action avec le départ des bénévoles. Aujourd’hui, deux salariés, Jacqueline Henriot (photo à gauche) et Michael Sandapen, tiennent l’unique permanence de l’association, à Rose-Hill. Maîtres mots de leur travail : écoute (counselling) et patience. «La première fois qu’une personne nous appelle ou nous rend visite à la permanence,elle ne va pas dire franchement quel est le vrai problème derrière son souci d’argent, témoigne Jacqueline Henriot. Mais petit à petit, nous établissons une relation de confiance et nous obtenons plus de renseignements. Certains sont à la limite du désespoir ou doivent être référés à d’autres associations pour des problèmes les suraffectant,comme l’alcoolisme».

 

Avec son sourire et son attitude positive, Jacqueline Henriot a l’impression d’être une soupape pour certains bénéficiaires enlisés dans une certaine souffrance et un isolement, du fait même de l’angoisse liée à leur endettement : «Comme le surendettement reste tabou, même si une personne a une famille, elle hésitera à se confier à ses proches. Rien qu’en parlant de ses problèmes financiers avec nous, la personne ressent un certain soulagement et repart quelque peu apaisée psychologiquement.»

 

Plusieurs causes se cachent derrière le surendettement : le manque de connaissances sur la gestion du budget, les accidents de la vie (deuil, divorce, maladie, licenciement…), voire les «erreurs personnelles»comme l’entretien d’un second ménage…

 

Permanence : rue Celicourt Antelme, à Rose-Hill.

Écoute téléphonique de 9 à 15 heures du lundi au vendredi : tél. : 466 5694. Prière de prendre un rendez-vous avant toute visite


L’appui des légistes volontaires recherché

 

Les foyers disposant de revenus inférieurs à Rs 10 000 peuvent prétendre à l’aide juridique gratuite. Pour les autres, l’APEA s’appuie sur l’aide d’avocats et de notaires pour donner des conseils aux bénéficiaires. «Je précise bien qu’en cas de surendettement, l’APEA ne donne, ni ne prête de l’argent aux individus. Mais nous agissons comme des médiateurs pour essayer de faire annuler la dette – très rare – ou pour rééchelonner les remboursements sur une plus grande échéance», explique Michael Sandapen, qui aide les bénéficiaires de l’APEA à rédiger leurs courriers et les accompagne en cas de besoin pour des démarches auprès des banques ou auprès du «Commissioner of Borrowers». «Notre ONG, l’APEA peut compter sur des avoués et avocats volontaires, mais nous aimerions lancer un appel pour que d’autres nous rejoignent, car ces professionnels sont un appui précieux dans nos démarches», précise Michael Sandapen.


Prévention et causeries sur demande

 

Grâce au soutien financier du groupe CIM, l’APEA s’est lancée davantage dans la formation de travailleurs sociaux des ONG et dans la prévention, à la demande des institutions publiques, des associations ou des entreprises dans différentes régions de l’île, et même à Rodrigues.

 

«Les employeurs sont aussi bien placés pour faire appel à l’APEA, pour animer des sessions de sensibilisation sur le surendettement, car les responsables de ressources humaines savent parfaitement combien d’employés de leur entreprise demandent une avance sur leur salaire avant la fin du mois et savent donc si la gestion du budget familial est une problématique récurrente, qui nécessite l’organisation de causeries ou de formations adéquates au sein même de l’entreprise», précise MichaelSandapen, de l’APEA.      

 

Parmi les cibles prioritaires de l’APEA : les femmes, qui sont souvent décideurs dans le couple en matière de budget – «les ministres des finances»,comme les taquine Michael Sandapen –, les jeunes couples qui vont devoir faire face aux dépenses du mariage et à leur vie de parents, les jeunes de plus de 14 ans des différents établissements scolaires (du gouvernement ou des ONG)…

 

FORCES VIVES

 

«Prescripteurs en termes de consommation, les adolescents ont souvent des désirs (baskets, sorties, loisirs, téléphone portable…), que leurs parents ne peuvent satisfaire ! Il est bien important de déterminer le budget familial en présence de l’enfant pour qu’il comprenne très tôt ce que la famille peut se permettre ou non; c’est primordial», insiste Jacqueline Henriot.

Pour Michael Sandapen, «les jeunes sont aussi des consommateurs et des futurs clients des banqueset des organismes de crédit.Nous devons donc les informer.Nous avons pour projet de développer des sessions très interactives avec les jeunes scolarisés dans les écoles du réseau ANFEN. Nous projetons également d’organiser des ateliers en week-end pour toucher leurs parents».Le 24 octobre, une série de formations sur la gestion du budget familial sera ainsi lancée à la cité Bois-Marchand, à la demande des forces vives du quartier.


 

SELON DES ETUDES

L’achat à crédit et les jeux de hasard mis en cause

 

En 2012, l’APEA a travaillé avec le cabinet Moriscopie dirigé par Brigitte Masson, pour mieux comprendre les causes du surendettement et valider les observations des travailleurs sociaux sur le terrain. «Nous constatons une évolution dans les cas de surendettement. Auparavant il s’agissait surtout d’accidents de la vie; aujourd’hui l’argent facile est souvent à la source du problème, d’où l’importance de la sensibilisation aux conditions de crédit, aux modalités de remboursement, au coût réel de l’achat à crédit, entre autres, souligne Michael Sandapen.Les jeux de hasard sont aussi un facteur de surrendettement. »

 

Ainsi, 55 % des personnes endettées ont joué au moins une fois dans le mois, contre 41 % de l’ensemble de la population, selon l’étude réalisée par la firme Moriscopie en novembre 2012. Grâce, notamment, aux études statistiques, l’APEA va développer les campagnes de plaidoyer à l’avenir. «Nous avons participé aux consultationspour le Protection Consumer Bill, sur la fixation des intérêts des achats à crédit notamment... Nous espérons que nous pourrons travailler davantage en concertation avec le ministère du Droit des consommateurs. Nous voudrions pouvoir plus largement dispenser nos conseils et nos formations en matière d’éducation financière dans les Citizens Advice Bureaux, les centres deFemmes, entre autres», envisage Michael Sandapen.

 

«La volonté de l’APEA est également de collaborer avec le ministère de l’Éducation, afin de développer l’éducation financière dans les écoles. Dans les petites boutiques, les élèves prennent déjà la mauvaise habitude de consommer plus que ce qu’ils ont, en demandant crédit au marsan gato… Si on vise une économie saine pour demain, il faut débuter tôt l’éducation financière», ajoute notre interlocuteur.