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Développement durable ? Un nouveau pan du Sud sauvage menacé

22 juillet 2013, 23:01

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Développement durable ? Un nouveau pan du Sud sauvage menacé
Les travaux de construction d’un projet immobilier comprenant un parcours de golf de 18 trous débuteront bientôt dans l’une des plus belles régions de l’île. Certains craignent que ce développement n’altère à jamais les caractéristiques hydrologiques uniques du site.
 
Si vous souhaitez entrevoir l’avenir de la canne à sucre, rendez-vous à Bois- Sec dans le Sud de l’île : des champs couvrant une superficie de plusieurs dizaines d’hectares ont été laissés en friche pour faire place à… un immense projet résidentiel et un parcours de golf de 18 trous. Situé à 300 mètres à l’est du Parc national des Gorges de la Rivière-Noire, le chantier se trouve au-dessus d’une importante nappe phréatique traversée par plusieurs rivières et canaux transportant de l’eau d’une qualité exceptionnelle. De plus, environ 70 % du développement se trouvent dans le bassin-versant (catchment area) du projet de barrage de Rivière-des-Anguilles. Le plus inquiétant, toutefois, est que les réserves émises par les techniciens du conseil de district de Savanne n’ont pas été pleinement prises en compte. Quant au promoteur, Arthur and Morgane Ltd (AML), il soutient que son projet n’aura qu’un impact minime sur l’environnement.
 
Pour apprécier la majesté de ce site qui sera bientôt méconnaissable, il suffit d’emprunter le chemin cahoteux et sinueux en face de la Centrale thermique du Sud sur plusieurs kilomètres. Sur place, vous découvrirez de grandes étendues de champs de canne à sucre laissées à l’abandon et encerclées par les forêts vallonnées du Parc national des Gorges de la Rivière-Noire.
 
Une pépinière cultive les plantes qui orneront Avalon, le futur parcours de golf. Un peu plus loin, des conteneurs aménagés et un panneau annoncent l’arrivée imminente des bulldozers. Voici Bois-Sec, lieu magique dont les jours sont comptés. Pour cause, une fois les travaux terminés – ils devraient durer deux ans – il accueillera environ 400 villas et un golf 18 trous. En d’autres termes, c’est encore un autre pan du Sud sauvage qui est victime de son propre charme.
 
Le charme de la région est d’ailleurs l’un des principaux arguments mis en avant par AML dans son rapport d’Environment Impact Assessment (EIA). Outre sa proximité avec les Plaines-Wilhems, le parcours, dont l’un des principaux objectifs serait de «démocratiser le golf à Maurice», jouit «d’une beauté naturelle, de paysages spectaculaires et de vues de la mer».
 
Les villas, elles, contribueront à une «valorisation sociale» de la région et aideront à alléger «la pénurie de logement». Mais les habitants de la région ne voient pas la chose de la même manière : «Se enn proze ferme sa. Se zis pou bann dimoun ki ena boukou kas», déplore l’un d’entre eux. Selon nos recoupements d’informations, cette «valorisation sociale» aurait eu pour résultat de forcer plusieurs dizaines de laboureurs travaillant dans les champs de canne vers la porte de sortie puisque leurs services ne seront tout simplement plus requis.
 
C’est en partie pour cela que Vela Gounden, conseiller du village de Souillac, s’élève contre ce projet qui s’étend sur plus de 150 hectares : «Les promoteurs prennent les gens pour des idiots; ils disent que les villas sont destinées à la classe moyenne mais elles seront au-dessus des moyens du commun des mortels».
 
Mais ce qui l’inquiète le plus, c’est l’impact qu’aura ce développement sur les caractéristiques hydrologiques uniques de Bois-Sec, région traversée par de nombreux cours d’eau et faisant partie du «catchment area» du futur barrage de Rivière-des-Anguilles. Vela Gounden s’inquiète également de la  proximité du site avec plusieurs réserves naturelles.
 
Et même si AML s’engage dans son rapport EIA à préserver les rivières et autres canaux d’alimentation du site, l’entreprise concède qu’il sera tout de même nécessaire de «réaligner» certains drains naturels, ce qui ne sera pas sans conséquence pour les attributs hydrologiques de Bois-Sec. Toutefois, le représentant d’AML, Michel Chan Sui Ko, minimise l’impact écologique du projet. Il réfute les arguments selon lesquels le projet aura un effet néfaste sur les caractéristiques hydrologiques du site, ainsi que sur la qualité de l’eau des rivières et canaux d’alimentation.
 
«Pour le golf, on compte utiliser des fertilisants naturels et les eaux usées des villas seront traitées sur place par une station d’épuration. Les villas seront toutes de plain-pied et il n’y aura pas de bâtiments élevés», dit-il. Trois forages avec un rendement quotidien de 300 mètres cubes alimenteront le développement en eau. AML négocie aussi avec Union-Ducray et Union- Saint-Aubin pour obtenir le droit d’exploiter les cours d’eau qui traversent le site.
 
Si Michel Chan Sui Ko dit comprendre les réserves de certains habitants par rapport au projet, il explique «qu’on ne peut pas arrêter le développement». Et de mettre l’accent sur le fait qu’une fois complété, ce projet «intégré» emploiera 100 personnes à temps plein (ainsi que 400 travailleurs pendant la construction) et sera une source d’investissements directs étrangers.
 
Michel Chan Sui Ko explique par ailleurs que le projet a déjà obtenu son certificat EIA et son permis de conversion des terres et n’attend plus que la lettre d’intention du Morcellement Board pour donner le coup d’envoi des travaux. Ceux-ci pourraient commencer dès le mois prochain.
 
Mais il est peu probable que ses propos rassurent les habitants si attachés au caractère sauvage de la région. Les techniciens du conseil de district de Savanne auraient également exprimé leurs inquiétudes concernant le projet, des inquiétudes liées notamment au fait que 70 % du site se trouvent dans le catchment area du projet de barrage de Rivière-des-Anguilles. Les représentants de la Water Resources Unit auraient également exprimé des réserves par rapport au projet.
 
Pour rassurer tout un chacun, le président du conseil aurait proposé une visite du site mais celle-ci ne s’est jamais concrétisée. Quant aux opposants au projet, ils ne comptent pas baisser les bras pour autant.
 
Dans une lettre ouverte au Premier ministre, publiée dans Le Mauricien le mois dernier, l’économiste Sadek Ruhmaly et Vela Gounden avaient tiré la sonnette d’alarme par rapport aux implications du projet pour la sécurité hydrique de la région : «Nous subissons déjà des problèmes de pénurie d’eau liés au bassin-versant de Mare-aux-Vacoas et l’impact sur la capacité de rétention du réservoir dû à l’assèchement de ses ruisseaux et canaux, et nous ne pouvons pas être irresponsable au point de placer un parcours de golf international avec un projet IRS entre la Mare-aux-Vacoas, le Parc national des Gorges de la Rivière-Noire et les canaux d’alimentation du projet de barrage proposé de Rivière-des-Anguilles qui garantira la sécurité de la fourniture d’eau pour toute la région de Savanne. Cela équivaut au détournement de la sécurité hydrique de toute la zone géographique sud du pays et tout ce que cela implique en termes socio- économiques.»
 
Au vu des problèmes liés à l’eau qu’a vécus le pays ces dernières années – se manifestant aussi bien par des sécheresses que par des inondations –, les autorités auraient intérêt à prendre cette mise en garde très au sérieux.
 
«Cela équivaut au détournement de la sécurité hydrique de toute la zone géographique sud du pays et tout ce que cela implique en termes socio-économiques.»