Publicité

Réunion: La rupture à l’amiable séduit

26 janvier 2009, 01:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Réunion: La rupture à l’amiable séduit


A la Réunion, la loi autorise un salarié et son employeur à se quitter d’un commun accord et permet au premier de percevoir les indemnités de chômage.

Séduisante, cette formule a rapidement décollé en métropole et plus encore localement. 600 demandes ont été déposées auprès de la direction départementale du Travail entre juillet et fin 2008, dont 200 au cours du seul mois de décembre.

Jusqu’au milieu d’année dernière, dans quelles circonstances un salarié pouvait-il quitter son entreprise?
Jusqu’à juin dernier, pour rompre un contrat à durée indéterminée, il n’existait que deux solutions. Soit le salarié voulait quitter son entreprise et devait démissionner, ce qui lui fermait le droit aux allocations chômage. Soit l’employeur prenait l’initiative de la séparation et devait licencier le collaborateur. Dans ce cas, même si les deux parties s’accordaient d’emblée sur le principe et les modalités de départ, il fallait tout de même passer par la procédure de licenciement pour motif personnel. Il était impératif de déterminer un motif "réel et sérieux" de rupture, s’échanger des lettres recommandées, s’opposer des arguments... Sans cela, les Assedic risquaient de dénoncer un licenciement arrangé et refuser d’indemniser le nouveau chômeur.

2 Qu’est-ce que la séparation à l’amiable?
La séparation à l’amiable ou plus précisément la "rupture conventionnelle du contrat de travail" est un mode nouveau de séparation entre un employeur et un salarié. Imaginé en début d’année dernière par les partenaires sociaux (seule la CGT n’a pas signé), ce divorce professionnel à l’amiable a été entériné par la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008. Dans la pratique, l’initiative peut venir indifféremment de l’entreprise ou de l’employé.

3 Quelles sont les modalités de mise en œuvre du dispositif?
Un entretien préalable est prévu mais il se passe de l’envoi d’une lettre de convocation, d’un délai à respecter ou encore d’un motif à développer par écrit (à l’inverse du licenciement). Si les parties se mettent d’accord sur les modalités du départ, il leur suffit de remplir un formulaire type, téléchargeable sur le site du ministère du Travail - www.travail-solidarite.gouv.fr, rubriques "formulaires". Une fois cette convention cosignée, on laisse passer un délai de 15 jours pendant lequel l’une ou l’autre des parties a la possibilité de se rétracter. Puis on envoie le document au directeur départemental du Travail. Celui-ci dispose de 15 jours pour homologuer celui-ci.

4 Sur quels critères la direction du Travail base-t-elle son homologation?
"La direction du Travail doit vérifier le consentement des parties en dehors de tout litige et vérifier que les délais réglementaires sont respectés, explique Gilbert David, directeur-adjoint de la direction départementale du Travail. Le délai de 15 jours pour se prononcer se révèle un peu faible mais nous faisons le maximum pour éviter tout dévoiement de la mesure. Certains en effet pourraient être tentés d’utiliser le dispositif à la place du licenciement économique ou pour réguler la pyramide des âges dans leur entreprise." L’absence de réponse de l’administration valant assentiment, l’affaire est bouclée en à peine plus d’un mois, contre deux à quatre mois, voire plus, pour un licenciement.

5 La séparation à l’amiable peut-elle se substituer au licenciement économique?
Pas question, la loi est formelle. Dès qu’une entreprise de plus de 50 salariés projette de supprimer au moins dix emplois, elle doit lancer un plan social avec toutes les aides prévues pour faciliter la recherche d’un nouveau poste par les salariés. Au-dessous de 10 suppressions de postes ou dans les PME, l’interdiction de recourir au nouveau dispositif à la place du licenciement économique n’est pas explicite dans le texte mais le risque pour l’employeur est de se voir contredit par les tribunaux.

6 Quels sont les principaux avantages de la mesure?
Au-delà de sa simplicité, la formule permet surtout au salarié de percevoir les indemnités de chômage et à l’employeur de réaliser une économie par rapport à la procédure de licenciement. En effet, à moins de pouvoir prouver que le salarié a commis une faute grave ou lourde, le licenciement coûte cher. Outre les indemnités prévues par la convention collective, l’entreprise doit, même si celui-ci n’a pas été effectué, payer le préavis (trois mois et parfois six mois au-delà de 50 ans pour les cadres). Dans le cas de la séparation à l’amiable, l’indemnité peut se limiter au montant prévu par le code du travail en cas de rupture d’un CDI, c’est-à-dire à un cinquième du salaire mensuel par année d’ancienneté, et un tiers au-delà de dix ans. Cela ne représente par exemple que deux mois de rémunération pour un salarié présent depuis dix ans dans l’entreprise.

