Publicité

Incident au shelter La Colombe : le prix de l’indifférence des autorités

29 septembre 2013, 07:52

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Incident au shelter La Colombe : le prix de l’indifférence des autorités

Dans un «shelter» cette semaine, un groupe de jeunes filles aurait tenté d’étouffer le bébé d’une rivale et aurait tabassé une «wardress». Si le laxisme de la direction de La Colombe, semble-t-il, serait à blâmer, le manque d’initiative de la part de l’État pour ces enfants à problèmes le serait tout autant.

 

Y a-t-ilune tentative d’étouffer les incidents qui ont eu lieu à l’abri La Colombe à Pointe-aux-Sables dans la nuit de dimanche ? Ce soir-là, une douzaine de filles âgées entre 14 et 15 ans tentent d’étouffer le bébé de leur rivale âgée, elle, de 17 ans. Cette dernière est mère de deux enfants ; un enfant d’un an et demi et un bébé de deux mois. En tentant de sauver le bébé, une employée de La Colombe est tabassée.

 

Les incidents débutent vers 18 h 45 dimanche dernier. Seulement quatre membres du personnel sont de garde à cet abri qui contient 135 mineurs. Les esprits s’échauffent après qu’une wardress tente de s’interposer le groupe de rebelles grossit. À lundi matin, le groupe s’est enfermé dans la salle de bains, refusant d’aller à l’école. Et pour bien faire comprendre qu’elles étaient sérieuses, elles ont envoyé des bâtons sur trois des quatre employés qui tentaient en vain de les raisonner.

 

Mais depuis que l’affaire s’est ébruitée, des démarches semblent avoir été entreprises au niveau de l’abri pour banaliser l’incident. C’est ainsi que, dans un rapport envoyé au ministère concerné lundi, les responsables de l’abri se contentent de faire état du fait qu’il y avait eu une «bagarre» due à «un clash de personnalités» des filles.

 

L’affaire en serait restée là. Excepté que le mari de la wardress, venu récupérer son épouse le lendemain matin, est hors de lui quand il est mis au courant des événements qui ont eu lieu dans la nuit. Face aux blessures de sa femme et au traumatisme qu’elle a vécu, il décide de se rendre à la police pour faire une déposition. C’est grâce à celle-ci que les détails de cette affaire sont connus.

 

Mais depuis, il y a toute une opération visant à décrédibiliser la version de la wardress. Au ministère de la Protection de l’enfance, les responsables de l’abri La Colombe racontent qu’en fait les filles ne voulaient «que» voler le téléphone cellulaire de la mère de 17 ans. Durant la journée de jeudi, certaines pressions auraient été exercées sur les filles impliquées dans l’incident pour qu’elles «changent» leur version.

 

Une source au ministère de la Protection de l’enfance nie cependant. «Je ne sais pas si auniveau de La Colombe ils essaientd’étouffer l’affaire mais pas cheznous. Au contraire, nous prenonscette affaire au sérieux», dit notre source.

 

Il y a une raison à l’affolement au sein de l’abri La Colombe. Car, nous explique une source au sein de cette institution, qui a requis l’anonymat par peur de représailles, «aucunerègle n’est respectée à LaColombe et les responsables de cetabri font ce que bon leur semble».

 

Le premier constat est lui-même inquiétant. Ils étaient 135 enfants dimanche soir à l’abri La Colombe à Pointe-aux- Sables – garçons et filles compris. Cet abri, qui appartient à l’État, ne peut contenir que 70 enfants. Pourtant, c’est là un détail que les responsables de l’abri, qui tombe sous la supervision du National Children’s Council – et donc finalement sous la tutelle du ministère de la Protection de l’enfance –, ne respectent pas pour plusieurs raisons.

 

«D’abord, ils ne peuvent pas dans les conditions actuelles. Puisque c’est un shelter de l’État, tous les enfants à problèmes que les autres shelters refusent sont casés dans les deux shelters de l’État – La Colombe et l’Oiseau du Paradis. Et la capacité est ce qu’elle est», explique une sourceproche du dossier. 70 à La Colombe.Avec une population deprès du double.

