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Anoska : Un déracinement avec de profondes cicatrices pour les ex-habitants de La Pipe

20 février 2011, 00:00

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Anoska : Un déracinement avec de profondes cicatrices pour les ex-habitants de La Pipe

La construction du réservoir de Midlands a profondément bouleversé leur existence. Douze ans après avoir emménagé dans leur nouvelle cité, les 500 anciens résidents de La Pipe vivent aujourd’hui reclus, entre pauvreté, stigmatisation et volonté de se sortir d’un gouffre nommé Anoska.

Une flopée d’enfants en bas âge jouent pieds-nus dans la rue. Nous sommes dans les hauteurs de 16e Mile. Sur le panneau indicateur, on a ajouté «On the move» après Anoska, suite au projet de développement communautaire qu’envisage la Port-Louis/USA Alumni Association. L’ambassadrice américaine à Maurice, Mary Jo Wills, a lancé ce plan le 13 février dernier.
La cité tire son nom du lac d’Anoska, situé à La Pipe et aujourd’hui submergée par le Midlands Dam. Anoska abrite 150 familles, toutes déplacées par le gouvernement à partir de 1999 du village de La Pipe, dans le sillage de la construction du barrage de Midlands.

La visite se poursuit. Un chien erre paresseusement sous le soleil ardent de 14 heures. Des femmes reviennent des champs. Avant même d’ôter ses bottes boueuses, Savita se hâte de ramasser le linge sur la corde à sécher se trouvant devant sa modeste maison en dur, dont il ne reste que des écailles d’une peinture couleur vaguement beige.

Plus loin, un air de reggae provient d’une bicoque construite de bois et de feuilles de tôle rouillées. Deux adolescents rentrent du collège en dégustant chacun un «piksidou» et en pouffant de rires innocents.

Au même moment, survient Claudine Mercure, une petite dame de 67 ans. Coiffée d’un chapeau en toile, cette Rodriguaise, mère de dix enfants, dit avoir passé seulement cinq ans de sa vie à La Pipe.

Selon Claudine, 77 maisons avaient été construites quand ils ont été relogés et aujourd’hui c’est le double que l’on retrouve à Anoska. Néanmoins, le reste est loin d’être le logis en dur comprenant une chambre à coucher, un séjour, une cuisine, une salle de douche et toilettes, que le gouvernement d’alors leur avait alloué. Ce sont pour la plupart des abris de fortune rafistolés avec les matériaux à portée de main.

«Quand le gouvernement nous avait remis les clés de la maison, il nous avait demandé une location mensuelle de Rs 375, en sus de nos factures d’électricité et de la CWA. Somme qu’on ne déboursait pourtant pas à La Pipe», se souvient-elle, l’air nostalgique.

D’une voix triste, Claudine ajoute que ce sont des familles à très faibles revenus qui habitent le quartier. «Les femmes s’en vont à l’aube labourer les champs de canne ou les cultures de légumes et les hommes travaillent dans la construction. C’est à cause de cette précarité que certaines personnes se retrouvent avec des arriérages de plus de Rs 42 000 pour les loyers», lâche-t-elle. D’autres seraient sans contrat, puisqu’il fallait débourser Rs 4 200 pour en détenir un.

Au milieu de cette cité résidentielle, des marches en béton brut conduisent à la porte d’entrée d’un centre pompeusement nommé «récréatif». La poignée qui manque à la porte est symbolique. Le centre ne dispose d’aucun jeu de société ou d’autres matériels de détente. Il n’est même pas enregistré à la municipalité.

Long struggle of La Pipe Community for Relocation – longue bataille de la communauté de La Pipe pour leur relogement. C’est ce qu’on peut lire sur la plaque commémorative rappelant l’inauguration du centre le 21 novembre 1999 par le ministre du Logement et des Terres d’alors, Sathiamoorthy Sunassee.

«C’est là que les habitants se rencontrent pendant leur temps libre et c’est aussi ici que deux ou trois femmes suivent des cours d’alphabétisation», indique Claudine, l’air las. A côté du centre, le jardin d’enfants est dans un état de délabrement. Les mauvaises herbes ont déjà envahi les équipements rouillés et endommagés.

Plus loin, sur une petite terrasse, Natacha Volfrin, 22 ans, se prélasse en compagnie de quelques membres de sa famille ainsi que de ses voisins. Elle raconte qu’elle a quitté l’école après la Form III et qu’elle suit actuellement des cours pour être esthéticienne et thérapeute.

«Je n’avais que 10 ans quand je suis venue m’installer à Anoska avec mon père et mes deux sœurs. Je me souviens de ce jour, comme si c’était hier, quand les gros camions de déménagement sont venus. D’habitude, je ne voyais cette scène que dans les films. C’était très triste car je quittais un univers auquel je m’étais attaché. Mais on n’y pouvait rien», confie la jeune femme, le regard perdu au loin.

Presque 12 ans après, elle a toujours du mal à accepter ce relogement. «Les rivières à La Pipe me manquent beaucoup. Ici, je suis aussi déçue du regard des autres sur les habitants d’Anoska. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que nous avons pas mal de potentiel et de talents ici. Certes, plusieurs familles vivent dans des situations précaires, mais il est temps qu’on commence à nous regarder autrement», avance Natacha, d’un ton ferme.

Cette dernière est, depuis trois ans, responsable d’un groupe de 30 jeunes de 12 à 27 ans. Elle remercie ainsi les Organisations non-gouvernementales (ONG) qui ont entre autres, permis à raccorder une importante partie de la cité au réseau du CEB.

«Depuis que nous bénéficions de formations, de nombreux jeunes ont pris le droit chemin et suivent des formations techniques au Mauritius Institute of Training and Development. Les fléaux tels la drogue n’ont pas proliféré ici», indique-t-elle.

Cependant, les cas de filles-mères sont assez courants à Anoska. D’où l’appel de Natacha pour que les ONG organisent d’avantage d’activités dans le quartier.

«Nous avons aussi besoin d’aide et d’encadrement. Comme nous sommes dans une localité qui est souvent très arrosée, les enfants ont besoin de matériels scolaires, de sacs et de chaussures», explique-t-elle.

En attendant la réalisation du projet de développement communautaire - Anoska on the move, financé par l’Ambassade américaine, en collaboration avec Port-Louis/USA Alumni Association - la cité demeure sans centre de santé ni établissement scolaire. Les enfants doivent se rendre à l’école primaire de Midlands. Et prendre le bus relève d’un véritable parcours du combattant.