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Mort de Norodom Sihanouk, l''ex-roi du Cambodge

15 octobre 2012, 00:00

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En 1941, il est monté sur le trône. Il a abdiqué en 1955, a été illégalement destitué en 1970, a été prisonnier des Khmers rouges de 1975 à 1979 à Phnom Penh. Il est revenu au Cambodge en novembre 1991 et remonté sur son trône deux années plus tard.

 Quel homme d''''Etat, au XX° siècle, a occupé si longtemps, et avec des fortunes si diverses, le devant de la scène ? Norodom Sihanouk. "Insubmersible", a résumé d''un mot un ancien diplomate français, grand expert de la région. "Incoulable", avait jugé l''intéressé lui-même quelques années auparavant. Un personnage hors du commun, déroutant, oscillant entre le sourire figé accompagné de courbettes et le monologue sans fin débité sur un ton aigu. L''ex-roi du Cambodge est mort, dimanche 14 octobre en Chine, où il se rendait régulièrement pour y suivre des traitements médicaux après avoir souffert entre autres d''un cancer, de diabète et d''hypertension.

Longtemps tout rond, aux décisions si surprenantes qu''on n''a jamais vraiment su si elles tenaient de la suprême habileté ou du caprice, de la manoeuvre réfléchie ou de l''envie d''envoyer tout promener. Sihanouk a si souvent annoncé sa retraite ou son abdication que personne n''y croyait plus, même ceux qui se souvenaient qu''en 1953 déjà, lorsqu''il était sur le trône, il s''était retiré en Thaïlande, puis à Angkor parce que les Français tardaient trop à accorder à son Cambodge une indépendance complète qu''il obtiendra en 1953, un an avant les autres.

Il en a lassé plus d''un avec son obstination, ses découragements, réels ou imaginaires, et son profil de dieu-roi qui l''a placé au sommet de la pyramide sociale, spirituelle et religieuse de la société khmère. Entre deux dithyrambes nationalistes, entre quatre rendez-vous à Paris, à New-York, à Pékin ou à Pyongyang, l''homme n''a jamais oublié qu''il était roi, même s''il a abdiqué en 1955 en faveur de son père afin de plonger dans l''arène politique.

 En attendant qu''un site royal prenne le relais sur la Toile, ses "bulletins" mensuels ont publié des revues de presse annotées de sa main, des entretiens dont il rédige apparemment questions et réponses, les recettes de cuisine de sa tante, ses propres poèmes et compositions médicales. Il a également été metteur en scène et directeur de films.

Prince ou roi, il s''est lui-même défini avec ironie, dans ses réponses à ses détracteurs, comme "changeant". Il n''entend rien aux problèmes d''intendance, ignorant ce qu''est un compte en banque, ce qui explique sans doute sa grande tolérance à l''égard d''une cour dont les excès lui font du tort. C''est, en revanche, un manipulateur-né, jouant les uns contre les autres, ne serait-ce que pour élargir sa marge de manoeuvre.

"Excellent tacticien, piètre stratège", jugera sévèrement Pham Xuân Ân, l''ancien maître espion communiste dans le Sud pendant la guerre du Vietnam, tout en sachant que ce personnage à l''humour caustique a quatre fils à la patte : une francophilie qui ne se démentira jamais une "reconnaissance éternelle" à l''égard de la Chine, son hôte intéressé des moments difficiles la conscience que le Cambodge doit, en dernier recours, cohabiter avec le Viêtnam, encombrant voisin et le rejet de sa destitution en 1970, à ses yeux le pire des crimes de lèse-majesté.

Le Cambodge, c''est lui. Il est fasciné par Angkor, grandeur disparue. En avril 1996, lors d''une visite d''Etat – et d''adieux politiques – à Paris, il rappelle qu''il est "le plus gaulliste des gaullistes". En fait, il est surtout gaullien dans son profil de gardien du Cambodge et d''ultime recours à l''issue de deux décennies de bouleversements que son royaume a subi lorsqu''il s''est retrouvé lui-même sans prise sur l''enchaînement des évènements.

En 1941, l''amiral Decoux, gouverneur d''une Indochine française ralliée à Vichy, place sur le trône cet élève du lycée Chasseloup-Laubat de Saigon, un joyeux luron, donc censé être souple. Sihanouk est alors âgé de dix-huit ans. Le jeune monarque est trop intelligent pour ne pas saisir, après la capitulation du Japon, que les temps ont changé. S''il accueille avec plaisir les troupes du général Leclerc, c''est bien parce qu''un autre Cambodgien, San Ngoc Thanh, s''est entre-temps proclamé chef du gouvernement d''un Cambodge indépendant. Il faut d''abord se débarrasser de l''"usurpateur".

GESTIONNAIRE AUTORITAIRE ET PEU CONVAINCANT

Sihanouk entend préserver l''existence de son royaume. S''en donne-t-il les moyens ? Pendant la première guerre d''Indochine, la française, les combats ont bien peu affecté le Cambodge. A Genève, en 1954, Sihanouk impose la neutralité de son pays. Il est l''un des fondateurs du mouvement des non-alignés, l''année suivante à Bandung, aux côtés de Chou Enlai, Nehru, Nasser et Sukarno. Sihanouk acquiert ainsi une stature qui lui permet de contrecarrer les complots ourdis contre lui par les maréchaux de Bangkok ou le régime de Ngô Dinh Diêm à Saigon.

