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Mayotte et la parabole du yaourt

6 novembre 2011, 00:00

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Mayotte et la parabole du yaourt

Dans la plus grande indifférence de la métropole, des troubles sociaux secouent l’archipel de Mayotte depuis six semaines : manifestations, barrages routiers, violences contre les personnes, pillage de magasins, écrit Le Monde.fr dans un article consacré à cette île vendredi. Tout en rappelant que  la protestation a fait un mort. Extraits.

Le  31 mars, Mayotte devenait le 101e département français. Cette sacralisation au sein de la République fut (…) accueillie avec enthousiasme sur place. Lors d’un référendum, en 2009, les 200 000 habitants de cette collectivité de l’océan Indien avaient approuvé à 95,2 % ce statut, aboutissement d’une revendication avancée dès 1958.

La "révolte des mabawas"

Comment est-on passé si vite de la liesse à la colère ? Comme ce fut le cas en Guyane, aux Antilles puis à La Réunion en 2009, la "révolte des mabawas" – en langue shimaoré, la "révolte des ailes de poulet", un aliment très prisé des Mahorais – est d’abord née en septembre pour protester contre la vie chère. Ici, les prix sont en moyenne 30 % plus élevés qu’en métropole. Quatre yaourts valent, par exemple, 4 à 5 euros. Or le smic local est fixé à 85 % du smic national, soit 1 000 euros par mois, encore que ce chiffre ne signifie pas grand-chose dans une économie largement informelle.

Des négociations entre syndicats et professionnels du commerce, avec la médiation de l’Etat et du conseil général, ont permis de baisser les prix de neuf produits de première nécessité. Mais le malaise est plus profond.

Jusqu’alors, les Mahorais se comparaient à leurs voisins comoriens. Les autres îles de l’archipel sont devenues indépendantes en 1975. L’écart de produit national brut (PNB) par habitant est aujourd’hui de 1 à 9 en faveur de Mayotte.

Niveau de vie métropolitain

Devenue département, Mayotte guigne aujourd’hui vers une autre voisine, La Réunion. La "vieille colonie", devenue département en 1946, en même temps que la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique, se rapproche aujourd’hui du niveau de vie métropolitain. Elle a bénéficié notamment de transferts massifs de subsides par Paris, à partir des années 1970, qui ont contribué à éteindre sous une pluie financière le feu indépendantiste.Mayotte sait qu’elle ne bénéficiera pas d’une pareille manne d’un Etat qui se bat aujourd’hui avec ses déficits. Espérant devenir éligible aux subventions européennes des régions ultrapériphériques en 2014, elle devra également faire avec une Union désargentée.

Selon le projet de départementalisation, les Mahorais devront avancer par étapes pendant vingt-cinq ans avant de parvenir à une citoyenneté pleine et entière, assortie de tous les droits et devoirs. Le revenu de solidarité active (RSA) qui commencera à être versé en 2012 ne devrait par exemple être, dans un premier temps, que de 25 % du montant national, soit 120 euros par mois… Même hausse progressive pour les allocations familiales ou pour le smic, qui a pourtant déjà doublé depuis 2003.

Une frontière bien lointaine

Vingt-cinq ans, c’est une frontière bien lointaine pour une population dont la moitié a moins de 20 ans. En visite sur place, en juillet 2009, François Fillon avait déjà senti poindre "l’impatience" des habitants. D’autant que les Mahorais, musulmans à 90 %, ont déjà consenti à des concessions culturelles importantes, comme le renoncement à certains droits coutumiers, à la polygamie ou au recours aux cadis, les juges religieux, dans l’espoir de devenir des citoyens à part entière de la République laïque.

Les hommes politiques locaux, de droite comme de gauche, ont beaucoup promis également, trop, usant volontiers d’un double discours, l’un en français, modéré, l’autre en shimaoré où ils vantaient ce département où couleraient le lait et le miel. Leur clientélisme ferait rougir un élu des Bouches-du-Rhône ou des Hauts-de-Seine. La moitié de la population active a un emploi de la fonction publique, souvent des fonctions d’employé territorial attribuées par le conseil général ou les mairies. Dix des dix-sept communes ont été placées sous tutelle de l’Etat, comme le conseil général.

Les élus sont aujourd’hui dépassés par la déception qu’ils ont contribué à alimenter et tentent de la récupérer. Ils jouent dangereusement du ressentiment contre les Blancs, accusés de capter la richesse, ou du mépris pour les clandestins, à l’autre bout de l’échelle sociale.

Absence d’un modèle économique clair

Vertement tancé par les manifestants, le nouveau et jeune président du conseil général, Daniel Zaïdani, souhaite que le RSA soit fixé dès 2012 à 50 % du niveau national, une demande somme toute raisonnable. Mais son institution, dont l’endettement avoisine déjà 65 millions d’euros, n’a pas le premier centime pour payer. Les négociations, qui ont débuté le 2 novembre, avec un émissaire du gouvernement, Denis Robin, ancien préfet de Mayotte, vont donc largement tourner autour des moyens financiers supplémentaires que Paris pourra accorder. Va donc s’accroître la dépendance financière envers la métropole.

A Mayotte apparaît ainsi l’absence d’un modèle économique clair, venu de l’Etat ou des élus locaux. La croissance est nourrie d’une consommation entretenue artificiellement, d’importations massives depuis la métropole, et donc d’une sujétion humiliante. M. Fillon l’expliquait le 11 juillet 2009 : "Le yaourt qui viendra de Normandie, il sera toujours plus cher à Mayotte qu’en Normandie. Et cette question-là ne sera pas résolue autrement que par le développement de productions locales." Cette parabole du yaourt vaut partout dans les DOM.