7 Quel risque le choix de ce dispositif peut-il faire courir à l’employeur?
Derrière son apparence idéale, le dispositif cache un risque. Le cas s’était produit en métropole avec le CNE, le contrat nouvelle embauche, mis en place en 2005 par le gouvernement Villepin. Très controversé, il devait permettre à un employeur de se séparer d’un collaborateur au cours des deux premières années d’activité sans avoir à justifier d’un motif. Mais dans la pratique, les tribunaux n’ont pas toujours suivi et certains employeurs ont été condamnés. Avec la séparation amiable, le salarié dispose d’un an pour demander l’annulation de la convention (contre 30 ans dans le cas d’un licenciement). Il peut prétendre avoir été harcelé pour signer. Or, si la rupture est invalidée, le conseil des prud’hommes ne pourra pas se prononcer sur le caractère licite du motif puisque la convention n’en mentionne pas. Du coup, l’employeur court le risque d’être condamné automatiquement pour licenciement abusif. La sanction est élevée : de 6 à 24 mois de dommages et intérêts en fonction de l’âge, de l’ancienneté et de la situation personnelle du salarié.

8 Et le salarié, que peut-il craindre?
Certains DRH ont déjà essayé de se débarrasser de salariés "gênants", en particulier de seniors, en leur donnant le choix entre partir à l’amiable ou se faire licencier. Pas très glorieux, mais possible. Le salarié disposant d’un an pour se rétracter, il peut dans un tel cas de figure poursuivre son ex-employeur en conseil des prud’hommes. Jusqu’ici, aucune jurisprudence définitive n’est encore apparue (les quelques cas portés en justice sont en attente de jugement en appel).

9 Combien de ruptures conventionnelles du contrat de travail ont-elles été signées depuis la mise en place du dispositif?
20 000 demandes ont été enregistrées sur l’ensemble du territoire national entre juillet et fin novembre 2008, soit environ 5% du nombre total des "sorties" de CDI sur la période. À la Réunion, la direction départementale du Travail a reçu 600 demandes entre juillet et fin décembre 2008, soit proportionnellement plus que la moyenne nationale (on estime en effet que la Réunion représente environ 1 % du territoire national en nombre de salariés et d’entreprises). Une accélération a été observée en fin d’année dernière puisque 200 des 600 demandes locales ont été déposées sur le seul mois de décembre dernier. "On observe une augmentation très soutenue sur la fin de l’année", souligne Gilbert David. Autant de demandeurs d’emploi indemnisés par le pôle emploi (l’établissement issu de la fusion ANPE-Assedic) venus s’ajouter au 43 700 recensés en 2008. Dans l’hexagone comme sur l’île, les demandes émanent de tous secteurs et concernent toutes les catégories de salariés, sans qu’aucune tendance précise ne se dessine. Les statistiques ne disent pas si elles se font plus souvent sur la demande du salarié ou de l’employeur, ni si la crise joue un rôle dans le succès rapide et grandissant du dispositif.

10 Certaines demandes ont-elles essuyé des refus de la part de la direction départementale du Travail?
Sur les 600 demandes de rupture conventionnelle du contrat de travail reçues par la direction du Travail à la Réunion, 545 ont été homologuées par les services de l’État. La plupart des 65 refus étaient motivés par une irrégularité de forme telle qu’un montant des indemnités prévisionnelles de départ inférieur au minimum légal. Enfin, une faible minorité de refus d’homologation sont liés à un problème de fond. "Certaines entreprises de moins de dix salariés nous ont présenté des demandes de rupture conventionnelle de contrat pour le tiers ou parfois plus de la moitié de leur effectif, rapporte Gilbert David. Après enquête, nous avons pu découvrir qu’il s’agissait de tentatives de licenciement économique déguisées. Nous les avons donc rejetées." Aucune sanction n’est prévue à l’encontre de l’employeur ni du salarié dans un tel cas de figure. Mais le refus d’homologation de l’administration demeure incontestable devant un tribunal administratif et oblige les parties à trouver une autre solution pour se séparer.

Dossier réalisé par Séverine Dargent
(Source: Journal de l’île de la Réunion)