Quand les Américains prennent le relais des Français au Viêtnam du Sud, il se rapproche de Hanoï. Peut-il empêcher Nord-Viêtnamiens et Viêtcôngs d''établir, dans le nord-est cambodgien, les réseaux de la "piste Ho-Chi-Minh" censés contourner les positions américaines au Viêtnam du Sud ? Il refuse de faire du Cambodge un porte-avions militaire américain. Mais devait-il pour autant tolérer vers la fin des années Soixante ce que l''on appellera la "piste Sihanouk", à savoir le ravitaillement par la route, à partir du port de Sihanoukville, des Viêtcôngs ?

Si le soutien du général de Gaulle en 1966, dans un fameux "discours de Phnom Penh" à l''adresse de l''Amérique, le conforte sur le moment, sa marge de manoeuvre s''avère néanmoins de plus en étroite : la guerre américaine menace le Cambodge. Sur le plan intérieur, dans un royaume aux allures provinciales et bien pacifiques, Sihanouk s''est révélé un gestionnaire à la fois autoritaire et peu convaincant. Il se retrouve seul et perd prise sur le gouvernement, en 1967-1968, alors que les Américains cachent de moins en moins leur volonté d''attaquer les installations des communistes vietnamiens en territoire cambodgien.

 Norodom Sihanouk a pris la tête de la résistance multipartite cambodgienne contre le régime pro-vietnamien de Phnom Penh jusqu''aux Accords de paix de Paris en octobre 1991. | AFP/FRANCIS DERON
En 1970, il est "destitué" en son absence. De Pékin, où il se réfugie, Sihanouk accorde son patronage à l''insurrection des Khmers rouges, ceux-là mêmes qu''il dénonçait quelques années auparavant. Le pays plonge dans la guerre et, surtout, dans une série de massacres. Cinq ans plus tard, les Khmers rouges occupent Phnom Penh. Ils vident les villes et transforment le Cambodge en un vaste camp de concentration, au prix de près de deux millions de victimes.

Sihanouk revient au Cambodge, avec le titre sans pouvoir de chef d''Etat. Il est enfermé dans son palais, démissionne dès 1976 et ne doit la vie sauve qu''à l''influence de ses amis chinois sur Pol Pot. Quatorze de ses enfants et petits-enfants sont tués par les Khmers rouges. Quand un corps expéditionnaire vietnamien balaie les Khmers rouges, Sihanouk est évacué de Phnom Penh par les Chinois à la veille de la chute de la capitale, le 7 janvier 1979.

Sihanouk se lance alors dans une campagne pour libérer son pays du "joug vietnamien", quitte à faire "alliance avec le diable", ses anciens geôliers khmers rouges qui ont l''appui de Pékin et de Bangkok. Il passe l''essentiel de son temps à Pékin et à Pyongyang. Jusqu''au moment où, en avril 1991, Chinois et Vietnamiens normalisent leurs relations, donnant ainsi le feu vert à un règlement cambodgien.

Signé en octobre de la même année à Paris, cet accord international débouche sur une intervention massive de l''ONU qui organise des élections générales en 1993. Dans la foulée, la monarchie, constitutionnelle, est restaurée. Une coalition gouvernementale, associant une ferveur sihanoukiste déclinante à l''Etat-PPC (Parti du peuple cambodgien, mis en place sous protection vietnamienne), est vite paralysée par des querelles internes. Entre-temps, le mouvement des Khmers rouges se désintègre. Sans point d''appui, Sihanouk se retrouve isolé dans son palais. En outre, il est malade : des problèmes circulatoires et, surtout, un cancer de la prostate dont il se fait opérer, apparemment avec succès, en octobre 1993 à Pékin.

 En octobre 2009, il avait estimé sur son site internet qu''il avait vécu trop longtemps et espérait mourir. "Cette trop longue longévité me pèse comme un poids insupportable", écrivait-il dans une note manuscrite postée sur son site.

Depuis son retour en 1991, il cultive une image de monarque bénévole, protecteur des pauvres et des faibles, défenseur des libertés essentielles. Esprit sarcastique, il a l''humour de plus en plus amer quand il distribue les mauvais points. Il se désespère de voir son royaume "nager dans une mer de disgrâces". Quand il ne séjourne pas à Pékin, il ne sort guère de son palais.

La politique le rattrape néanmoins quand il faut un "arbitre" pour sortir le pays de crises post-électorales en 1993, en 1998 et, de nouveau, en 2003. Mais, dès 1994, la partie est perdue, le mouvement royaliste dont il a été le fondateur étant géré de façon inepte par l''un de ses fils. En 2004, il abdique une deuxième fois pour s''assurer, de son vivant, que l''héritier soit son fils cadet, Norodom Sihamoni. Si l''homme n''avait pas survécu à deux décennies de tragédies, et conservé toute sa tête, la monarchie aurait-elle été restaurée en 1993 ? Peut-être que non. Et que deviendra-t-elle après lui ? On n''en sait rien.

(Source: Le monde.fr)