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Montrer Ben Laden vivant et pas son cadavre, c’est de la mauvaise communication

12 mai 2011, 00:00

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Les photos du cadavre de Ben Laden ont finalement été montrées par la CIA, mais seulement à des élus du Congrès. Le grand public, lui, ne les verra pas.  Barak Obama a préféré montrer, le 7 mai, Ben Laden bien vivant, dans son intimité.

Cette décision a été justifiée par l''''envie d''éradiquer de nouvelles représentations de « l''ennemi public numéro un »,  mais une telle stratégie de communication risque de s''avérer contre-productive, écrit  Irène Costelian, Docteur en sciences politiques, dans Rue89 ce jeudi.

Les extraits vidéos de Ben Laden, notamment celle dans laquelle on le voit regardant la télévision, nous ont fait entrer dans l''intimité de l''ex-leader d''Al-Qaeda, rappelle l’auteur de cette analyse.   Le choix de diffuser ces images apparaît d''emblée contraire au but affiché jusque là par les Etats-Unis : déconstruire son image, poursuit Irène Costelian. «  Elles donnent une seconde vie au numéro un d''Al-Qaeda, alors que l''absence d''image de sa mort devait le faire disparaître du paysage visuel collectif », ajoute-t-elle.

L''intimité, facteur d''identification
L’auteure rappelle que la diffusion des vidéos personnelles est une technique de communication «qui a toujours servi à créer ou renforcer des mythes, jamais à les détruire ». Il s’agit là d’un processus est bien connu en communication politique. En effet, quand  on  veut rendre un leader populaire, on diffuse des photos ou des vidéos le représentant dans son quotidien. Une méthode largement  utilisée lors des campagnes électorales pour familiariser l''électeur avec le candidat, comme ce fut le cas pour Barak Obama lors de la campagne présidentielle de 2008. Elle aurait contribué au succès de l''actuel Président contre son adversaire républicain John McCain dont la vie privée était moins exposée.

« L''identification des personnages publics par les citoyens lambda, appelée aussi « identification nécessaire », est un des enjeux de la compétition médiatique des leaders : la popularité se compte également en terme de proximité. Cette technique est aussi la base des émissions de téléréalité », explique l’analyste politique française.

Des images qui n''ont rien de dégradant
« Plus on en sait sur quelqu''un, plus il nous paraît proche. Et plus il y a de chances que l''on adhère à son message et ses idéaux. Aussi, en voyant Ben Laden enroulé dans une couverture, un bonnet sur la tête, regardant la télévision, cela nous renvoie à nos propres moments d''intimité. Loin du regard des autres, le masque tombe de personnage public, Ben Laden devient une personne à part entière », ajoute-t-elle.

Avant de souligner que l''inconscient relie ainsi cette image à nos propres images de téléspectateur, dans des postures bien souvent similaires.

Du peu que l''on peut voir sur la vidéo, l''intérieur est très modeste, de même que la télévision qui n''est pas du dernier cri. Il pourrait s''agir d''une scène quotidienne, filmée dans n''importe quel foyer afghan ou pakistanais, voire moyen-oriental. Il pourrait aussi bien s''agir de n''importe quel homme, mais le département américain de la Défense nous assure qu''il s''agit d''Oussama Ben Laden.  La vidéo apporte une dimension encore plus humaine à Ben Laden : il n''est plus le guerrier sans repos, omniprésent et dangereux, que l''on s''était construit en dix ans. Il devient un homme qui prend les armes ponctuellement.

Du coup, cela permet de relativiser son « capital antipathie » et l''image de guerrier invétéré qu''en ont donné les autorités américaines jusqu''à alors. De guide suprême de la lutte contre l''occident, Ben Laden devient chef mort en martyr.

L''humanisation risque de susciter des vocations
Cette ultime héroïsation le rend presque sympathique et tend à nous faire oublier que ses actions anti-occidentales ne se portaient pas sur les centres de pouvoir, mais contre des femmes et des hommes. L''image de Ben Laden en sort renforcée les vidéos créent ce qui manquait de son vivant : le lien entre un leader-guide et les hommes ordinaires. Cette image du simple quidam peut soulever des vocations : elle place le combat de Ben Laden contre l''occident à la portée de tout le monde.

Aussi, le choix des Etats-Unis semble conduire à des résultats contraires à ceux affichés. Elle agit comme une propagande qui attise la pulsion combative des sympathisants au lieu de l''annihiler.

« Alors que l''administration Bush s''était acharnée à faire de Ben Laden « l''ennemi public numéro un » de l''occident, sa mort aurait dû être la victoire d''Obama, malgré les questions morales que le traitement de l''événement a pu poser. En diffusant ces vidéos intimes, Ben Laden se trouve non seulement ressuscité, mais humanisé à l''extrême », conclut Irène Costelian.