 

«Il y a toujours des problèmes quand des enfants passent du temps ensemble mais les problèmes sont exacerbés quand ce sont des enfants à problèmes», expliqueRita Venkatasamy, directricedu Centre d’éducation etde développement pour les enfantsmauriciens (CEDEM).D’ailleurs, il y a un peu plusd’une semaine, elle avait alertéles autorités dans les colonnesde l’express du fait que le paysirait au-devant de graves problèmessi l’on ne traitait pasle problème des enfants abusés.Maurice, avait dit la directricedu CEDEM, est dans lerouge en termes de populationà haut risque de troubles psychiatriques.«C’est un fait que la maltraitance et l’abus sexuel créent des troubles mentaux. Pourtant, nous n’avons pas les données afin de pouvoir faire un travail de réhabilitation auprès de ces enfants», dit-elle.

 

Selon des professionnels de ce secteur, c’est un concept que l’État et ses services ont du mal à comprendre. C’est ainsi qu’une source au sein du ministère de la Protection de l’enfance tente de justifier les incidents qui ont eu lieu à La Colombe : «Ces fillesviennent du Rehabilitation Youth Centre. C’est pour cela qu’ellessont agressives».

 

Or, puisque les services de l’État persistent dans le jugement sommaire des comportements de ces mineurs, aucun problème n’est réglé. «Il n’existepas de protocole pour faire unbilan de l’état de santé mentaleou physique des enfants. Quandils arrivent dans un centre, trèssouvent on nesait rien d’eux,aucune informationn’estdisponible surleur passé, surdes abus qu’ilspeuvent avoirsubi etc. Si on n’a pas ces informations,on ne peut pas les traiter.L’agressivité est le trait d’untrouble. Quand un enfant gère lesconflits à travers l’agressivité, c’estqu’il y a un problème», explique Rita Venkatasamy.

 

Elle affirme aussi avoir noté un changement en termes de profil des enfants. «Ils sont plusviolents et les abris ne savent pastrop comment les gérer

 

«Comment est-ce que cela peut vous étonner qu’on ne sache pas gérer ces enfants ?» s’offusqueune autre source. «Ailleurs, ce sont des professionnels qui gèrent les enfants à problèmes. Ici, ce sont des agents politiques ou des gens qui n’ont aucune qualification dans ce domaine. Dès qu’il y a un problème, le ministère vous réfère à un psychologue et souvent les psychologues du gouvernement n’ont pas beaucoup de psychologie», dit-elle.

 

Pire, il semble n’y avoir aucune volonté politique de changer les choses. L’appel de Rita Venkatasamy au ministère des Finances pour que l’on mette des fonds à la disposition du ministère de la Santé pour pouvoir faire un bilan médical et psychologique des enfants abusés n’a, jusqu’ici, eu aucun écho.

 

«C’est parce que personne ne s’intéresse à ces enfants et qu’on n’est pas en train de réaliser que l’on est en train de parler de la population de demain», lance,amère, une travailleuse sociale.D’ailleurs, la gestion desshelters est, très souvent pourcertains abris, une questiond’argent. L’État paie à ceuxqui veulent bien prendre encharge ces enfants – et il n’ya aucun critère – Rs 6 000par enfant par mois. «À La Colombe, cela veut dire plus de Rs 600 000 par mois. Ces centres bénéficient souvent de donations en termes de vivres et autres. Ces donations ne vont pas toujours aux enfants. Et le ministère ferme les yeux sur cette pratique connue de tous ceux qui sont dans le secteur», poursuit notre source.

 

Le problème, apprenons-nous, est le même que celui du foyer Namasté ; le ministère ferme les yeux parce qu’il ne sait quoi faire de ces enfants à problèmes. En attendant, les troubles psychologiques et psychiatriques ne sont pas soignés et on ignore un problème «qui va nouséclater au visage si l’on ne seressaisit pas». Excepté que le ministère de la Protection de l’enfance semble se complaire dans son immobilisme.